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La coopération, le G8 et la méthode Monnet

La coopération entre individus ou entre nations obéit aux mêmes lois : pour qu’elle fonctionne, il faut d’abord avoir des intérêts communs pour coopérer, il faut ensuite que les coopérateurs ne soient pas de puissance trop inégale, et il faut enfin que leur nombre soit limité. La nature humaine et la raison expliquent pourquoi ces trois lois s’imposent en matière de coopération. La première nous dit qu’il faut pouvoir retirer un bénéfice à partager pour supporter les inconvénients de la coopération ; la seconde qu’une inégalité trop grande entre les coopérateurs fera craindre que les plus faibles tirent les marrons du feu pour le plus fort ; la troisième que le nombre des associés soit assez réduit pour que chacun puisse garder un œil sur tous les autres.

Examinons d’abord les inconvénients de la coopération ; ils sont de deux ordres, celui de la perte d’indépendance, et donc de liberté et de souplesse, puisqu’il va falloir se mettre d’accord avec les autres avant d’agir, et celui du coût supplémentaire résultant du fonctionnement de l’association ; pour supporter ces deux ordres d’inconvénients, il va donc falloir que la coopération produise des bénéfices dont la part de chacun sera très supérieure à ce qu’il aurait pu produire seul. Ensuite, on conçoit que l’inégalité des conditions va créer des désaccords insolubles à cause de l’inégalité des besoins qui en résulte, divergence auquelle le plus faible ne pourra pas durablement résister et va en souffrir sans compensation ; il faut donc rassembler des coopérateurs de force comparable, ayant des besoins du même ordre. Enfin, l’insécurité que fait naître l’association avec des étrangers qui vont être informés de vos affaires autant que vous serez informé des leurs, exige que leur nombre soit aussi limité que votre capacité de les suivre, voire de les surveiller, le nécessite.

Cette description peut s’appliquer à toutes les entreprises commerciales ou financières impliquant un petit nombre de coopérateur, allant de deux à dix ou douze, la troisième loi ne permettant guère d’aller plus haut (c’est dire par exemple que les coopératives de 200, voire 2 000 associés ne sont pas des coopérations). Et elle s’applique aussi aux coopérations internationales qui respectent scrupuleusement les trois lois, ainsi que l’on peut l’observer dans le cas du G8.

En effet, les huit chefs d’Etat ont un intérêt commun évident : entendre chacun d’entre eux dire aux autres son avis sur les problèmes du monde pour lesquels ils éprouvent tous un intérêt considérable ; et entendre cela en voyant son regard et son langage corporel est certainement d’un très grand prix. Ce club ne s’est constitué, en 1975, qu’après que les États-unis aient renoncé à la domination sans partage que leur conférait leur monnaie convertible en or, ce qui est une application de la seconde loi, car cela en faisait (presque) une nation comme les autres. Mais la troisième loi n’a cessé de s’appliquer avec la plus grande rigueur, bien que ce soit l’aspect du club qui choque le plus le reste de la planète, le G8 ayant acquis depuis trente ans la réputation d’un cercle protégeant son accès avec une rigueur faisant du jockey club une association d’un laxisme décadent. Il faut bien voir que le G8 n’a jamais refusé l’entrée d’un « grand pays industrialisé » sous-entendu à leur niveau technologique, donc de développement, car les membres se réunissent pour régler leurs problèmes, pas ceux des autres. Nous sommes donc toujours parfaitement dans le cadre de la coopération et de ses trois lois.

Examinons maintenant comment tout cela se retrouve dans la méthode Monnet.

Jusqu’en 1972, les six respectent fidèlement les trois lois : les intérêts communs sont clairs et acceptés, les trois plus petits forment un ensemble économique respectable, qui fait des six un groupe de quatre, et le nombre d’associés ne rend pas les coûts fixes de l’association dissuasifs.

En 1973, l’entrée du Royaume-Uni et de l’Irlande ne perturbe pas trop les équilibres de la communauté. En 1981, l’entrée de la Grèce non plus.

En 1983, Mme Thatcher fait une grave entorse à la première loi : l’intérêt du Royaume-Uni passe avant celui de la communauté ; ceci amène à poser la question de savoir si on avait abandonné la méthode Monnet à ce moment-là.

En 1986, l’entrée de l’Espagne et du Portugal ne perturbe pas les équilibres de la communauté.

En 1995, l’entrée de l’Autriche, la Finlande et la Suède abaisse la moyenne des populations des membres ; on commence à augmenter les coûts fixes du fonctionnement de l’Union, mais comme ce sont trois pays développés et dynamiques, il y a probablement compensation.

Donc de 1958 à 2003, la coopération européenne est passée de 6 à 15 pays sans bouleverser les équilibres d’origine, à l’exception du Royaume-Uni qui depuis 1983 aura poursuivi et approfondi ses exceptions, ouvrant ainsi la porte à d’autres exceptions demandées par d’autres pays ; on quitte peu à peu le terrain de la coopération égalitaire puisque la première loi de la coopération ne s’applique plus qu’à une partie des membres. Le doute commence donc à s’installer, puisque seule l’application rigoureuse des trois lois fait qu’un groupe coopère ou pas. Dès ce moment, on entrevoit que l’élargissement (10 Etats en 2004 et 2 Etats en 2007), très dispersés en taille, en population et en richesse, va entraîner un bouleversement de la composition de l’Union et de son fonctionnement. On sort de la coopération fonctionnant naturellement et simplement avec ses trois lois, pour déboucher sur un monde inconnu dans lequel les règles précédentes sont inopérantes, comme le montrent les réactions d’abord des dirigeants puis des peuples des nouveaux membres qui utilisent brutalement, à la moindre occasion, des pouvoirs considérables que s’étaient conférés à l’origine les fondateurs comme preuve de leur affectio societatis et non comme arme absolue pour s’imposer au lieu de convaincre. La méthode Monnet et le compromis sont sortis du théâtre européen à ce moment-là. Ce sera le sens des non français et hollandais.

Il nous reste à trouver une nouvelle méthode et l’homme qui lui donnera son nom.

Crédit image : IIS Jean Monnet


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9 réactions à cet article    


  • Internaute Internaute 12 juillet 2008 10:30

    Les trois lois que vous énoncez sont des lois économiques. Le problème de l’élargissement en 2004 est qu’à partir ce de moment on veut construire une Europe politique et non plus économique. Les trois lois n’ont plus qu’un intérêt secondaire car la nomenklatura bruxelloise navigue toute seule et pour son compte. Elle a pris son indépendance du reste de l’Europe.


    • le gaulois 12 juillet 2008 11:10

      On peut discuter du caractère politique de l’Union après l’élargissement car les pays qui la composent semblent bien n’avoir plus réellement en commun que le grand marché, concept économique s’il en est. Mais vous entendez sans doute que l’élargissement a été fait en considération d’un but géopolitique, ce qui est vrai. Il n’en reste pas moins que la contrepartie de ce but a été la disparition des conditions qui rendaient possible la coopération. On en mesure le coût depuis 3ans.


    • logan 12 juillet 2008 18:05

      vous raisonnez au niveau des pays, mais l’europe ne s’est pas construite selon les intérêts des différents pays, mais selon les intérêts d’une petite élite minoritaire dans chacun de ces pays
      la mise en place du système bancaire européen depuis les années 1970 jusqu’à son aboutissement, c’est à dire le traité de Maastricht, en 1993, en est la plus grande preuve
      les financiers qui en sont à l’origine ont la main mise sur l’Europe, avec leurs complices politiques évidemment, mr Monnet en faisait partie dès l’origine, et c’est une Europe sur mesure pour ces financiers qu’ils ont construit, une europe qui nous a peu à peu dépossédé de la démocratie
      et c’est surtout ça le fond du problème, vos considérations partant sur des bases de réflexion incomplêtes sont pour cette raison en décallage avec la problématique actuelle
      ce ne sont pas des désaccords entre gouvernements qui bloquent l’europe, mais ce sont bien des désaccords entre les citoyens et l’élite européenne qui bloquent l’europe, à l’image du non Irlandais, du non Hollandais ou du non Francais ...




      • le gaulois 12 juillet 2008 23:44

        On trouve de nombreuses explications aux causes de la situation actuelle de l’Europe, y compris que les lignes rouges du Royaume-Uni sont des obstacles créés par un Etat, et je tente simplement d’expliquer qu’il n’y a plus rien à attendre de la méthode Monnet, et que l’on ne connais pas encore de méthode permettant de faire fonctionner une association d’États de 27 membres ou davantage.


      • chmoll chmoll 13 juillet 2008 19:57

        l’G8,parait qu’les neuneux ont plantés un arbre, savez pas u c un arbre à cons ?


        • le gaulois 13 juillet 2008 20:55

          Je connais les pièges de cette espèce, mais pas les arbres. Est-ce une connaissance qui vous est personnelle ? Quoi qu’il en soit, la présence d’un exemplaire ou d’une forêt d’arbres de la sorte ne modifie en rien mon interprétation du G8 comme parfait exemple de la coopération.


        • dom y loulou dom 18 juillet 2008 12:33

          chmoll... l’arbre à cons t’as poussé dessus, c’est pour ça que tu ne le vois pas et nous oui.


        • beubeuh 21 juillet 2008 17:49

           DLes 3 lois que vous énoncés ne sont pas valables en ce qui concerne l’Europe ("il faut ensuite que les coopérateurs ne soient pas de puissance trop inégale" : prenons l’exemple de la France et du Luxembourg, membres fondateurs). La comparaison avec le G8 n’est pas non plus pertinente : ce n’est pas une organisation internationale mais un cercle de discussion. Cela relève de la diplomatie, et non de la coopération. Si vous voulez un point de comparaison, je suggère l’OCDE.
          La méthode Monnet, c’est surtout d’avancer par petit pas par l’intégration progressive de secteurs économiques. Sa remise en cause, c’est surtout Maastricht et la chute du mur puisqu’à partir de là on s’est mis à fonctionner par grandes étapes. Cela dit la méthode monnet est toujours à l’oeuvre à l’heure actuelle mais on ne se rendra compte de ses réalisations que dans 10 ans.


          • le gaulois 21 juillet 2008 20:05

            Les Six, si on considère le Benelux, ne constituent en fait qu’un groupe de quatre.

            Le sens donné ici à coopération est très général, ce qui fait que la réunion de huit chefs d’État d’accord pour discuter de sujets d’intérêt commun est une coopération obéissant aux trois « lois ».

            Et la méthode Monnet, aussi regrettable que cela puisse paraître, n’est plus efficace dans l’U.E. telle qu’elle est actuellement, et le sera encore moins à l’avenir. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne trouvera pas d’autres projets où s’appliquer dans les conditions qu’elle requiert.

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