L’héritage très incertain de la présidence française de l’UE
Une présidence « politique »
Pilier intergouvernemental du triangle institutionnel communautaire aux côtés de la Commission et du Parlement européen, le Conseil des ministres de l’Union voit chaque semestre s’effectuer à sa tête une rotation entre deux des 27 membres de l’Union européenne. C’est ainsi que la France succéda à la Slovénie avant de passer les rênes à la République tchèque le 1er janvier 2009.
Affaire de symboles, ces six mois reviennent, par facilité de langage, à une « Présidence de l’Union Européenne ». En matière de communication, ce détail sémantique a son importance, d’autant que le terme « Présidence » revêt des connotations bien différentes à Paris et à Bruxelles. On analyse davantage une capacité à diriger, à décider, à déployer les attraits de sa puissance lorsqu’il s’agit de gouverner une nation. On prête plus attention à l’aptitude à impulser, à s’élever et à faciliter les compromis lorsqu’il s’agit d’une institution intergouvernementale. Et ceci d’autant que les institutions bruxelloises comptent leur lot de pratiques et de procédures visant à assurer le bon fonctionnement d’une mécanique complexe reposant largement sur les petits pas.
Pourtant, dès le départ, la France avait affiché son intention de les bousculer. Nicolas Sarkozy affirmait ainsi devant le Parlement européen, en novembre 2007, que « l’Europe ne peut pas être tenue à l’écart de la vie, à l’écart des sentiments et à l’écart des passions humaines ». Dans une assemblée rompue à une certaine technicité des débats, ces paroles ont marqué les esprits. Elles ont suscité des attentes, l’Europe étant paralysée par ses impossibles réformes institutionnelles, mais aussi beaucoup d’appréhensions, l’arrogance, le peu de goût français pour le compromis et la personnalité du futur président n’étant pas pour plaire à tout le monde, en particulier à Berlin.
Une présidence politique s’annonçait donc. Les circonstances exceptionnelles de ce second semestre 2008 en auront révélé tout le sens.
Le tournant de la crise institutionnelle
Avant même son commencement officiel, la Présidence française ne manquait pas de thèmes de travail. Préparé en commun avec les deux présidences suivantes pour 18 mois, son programme visait en priorité à mettre en œuvre les réformes institutionnelles du traité de Lisbonne, à poser les jalons d’une réforme de la PAC, à faire adopter une politique européenne de l’immigration et de l’asile, à parvenir à un accord sur le paquet climat-énergie ou encore à relancer l’Europe de la défense. La France s’était aussi fixée ses propres priorités : réaliser l’Union pour la Méditerranée et remettre à l’ordre du jour la question de la gouvernance économique.
Bien qu’en grande partie mis en œuvre, ce n’est pourtant pas ce programme officiel qui marquera le rythme d’une présidence française aux prises avec une inédite succession de trois crises majeures.
Le « non » irlandais au Traité de Lisbonne lors du référendum organisé le 12 juin fut un premier pavé dans la marre, Paris ayant fait de sa mise en œuvre la pierre angulaire d’une relance dont la France aurait pu s’auréoler. Déjà ratifié par 25 Etats membres, le Traité semblait pourtant en bonne voie.
Les réformes prévues par ce Traité, adopté sous présidence portugaise un an auparavant après un compromis inespéré, sont le préalable au déblocage institutionnel d’une Union plombée par près de 10 ans d’atermoiements, de retour des égoïsmes nationaux et de double jeu des gouvernements vis-à-vis de leurs opinions que les institutions bruxelloises qualifient pudiquement de « déficit démocratique ». Prévoyant notamment la nomination d’un président stable du Conseil, l’extension de la co-décision entre le Conseil et le Parlement européen, ou encore la création d’un poste de Haut Représentant véritable « Ministre des affaires étrangères » de l’UE, la mise en œuvre de ces réformes, favorisant une compétition pour l’accès aux postes de pouvoir, aurait pour vertu principale de remettre dans l’Union ce qui lui fait défaut : de la politique. Soit le maître-mot de la présidence française.
Paris se devait certes de trouver une réponse immédiate à cette crise, mais surtout de faire face au risque de « flottement » annoncé de ses 6 mois de présidence.
Ainsi, dans un premier temps, il fallait envoyer sans tarder un signal à l’Irlande et aux autres Etats membres quant à la poursuite du processus de ratification du Traité. Enchaînant effets d’annonce (« L’Irlande devra revoter ») et allers-retours entre Paris, Dublin et quelques autres capitales, Nicolas Sarkozy aura finalement contribué à convaincre les Irlandais de repasser par les urnes en 2009, non sans concéder quelques contreparties.
Dans un second temps, il s’agissait de réorienter les ambitions du semestre et de savoir comment aborder le fonctionnement des institutions, maintenant que les enjeux sur lesquels la présidence française comptait bâtir son succès s’effaçaient. Les circonstances apporteront d’elles mêmes les réponses à cette question dès août 2008, ouvrant la voie à une politisation rarement vue des affaires européennes. Une opportunité inattendue qui laissera le champ libre à l’hyperactivité du président français, tour à tour embarrassant, séduisant ou agaçant ses partenaires, et modifiant l’équilibre des institutions européennes.
La gestion des crises russo-géorgienne et financière
La crise russo-géorgienne aura été la première des crises externes à l’Union prise en main par la présidence française. Alors que celle-ci atteignait son paroxysme le 8 août avec l’intervention militaire russe, la diplomatie française prit l’initiative de se rendre directement à Moscou, parvenant à arracher un accord de cessez-le-feu le 12 août aux deux parties au nom de l’Union européenne, en moins d’une semaine. Une méthode particulièrement inhabituelle qui repose sur l’effet de surprise et l’inversion des processus de décision classiques.
La Présidence française a en effet attaché davantage d’importance à la résolution des problèmes immédiats plutôt qu’à la manière de les aborder, permettant à l’Europe de s’imposer comme médiateur privilégié et maître de l’agenda diplomatique, au détriment des Etats-Unis, dont les dirigeants ont été pris de court. Nicolas Sarkozy aura donné la priorité au face à face direct et à la prise de décision plutôt que de passer par des phases préalables de négociation. Il aura réussi à imposer un leadership européen avant d’aller chercher un consensus parmi les 27.
Alors que la guerre en Irak avait rappelé à quel point l’unité de l’Europe sur la scène internationale s’avérait fragile, l’épisode de la crise russo-géorgienne aura révélé de manière inattendue sa capacité à résoudre un conflit dans son voisinage, sa capacité à parler d’une seule voix et à peser face à une Russie décomplexée, défendant ses intérêts sans ménagement et tirant allègrement parti des divisions entre Etats membres. Et ce, quitte à bousculer les cadres d’action classiques des institutions.
Cette « diplomatie du culot », comme l’ont qualifié nombre d’observateurs français et étrangers, trouvera un prolongement avec l’éclatement de la crise financière. Et une fois encore donnera l’occasion d’afficher un leadership et, si ce n’est une véritable cohésion, du moins un semblant d’unité européenne.
Ainsi, quelques jours après l’annonce de la faillite de Lehman Brothers aux Etats-Unis le 15 septembre, et alors même que les aléas de l’adoption du plan Paulson donnaient le sentiment d’hésitations outre-Atlantique, Nicolas Sarkozy convia à un mini-sommet à Paris les chefs d’Etat allemand, italien et britannique pour le 4 octobre. Au cours ce cette réunion des Etats européens membres du G8, les quatre « grands » annoncèrent la mise en œuvre coordonnée de leurs plans de soutien aux banques en difficulté. Bien que cette initiative n’ait qu’un contenu très limité et n’ait pas beaucoup plu aux autres - plus « petits » - Etats membres, Espagne en tête, elle avait le mérite d’afficher un front commun sur le plan économique, fait quasiment aussi notable que l’ampleur de la crise elle-même. Dans un contexte où la confiance est mère de tous les équilibres, cet affichage fut un vrai « coup » de communication de crise. Tout comme le fut en conclusion de ce « G4 » l’appel pour la tenue d’un « G20 » censé poser les jalons d’une refondation du système financier international.
Le sommet du G20 du 15 novembre fut d’ailleurs l’occasion de renforcer encore le sentiment d’un leadership européen. Endossant la responsabilité de son initiative, Nicolas Sarkozy parviendra à imposer ses conditions – une réunion des pays qui comptent au-delà du traditionnel G 8, une présence exigée de l’Espagne –, un programme de travail – réforme de la gouvernance mondiale, développement durable, respect des engagements sur les objectifs du millénaire – tout en mettant les Etats-Unis face à leurs responsabilités économiques, environnementales et en matière de développement.
La crise à l’appui du rapport de force franco-allemand
Capitalisant sur ce contexte et le renforcement de sa légitimité, la France avança par la suite ses pions sur le volet des solutions européennes à la crise en reprenant son cheval de bataille pour le projet européen : la mise en place d’une gouvernance économique de l’UE qui irait de pair avec un assouplissement des critères de Maastricht et de la politique monétaire de la zone euro. Une démarche principalement destinée à mettre l’Allemagne au pied du mur, celle-ci faisant de l’orthodoxie budgétaire et de la lutte contre l’inflation les piliers d’une politique économique qu’elle conduit plutôt isolément depuis la fin des années 90.
C’est à Londres que Nicolas Sarkozy ira trouver un allié de circonstance, retrouvant Gordon Brown début décembre, en compagnie du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, pour une réunion de travail visant à déterminer une « boîte à outils » européenne pour faire face à la crise de façon coordonnée. Un nouveau signal donné à l’Allemagne, la Grande Bretagne et la France lui ayant déjà reproché la timidité de son premier plan de relance, deux fois moins important en moyens nouveaux que les leurs.
Ce ne sera d’ailleurs pas la seule fois que la France trouvera le moyen d’isoler ou de contourner l’Allemagne durant ces 6 mois.
Elle reconnaitra ainsi un autre allié de circonstance en la personne de Jean-Claude Trichet, président de la Banque Centrale Européenne, gardien de l’indépendance de la politique monétaire si chère à l’Allemagne. En effet, Nicolas Sarkozy, après lui avoir tiré dessus à boulets rouges pendant des mois pour son manque de souplesse, loue désormais le pragmatisme dont il fait preuve face à la crise.
Paris se sera également efforcé de rallier en amont les pays de l’Est au « paquet énergie-climat » pour mieux prévenir ensuite les réticences allemandes.
Outre les différences de style de leurs dirigeants, qui ne s’apprécient guère, les divergences entre la France et l’Allemagne sont aujourd’hui l’un des principaux obstacles à l’efficacité de l’action de l’UE et aux progrès du projet européen. Aussi, si l’action de la présidence française s’est avérée particulièrement utile à court terme, il semble évident que celle-ci ne suffira pas à ancrer durablement les changements dont l’Europe a besoin.
Le défi du long terme
Si le volontarisme de la présidence française dans la gestion des crises fut très largement salué par la presse européenne et mondiale, il n’en reste pas moins qu’elle aura reposé en grande partie sur une habile communication, une maîtrise de l’agenda et un concours de circonstances exceptionnel que certains n’ont pas hésité à qualifier de « cadeau du ciel ». Crises d’ensemble de dimension régionale ou mondiale, urgence des situations, faiblesse du gouvernement de Washington en période électorale, effacement de la Commission européenne derrière le Conseil, isolement relatif de l’Allemagne sont autant d’éléments laissant une grande marge de manœuvre au chef de l’Etat français et dont il aura su adroitement tirer profit.
Quoi qu’il en soit, ces 6 mois à la tête de l’Union auront fait bouger les lignes et pourraient annoncer de véritables changements.
Comme l’a souligné Robert Schuman, l’un des pères fondateur de la construction européenne : « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Or, rien ne garantit que la nécessité d’une Europe plus forte l’emporte sur la nécessité de solutions nationales, et il n’est pas certain que la dynamique initiée par la Présidence française puisse perdurer, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il n’est pas exclu que l’urgence de la situation liée au contexte de crise économique soit atténuée par l’effet des plans de relance ou d’une décélération de la récession en Europe. Quid du sentiment de nécessité en cas de « normalisation » de la situation économique, aussi mauvaise soit-elle ?
Concomitamment, la gestion des crises par la présidence française aura davantage révélé les manques de l’Europe que les opportunités de les combler. Si l’interprétation qui l’emporte à Paris veut que la crise impose l’instauration d’une véritable gouvernance économique, ce point de vue est loin d’être partagée par tous ses partenaires, qu’il s’agisse de l’Allemagne dans la zone euro ou surtout de la Grande-Bretagne. Les efforts pour afficher un minimum de coopération sur le volet de la relance n’auront pas réussi à masquer une propension à privilégier les solutions nationales.
Enfin, en particulier depuis la fin de la Commission Delors et les grandes heures du moteur franco-allemand, les temps de présidences exercées par de grands pays fondateurs de la construction européenne sont des moments singuliers de la vie de l’Union ; on en attend une impulsion forte sur les volets de l’achèvement institutionnel, de son approfondissement ou de son élargissement. Or, d’une part, la France n’aura pas eu l’occasion de graver dans le marbre de telles avancées, et, d’autre part, les présidences suivantes – tchèque, suédoise - n’auront certainement pas les moyens, la légitimité ou même l’ambition d’imposer le même volontarisme.
A cet égard, l’affaiblissement de la Commission européenne est particulièrement problématique, et la donne de l’équilibre institutionnel constitue une autre limite potentielle à l’ « héritage » de la présidence française. Ces 6 mois auront en effet été le point d’orgue de l’effacement de la Commission derrière le Conseil constaté sous la présidence de José Manuel Barroso. La vigueur du parlement européen, remarquée sur l’immigration ou dans la bataille du « Paquet télécom », n’aura pas joué sur les déséquilibres de l’exécutif européen. Dans le temps court qui lui était imparti, Nicolas Sarkozy, privilégiant l’immédiateté des résultats, aura consacré une pratique très intergouvernementale, davantage centrée sur la réactivité des gouvernements des Etats membres que sur les modes de décision communautaires, cantonnés aux domaines les plus techniques. Avec une tendance, même, à privilégier le dialogue avec les Etats les plus puissants.
« Ce qui manque à l’Europe, ce ne sont pas des institutions, ce sont des visages » se plaisait à souligner Nicolas Sarkozy. De son côté, Hans-Gert Pöttering, président du Parlement européen, lui avait rétorqué, en décembre dernier, « rien ne se fera sans les hommes, mais rien ne durera sans les institutions. » Une phrase de Jean Monnet, qui pourrait bien avoir le dernier mot.
Auteur : Mathieu Collet, Euros du Village
Article original sur www.eurosduvillage.eu
www.eurosduvillage.eu
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