La bataille pour le Parlement Européen n’aura pas lieu d’être
« Jean, chapeau ! » c’est la réaction de l’ex-député européen néerlandais Michiel van Hulten en écho à Jean Quatremer qui vient de publier un article anti-Strasbourg consternant sur son blog de Libé. Il prend pour argent comptant ce que révèle une pseudo-enquête sur les vœux des eurodéputés quant au choix du siège du Parlement Européen (PE). Voir une quelconque malicieuse collusion entre ces deux intimes ainsi révélée, serait pure fantaisie.
Le premier est en effet un eurosceptique ardemment opposé au maintien du siège du PE à Strasbourg, tandis que le second est un journaliste français, talentueux, spécialisé dans les questions européennes, en principe d’une bonne foi incontestable, pour éviter de parler d’éthique journalistique. La réaction du Néerlandais, sans vergogne, en français vernaculaire s’il vous plaît, a de quoi surprendre quand même, car, juriste de formation, le journaliste n’est peut-être pas un linguiste parlant néerlandais. Donc…
61/736 = 8% des députés.
Dans cette enquête qui a été commandée par M. Edward MacMillan-Scott, un député britannique, un des vice - présidents du PE de surcroît, on avance des chiffres analysés avec une indécence insupportable. Le travail a été mené par une université suisse (Zurich, eh oui) au service des Européens les plus ardents et les plus anciens, les sujets de sa Très Gracieuse Majesté. Le sait-on ? D’ailleurs MacMillan et de Gaulle, cela rappelle une belle page d’Histoire ! Il y a quelques décennies seulement.
Plus grave, la suggestion indirecte faite dans l’article incriminé, d’une fronde consistant à bouder le siège strasbourgeois est une provocation stupide et anti-démocratique. Qui peut choisir de changer le lieu où il a été « recruté » à sa demande, en parachute doré ou par engagement sincère, pour convenance personnelle ? Qui ? Somme toute, y a-t-il des députés au Parlement contraints et forcés de se présenter aux élections ? Si non, les impétrants doivent savoir ce qui les attend.
Seuls 61 députés sur les 736 ont répondu aux questionnaire mais sur un total de 467 réponses incluant du personnel comme les assistants parlementaires qui sont 1509 au total ( plus de deux par député). Ces derniers sont d’ailleurs souvent assis sur un siège éjectable plus facile à actionner que celui du PE à Strasbourg. Ainsi ces réponses très partielles avec 8% de participation permettent d’affirmer que 88%( ?) des députés et de leurs équipes sont contre la transhumance mensuelle entre Strasbourg et Bruxelles, dont le coût est estimé à 180 millions d’euros. A prouver.
Les traités successifs depuis la création du Parlement ont attribué le siège dès l’origine à Strasbourg et l’ont confirmé par les suivants jusqu’au dernier, celui de Lisbonne. Bruxelles est une concession sans plus pour des sessions extraordinaire.
Certes, la desserte de Strasbourg n’est pas extraordinaire mais elle s’améliore grâce à un TGV spécial le lundi et jeudi de session, de Strasbourg à Bruxelles via Paris. Vers le nord et l’est, l’ICE allemand offre bien des commodités. Quant aux capacités d’accueil et aux prix, il faut en faire une expérience loyale, à Strasbourg comme à Bruxelles qui n’est pas une ville particulièrement « cheap », Mister Macmillan-Scott, moins « expensive » que Londres, il est vrai.
D’ailleurs, ces rares députés qui ont rejeté Strasbourg, sont en majorité des eurosceptiques du nord de l’Union, zone d’influence britannique marquée (les Suédois sont 6% des répondants pour une représentation de 2,4 % dans l’ hémicycle).
Ces petites manoeuvres d’intimidation sont récurrentes et n’ont rien d’alarmant au vu des traités, si ce n’est que, cette fois, un journaliste respecté sur le blog d’un journal respecté, s’en fasse l’écho en thuriféraire récemment converti. A la logique comptable ?
Quid du fond, des valeurs, de l’idéal ?
Sauf tout le respect que l’on doit à la capitale d’un agréable pays voisin, quelque peu chahuté par des conflits internes, Bruxelles et Strasbourg ne se comparent pas.
Les défenseurs de Strasbourg ou les muets des enquêtes internes au PE le savent bien. L’Histoire lointaine et surtout celle de l’après-guerre, tour à tour douloureuse ou glorieuse, fait de Strasbourg un symbole de la Construction Européenne dont elle est indissociable. C’est d’ailleurs un ministre des affaires étrangères britannique, Ernest Bevin, qui a proposé que la ville alsacienne, pont entre la France et l’Allemagne, sur le Rhin « ce fleuve des fleuves » selon Victor Hugo, devienne dès 1949, le siège du Conseil de l’Europe. La suite laissa toujours Strasbourg au centre du dispositif. Mais laissons la parole à Daniel Riot, un autre grand journaliste européen décédé depuis peu, au lendemain de la parution de son livre : « L’Europe cette emmerdeuse » en référence au « distingo »sur le comportement des femmes que fit Paul Valéry et qui inspira une chanson taquine à Georges Brassens.
« A Strasbourg, l’esprit européen souffle, avec une vigueur, une force et une inspiration particulières. Ce ne sont pas les Strasbourgeois qui le disent. Ce sont les observateurs extérieurs. S’abritant derrière Husserl et Croce, des philosophes de nationalité donc de sensibilités différentes, le ministre italien Spadolini, en 1975, résume les enjeux : la conscience historique, dit-il, confère à cette ville la responsabilité d’incarner la culture comme religion de la liberté ». Une culture européenne est en effet indispensable à la prise de conscience d’une appartenance à un espace commun et à un destin commun.
A ce sujet, la commune de Strasbourg sans doute avec la communauté urbaine et la région, travaillent, semble-t-il très sérieusement, à la réalisation d’un« lieu d’Europe », sorte de cathédrale laïque des peuples, entre les palais des Institutions Européennes et l’édifice religieux médiéval tant prisé.
Plus porteur encore, immédiatement, sous l’impulsion du compositeur Jean-Louis Agobet, ancien pensionnaire de la Villa Médicis et Victoire de la musique classique en 2006, avec l’Orchestre National Philharmonique de Strasbourg, se profile à l’horizon de 2012 un festival européen pays des Orchestres de Jeunes des 27 de l’Union avant de l’étendre aux 47 du Conseil de l’Europe. Ne verrait-on pas là une interprétation communautaire du projet européen, bien différente de cette cacophonie intergouvernementale que nous entendons depuis quelque temps ? Retour aux idéaux généreux des pères fondateurs ou dislocation progressive et chaos, voilà l’alternative. Le prix de la transhumance évoqué plus haut semble bien pusillanime au regard de cette ambition-là.
Antoine Spohr (article paru sur Mediapart également)
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