L’Espagne tangue entre sauvetage bancaire et sauvagerie sociale #recortes
Le déclin de l’économie se poursuit en Espagne. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2007, le bilan des catastrophes économiques et sociales ne cesse de s’allonger. Faillites en cascade et chômage à 24.7%. Dont plus de 50% des moins de 25 ans. Endettement démesurés des ménages (218% du PIB en juin 2012). Dégradation générale de la solvabilité et augmentation des impayés. Saisies immobilières et expulsions.
De la crise immobilière à la crise bancaire
Après les deux précédentes vagues de refinancement du secteur bancaire, suscitées par l’éclatement de la bulle immobilière en 2008, l’Espagne a été contraite de demander l’aide de ses partenaires européens pour refinancer une troisième fois son secteur bancaire. Le besoin immédiat des deux banques sous tutelles (CatalunyaCaixa et Novagalicia) et de la banque récemment nationalisée (Bankia) s’élève à plus de 30 Milliards d’euros.
Les ménages endettés et précarisés ne parviennent plus à rembourser leurs dettes. La crise immobilière s’est vite transformée en crise bancaire. Les banques détenant à l’actif de leur bilan des biens immobiliers hypothéqués, qui ont perdu la moitié de leur valeur. C’est tout le paradoxe de la situation. L’Etat finance les pertes du secteur bancaire alors qu’il coupe les vivres à ses administrés. Notons également que les fonds destinés à recapitaliser le secteur bancaire espagnol devraient provenir du FESF ou du MES, alors même que l’Espagne n’a pas encore versé sa part au-dit fond. Ce plan de sauvetage ne sera pas assorti de mesures d’ajustement structurels comme ce fût le cas pour la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, mais il s’accompagnera néanmoins d’une surveillance rapprochée du Fond Monétaire International.
La récente faillite de Bankia- quatrième banque à l’échelle nationale – illustre parfaitement les dérives du secteur. La démission de son Président, Rodrigo Rato et le remplacement du gouverneur de la Banque d’Espagne, Miguel Angel Fernandez Ordonez, coïncident avec leur mise en cause et les accusations de corruption dont ils font l’objet. Le parquet anti-corruption a récemment ouvert une enquête sur la création de la banque et sur son entrée en Bourse, en juillet 2011. Le dégonflement forcé de son bilan et des pertes affichées de plus de trois milliards d’euros ont en effet donné un coup d’accélérateur à la dégradation de l’économie espagnole. Le 9 juin dernier, le FMI estimait le besoin de recapitalisation des banques espagnoles à 40 Md d’euros. Estimation que Madame Lagarde a doublée (entre 60 et 80 Md d’euros) pour je cite rassurer les marchés.
Durant les années qui ont précédé le crash immobilier, les promoteurs immobiliers produisaient autant de nouvelles constructions que la France, l’Italie et l’Allemagne réunis. Plus de 750.000 logements en 2007. Bien que moins importante que la moyenne européenne, la dette publique espagnole est aujourd’hui évaluée à 68% du PIB. Et elle s’élevait à 36% du PIB avant l’éclatement de la bulle immobilière. Le secteur de la construction employait plus de 12% de la population active avant que le château de carte ne s’effondre et qu’un pan entier de l’économie ne disparaisse. Le chômage a donc explosé, passant ainsi de 7,8% en juillet 2007 à 24,7% en avril 2012.
Et dire que l’économie espagnole était l’exemple à suivre des commentateurs il y a encore 5 ans. Il y a de quoi se poser des questions sur leurs compétences. La majorité des économistes vantaient les mérites d’une économie espagnole capable d’afficher des taux de croissance remarquables. On s’aperçoit aujourd’hui que la spéculation immobilière et la course aveugle à l’hypothèque ont artifiellement gonflé la croissance espagnole pendant des années.
La solvabilité de l’Espagne inquiète toujours les marchés privés. Bel et bien en récession depuis début 2012 comme l’a communiqué la Banque d’Espagne fin mai, les politiques d’austérité menées par le gouvernement à la manœuvre et par son prédécesseur ont eu pour effet de contracter les recettes plus vite que les dépenses publiques, aggravant ainsi la récession qui mine la société espagnole.
Loin d’arriver à rassurer les marchés sur sa capacité à remplir ses engagements, ces derniers lui imposent des taux d’intérêt insoutenables. Le spread (prime de risque), à savoir l’écart entre les taux payés par l’Etat allemand et les autres Etats de la zone euro, dépasse les 5%, aboutissant ainsi à l’impossibilité des banques à financer l’économie espagnole.
Le processus d’assainissement des banques espagnoles n’en est pas un. Il ne s’agit que d’un renflouement additionnel, dont la facture sera bien évidemment présenté aux contribuables espagnols, quoiqu’en disent Monsieur Rajoy. En effet, ce que le gouvernement a omis de dire, c’est que les fonds destinés à renflouer les banques espagnoles proviendront du FESF et du MES, eux-mêmes financés par les contribuables européens et donc les contribuables espagnols. Affirmer que ce seront les banques qui paieront la casse est tout simplement un mensonge grossier.
Les autorités régionales, elles aussi, sont confrontées aux mesures d’austérité. Les grands projets d’unfrastructures (port, gare, aéroport) et le krash immobilier les a mis à mal. L’irresponsabilité de certains Président de région est montrée du doigt par le gouvernement qui se comporte avec elles comme l’Europe se comporte avec les Etats membres récalcitrants, il les met sous tutelle.
De l’austérité à la répression
La réforme du code pénal (lire Génération 15M - LGE, mai 2012) proposée par le Ministre de l’Intérieur, Monsieur Jorge Fernandez Diaz, semble bel et bien être indispensable pour que la population espagnole accepte les mesures d’austérité. L’évolution de la répression étatique et les récentes dénonciations du premier syndicat de la police n’est pas sans rappeler les heures sombres de la dictature franquiste. Difficile de ne pas s’en apercevoir, tant les derniers évènements en sont une illustration frappante. Car en effet, l’Espagne est actuellement le théâtre d’une contestation populaire importante. Et bien que le pays n’en soit qu’à sa première demande d’aide à la Troïka – officialisée récemment – le spectre de la Grèce est bien présent dans les esprits des citoyens espagnols qui descendent dans les rues depuis plus d’un an.
Révoltés par les promesses électorales non tenues du Premier Ministre Rajoy et face à la diminution de la subvention industrielle aux mines du nord de l’Espagne de deux tiers (de 300 à 111 millions d’euros) – ce qui remets en cause leurs moyens de subsistance et a fortiori ceux de leurs villages et de leurs communautés, qui dépendent essentiellement de ces subventions - les mineurs d’Asturies ont entamé une grève illimitée depuis le 28 mai dernier (lire La lucha de los minores, lucha de todos - LGE, juin 2012). D’après leurs estimations, ces coupures menaceraient plus de 30.000 emplois dans la région.
Ils se sont enfermés pendant des semaines à 500m sous terre, pour dénoncer les 63% de coupures budgétaires appliquées en l’espace d’une année par le gouvernement dans le secteur du charbon. Soutenus par leurs proches, leurs villages et une partie de la population espagnole, ils n’en ont pas démordu. Pour faire entendre leur voix, ils ont même barrer des autoroutes et résister aux assauts successifs des forces de l’ordre. Durant ces quelques semaines, ils ont véritablement mené une résistance organisée et déterminée.
Afin de nourrir quelque peu votre curiosité et d’étendre votre compréhension du contexte historique de la communauté autonome des Asturies, vous pouvez lire cet article : 1934 : L’insurrection des Asturies.
Voici quelques images de la résistance des mineurs et des affrontements avec les forces de l’ordre :
Au début du mois de juin – dans la foulée des rassemblements anniversaires du mouvement 15M du 12 mai dernier – le projet de faire converger à Madrid des marches citoyennes parties des quatre coins de l’Espagne a vu le jour, inspirant de nombreuses initiatives. Sur les cinq colonnes de marcheurs dont l’arrivée est prévue le 21 juillet prochain, une est arrivée à Madrid ce mardi 10 juillet. C’est la Marcha Negra ou la Marcha Minera, la Marche des Mineurs, bien décidés à frapper à la porte du Congrès et des élus qui depuis Madrid, spéculent sur leur avenir et celui de leurs enfants.
La Marche des mineurs, la Marcha Negra, partie des Asturies, était composée de plus ou moins 200 marcheurs. La Marche pour la Dignité, partie de Barcelone, la Marche Populaire Indignée, partie de Cadix et Malaga en Andalousie, la Marche de la Colonne Est, issue de la province de Valencia et la Marche de la Colonne Nord-Ouest, originaire de Galice, ont prévu de converger à Madrid simultanément.
Alors que l’arrivée des marcheurs à Madrid s’est déroulée dans une ambiance conviviale et riche en émotion, la manifestation de soutien qui y a eu lieu ce 11 juillet a été violemment réprimée par les forces de l’ordre. Les dizaines de milliers de citoyens qui se sont mobilisés ce 11 juillet étaient là pour dénoncer les nouvelles coupures annoncées par Mariano Rajoy, qui vient aussi de décider l’augmentation de 3 points du taux de TVA. En outre, il a également annoncé des coupures budgétaires de plus de 65 milliards d’euros endéans les 2 années et demi à venir. Des mesures qui s’ajoutent à la longue liste de promesses électorales non tenues.
Dès le début de l’après midi, la police a divisé le cortège des manifestants en deux. Les charges répressives (flash-balls, matraques, etc.) provoquant rapidement des échauffourées dans les rues de la capitale.
Un appel a ensuite été lancé par les manifestants pour se diriger vers le Parlement. Ils ont rapidement été encerclés par un groupe d’agents de la police spéciale, dont la mission consistait à empêcher toute manifestation et toute concentration d’individus. Sur les réseaux sociaux, de nombreux appels aux rassemblements sur toutes les places d’Espagne sont lancés. Tous y sont conviés, chômeurs, étudiants, mouvements sociaux, syndicats, travailleurs, enseignants, etc.
AudioviSol, SpanishrevolutionTV et Acampada Barcelona assurent une couverture citoyenne des évènements. De nombreux streamers sont également sur place. Nul doute que d’innombrables autres images de la sauvagerie policière seront publiées dans les heures, les jours et les semaines qui suivent. Au niveau des médias traditionnels, seul la chaine de télévision Russia Today (RT) semble relayer les informations depuis le terrain. Les arrestations, les matraques, les flash-balls et le gaz lacrymogène sont aujourd’hui devenus les outils de communications privilégiés d’une classe politique européenne en voix de décomposition.
L’émotion générée par les violences policières peut avoir des conséquences totalement opposées sur la politique gouvernementale ; cela peut sensibiliser l’opinion jusqu’à permettre de faire pression sur le gouvernement, tout comme cela peut bénéficier à l’idéologie du pouvoir en place. En ce sens que les appels à la radicalisation et les violences éventuelles peuvent servir de prétexte au gouvernement Rajoy pour durcir la répression et parvenir à faire passer la réforme du code pénal auprès de l’opinion publique, elle-même victime de la désinformation et de l’absence quasi totale de couverture médiatique.
A l’heure où ces lignes sont écrites, il y a encore énormément de monde dans les rues de Madrid. La tension est toujours présente et les citoyens semblent déterminés à poursuivre leur mobilisation. Les quatre autres Marches arriveront aux portes de la capitale d’ici une dizaine de jours. Dix jours de réflexions, dix jours d’entraide et de préparation, pour lutter contre cette cascade de sauvetages bancaires démocratiquement illégitimes, qui n’ont d’autres effets que de révéler au grand jour la politique menée par la Troïka. Une politique qui ne donne pas son nom, mais qui jour après jour se dévoile. Cette politique, nous la connaissons ou alors nous avons appris à la connaître, c’est la politique de la sauvagerie sociale.
A 23h, le 11 juillet, Plaza de la Puerta del Sol, à Madrid :
Chaine de retransmission en direct et différé depuis Madrid par Suysulucha
Par Badi Baltazar et Ben Borges
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