L’ICE, outil participatif glacé ?
ICE. Késako ?? En tout cas, ce sigle ne vous laissera, j’espère, pas de glace. Décortiquons-le. I comme Initiative, action d’entreprendre, de tenter, signe d’une volonté forte. C comme Citoyenne, adjectif empreint de multiples sens renvoyant à une même idée de participation et d’inclusion politique. E comme Européenne, deuxième adjectif du sigle qui fait se rattacher citoyenneté et Europe dans un désir d’intégration plus profonde de la population continentale au sein de notre Union.
"L’ICE est donc un moyen donné aux citoyens européens de s’impliquer"
L’ICE est donc un moyen donné aux citoyens européens de s’impliquer de manière positive dans l’Union Européenne. Ce dispositif de démocratie participative s’installe en plein cœur d’une tradition représentative chère aux démocraties occidentales. Il s’inscrit comme une réponse à un mal-être des citoyens face à une Europe dont le fonctionnement est compliqué à saisir et plus largement face au système représentatif remis en cause notamment par la montée de l’abstention dans la plupart des pays européens.
Concrètement, une Initiative Citoyenne Européenne est une invitation faite à la Commission Européenne de présenter une proposition législative dans un domaine où elle est habilitée à légiférer. Depuis le 9 mai, date de la journée de l’Europe, de l’année 2012, chaque citoyen européen peut, par sa simple signature, soutenir une ICE et ainsi directement participer au processus législatif de l’Union. Pour qu’une ICE puisse être présentée devant la Commission, un comité citoyen de 7 membres de nationalités différentes minimum doit se créer et il lui faut recueillir 1 million de signatures, venant d’au moins 7 pays différents de l’UE avec un système de quotas par rapport à la population de chaque pays. Cet outil en apparence très démocratique est critiqué de part sa difficulté à être mis en place. Ainsi, l’ICE, comme le sens recouvert par ces 3 lettres en langue anglaise peut inviter à penser, n’est-elle qu’un outil participatif glacé ? C’est-à-dire, est-elle une révolution participative ou un simple gadget sans intérêt ?
"un moyen de faire entendre leurs voix"
On peut voir l’ICE, au premier abord, comme un formidable outil permettant de faire avancer des causes. Plus efficace qu’une pétition, l’ICE validée oblige la Commission à s’intéresser à une question de société en particulier et il paraît aisé de recueillir 1 million de signatures sur les cinq cents millions d’habitants que compte l’UE, soit 0.2% de sa population. Les citoyens auparavant lésés par le « déficit démocratique » de l’Union Européenne peuvent voir dans la formation et la promotion d’une ICE un moyen de faire entendre leurs voix, trop souvent ignorées par des élections du Parlement Européen tronquées à cause de l’abstention et par le fait que deux institutions de l’UE dirigeantes sur trois (Commission Européenne, Conseil de l’Union Européenne) soient composées de membres non élus directement par les citoyens...
C’est ce qu’ont fait les premiers comités de citoyens formés pour porter les ICEs fondatrices. On peut citer Fraternité 2020 qui a pour ambition de promouvoir la mobilité en Europe à travers l’allocation de 3% du budget européen aux programmes existants notamment. Right to water, quant à elle, est une ICE portant sur l'accès à l'eau. Cette ICE est la première à avoir atteint le million de signatures. Problème, elle les a atteint uniquement grâce à un seul pays qui est l’Allemagne suite à l’intervention d ‘un humoriste et aussi suite à une forte mobilisation syndicale. On peut interroger ici, comme l’a fait le député européen M. Becker durant la séance du 18 Avril 2013, l’utilisation de l’ICE par les syndicats. En effet, l’ICE a été pensée comme un moyen permettant aux citoyens de s’exprimer, pas comme un terrain de revendications syndicales. De plus, ce million de signatures ne permet pas de valider l’ICE car, comme on l’a précisé plus tôt, il faut des signataires de 7 pays différents avec des quotas numériques de signatures à respecter...
"plusieurs éléments pouvant rebuter les citoyens"
On rentre là dans les problèmes liés à l’utilisation de ce « formidable moyen de participation démocratique ». La première grosse critique que l’on peut faire à l’ICE est la relative complexité de sa mise en place, complexité tout le temps mise en avant par les eurosceptiques quand on parle d’Union Européenne... En effet, on peut mettre en lumière plusieurs éléments pouvant rebuter des citoyens, pourtant bien intentionnés et ayant la plus grande volonté du monde, dans leur démarche de porter une ICE. Tout d’abord, il y a toute une lourdeur administrative à surmonter entre les délais, les démarches, la rédaction de l’ICE (qui doit être écrite comme une proposition de loi), etc. Cela demande des compétences que n’a pas forcément Monsieur Tout le Monde. De plus, il y a un obstacle technique : une ICE se doit de posséder un outil informatique de collecte des signatures homologué par l’Union Européenne. Or, la conception et l’homologation de ce dernier met en moyenne 2 ou 3 mois pendant lesquels l’Initiative ne peut avancer alors qu’elle n’a que 12 mois pour réunir toutes les signatures... L’UE a quand même réagi face à cette critique et a mis en ligne un logiciel Open Source homologué. Néanmoins, son utilisation par des citoyens peu férus d’informatique reste compliquée.
Enfin, un autre problème de l’ICE est que son existence même est mal connue. En effet, une étude du Mouvement Européen montre que 66% des citoyens n’ont jamais entendu parler de l’ICE. Pourtant, après explication, un pourcentage important de 70% d’entre eux souhaitent l’utiliser. Cela montre bien que l’ICE pourrait être un intéressant moyen participatif...si les citoyens savaient que cela existait.
"il est nécessaire que l'ICE ne soit qu'un premier pas"
Alors, en définitive, l’ICE n’est-elle qu’une belle plante à l’apparence aguicheuse mais dont les racines ne sont que trop peu profondes pour être totalement efficiente et produire son pollen ? Non, ce serait un jugement trop hâtif. En effet, la possibilité de déposer une ICE n’existe que depuis une petite année. Le bagage participatif que l’UE a la volonté de se procurer à travers cette mesure est une réelle avancée qu’il ne faut pas sous-estimer. Mais en fait, est-ce une avancée ou un point final ? L’ICE est-elle un petit pas vers une Union Européenne plus proche de ces citoyens ou bien représente-elle la première et dernière concession accordée à la vox populi dans une UE technocratique ? Cette question n’obtiendra évidemment sa réponse que dans le futur mais il semble que si ce merveilleux outil de paix et de prospérité qu’est l’UE veut survivre dans un contexte de doute généralisé à l’encontre de son intérêt, il est nécessaire que la mise en place de la possibilité de porter une ICE ne soit qu’un premier pas vers la promotion de la participation européenne.
"Eurosensus, projet européen"
C’est dans cette optique que s’est placé le projet Eurosensus, projet européen porté par une dizaine d’étudiants d'un établissement bordelais d'études politiques (le nom est déposé). Il a pour objectif de soutenir cet outil participatif européen en créant une plateforme Internet unique qui regrouperait toutes les ICEs (plateforme réclamée notamment par les députés européens Gerald Häfner, David Martin et Petru Constantin Luhan). Ce site, à terme, a pour ambition de proposer des aides logistiques, administratives et juridiques gratuites aux comités citoyens. Ainsi, Eurosensus est un projet à suivre de près et dont les avancées seront à la fois tributaires et actrices de la démocratisation et du développement de l’utilisation de l’ICE, intéressant moyen participatif européen sortant juste de son œuf voué à grandir et à devenir une des pierres angulaires de la construction européenne
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