L’Italie en pleine tourmente
Un des problèmes majeurs de l’Italie est incontestablement son nombre considérable d’intercommunales, d’interrégionales et autres parastataux qui sont autant de coquilles vides contrôlées par les partis à des fins clientélistes, gangrénées par la corruption et le crime organisé, et qui grèvent le budget public de plusieurs dizaines de milliards par an.
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L’adoption de la loi de financement, ce vendredi 15 juillet 2011, par la Chambre des Représentants clôt une des semaines les plus dramatiques de l’histoire récente italienne. Probablement la plus dramatique depuis le funeste mois de septembre 1992 et l’agression spéculative contre la lire qui contribua, en appoint à l’opération Mains propres, à mettre définitivement au tapis la première République et sa classe dirigeante.
En effet, ce lundi, la bourse de Milan clôturait ses activités à moins 4% et le différentiel d’intérêt entre les bons d’état italiens et allemands atteignait son niveau record depuis l’introduction de l’euro. Sur une durée décennale, les placements italiens offraient aux investisseurs un intérêt de retour de près de 6% alors que le bund – le taux de référence en Europe – plafonnait à 2,65%. Lorsque l’on sait que le rendement exigé par les investisseurs pour financer la dette sous forme de bons d’état est proportionnel au degré d’insolvabilité du pays concerné, on peut en déduire que le risque financier qui a pesé sur l’Italie ces derniers jours était bien réel.
C’est précisément la conscience de ce danger qui a permis l’adoption de la loi budgétaire dans un délai qui, dans un contexte politique particulièrement chaotique, relève réellement du miracle. Chaque acteur politique, l’ensemble des corps institués ont répondu comme un seul homme à l’appel à la cohésion nationale lancé par la Président de la République au lendemain du lundi noir. Les partis d’opposition, s’ils n’ont pas voté le projet de loi de financement, ont toutefois retiré un nombre considérable d’amendements afin d’en permettre l’adoption rapide. De même, la Ligue du Nord semble avoir provisoirement renoncé aux exigences financières revendiquées au lendemain de la défaite électorale du mois de juin en faveur des communes du nord du pays. Enfin, Mario Draghi, président in pectore de la Banque centrale européenne, est lui aussi sorti de sa réserve pour rassurer, par une déclaration solennelle, les marchés financiers du bienfondé des décisions gouvernementales.
Il est vrai que si les tendances négatives de ces derniers jours devaient se confirmer, les mesures budgétaires votées ce vendredi pour atteindre l’équilibre en 2014 se révéleraient insuffisantes. C’est pour cette raison que l’effort de 47 milliards prévu la semaine dernière par le ministre des finances, Giulio Tremonti, s’est considérablement alourdi pour atteindre, aujourd’hui, un montant avoisinant les 80 milliards. Tous les secteurs de la société italienne sans exception sont concernés par les restrictions : coupes drastiques dans les budgets de la sécurité sociale, de l’éducation, de la petite enfance, de la culture, hausse de l’âge du départ à la retraite, cotisations de solidarité prélevées sur les pensions les plus élevées, majoration des droits d’accises sur les carburants, gel des salaires dans la fonction publique, etc.
Toutefois, pour savoir si l’impact de ces mesures sera suffisant à mettre l’Italie à l’abri d’une nouvelle attaque spéculative, il faut se pencher sur sa faiblesse originelle. Sur la mèche qui a permis aux spéculateurs d’allumer l’incendie : l’image d’un pays économiquement atone et incapable de se gouverner. Tout d’abord, les fondamentaux économiques structurels et conjoncturels sont dans le rouge depuis de nombreuses années. Avec ses 1 900 milliards de déficit, la dette publique est aujourd’hui à une hauteur sans précédent. Chaque année, les intérêts sur cette même dette coûtent à l’état italien environ 40 milliards d’euros, soit près de 50 % de l’effort budgétaire voté cette semaine par les assemblées législatives. Par ailleurs, les derniers relevés économiques pointent une stagnation dramatique de la demande interne, une chute vertigineuse de l’épargne (de 20 à 6 % en quinze ans !), une augmentation des coûts de l’énergie et une baisse inévitable du pouvoir d’achat. Pire : le taux de croissance annuelle est aujourd’hui de l’ordre de 1%, ce qui ne peut générer, par définition, aucun effet positif sur le taux de mise à l’emploi. Si l’on ajoute à ces données une fraude fiscale sans commune mesure avec les autres pays d’Europe de l’ouest et un taux de chômeurs de longue durée de près de 40%, on peut mesurer combien la situation risque de demeurer délicate dans les semaines et les mois à venir.
Dans ce contexte, la décision du gouvernement italien de reporter l’essentiel de l’effort budgétaire sur les années 2013 et 2014 est dangereuse. Seuls 9 des 80 milliards d’économie seront en effet générés sous cette législature. La raison de ce report relève exclusivement de la stratégie politique. Les récentes défaites électorales de la majorité, les rumeurs de démission pesant sur le ministre des finances, les scandales affairistes éclaboussant plusieurs membres de l’exécutif, les divergences de vue entre les partenaires de la coalition ont conduit le gouvernement à ménager son électorat et son équilibre interne. Et à faire ainsi l’impasse sur des décisions pourtant indispensables à la remise en marche du pays.
Car non seulement l’exécutif a choisi de différer le rééquilibrage des comptes publics, mais il a également exonéré du coup de collier la sphère qui représente probablement la source majeure de dépenses publiques improductives : le secteur public. Un des problèmes majeurs de l’Italie est incontestablement son nombre considérable d’intercommunales, d’interrégionales et autres parastataux qui sont autant de coquilles vides contrôlées par les partis à des fins clientélistes, gangrénées par la corruption et le crime organisé, et qui grèvent le budget public de plusieurs dizaines de milliards par an. Le renoncement de dernière minute aux coupes dans les dépenses pléthoriques du personnel politique (les plus élevées d’Europe), aux privatisations, l’abandon de la réforme de l’architecture politico-institutionnelle sont autant de mauvais signaux envoyés aux marchés financiers. Ils traduisent l’état de fébrilité et donc la conscience, dans le chef de l’équipe au pouvoir, de sa propre instabilité. De son incapacité fondamentale à gouverner. Mais c’est aussi un piètre message pour le citoyen. Car dans un contexte marqué par une forte demande de recitoyennisation, comment lui demander de contribuer à l’effort commun, de sortir le pays de l’ornière financière si les structures de l’état paraissent indifférentes aux privations imposées à la collectivité ?
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