La grande résistante polonaise Irena Sendlerowa n’aura pas le prix Nobel de la paix
Avoir sauvé 2 500 vies humaines, c’est un bilan exceptionnel pour une seule existence. Surtout quand ces vies étaient des enfants dont la destinée était déjà inscrite en noir par les nazis. Une grande dame qui, par ses actes héroïques qui lui valurent une condamnation à mort, restera un exemple pour l’humanité.
Le 12 mai 2008 à Varsovie disparaissait discrètement à 98 ans un petit bout de femme très modeste et usée par les années.
Au service des plus défavorisés
Fille d’un médecin socialiste qui aidait les plus défavorisés, habitant dans une banlieue ouvrière de Varsovie, Irena Krzyzanowska est née le 15 février 1910.
Devenue assistante sociale et épouse, Irena Sendler (ou Sendlerowa en polonais) se consacra pendant la Seconde Guerre mondiale à aider les enfants juifs sous l’Occupation allemande.
Le 30 septembre 1939, Varsovie fut envahie par l’armée allemande et Adolf Hitler parada même dans les rues de Varsovie dès le 5 octobre 1939.
Les nazis rassemblèrent les Juifs dans des quartiers fermés dans les principales villes polonaises : Varsovie, Lublin, Cracovie, Lodz... Le Ghetto de Varsovie comptait lors de sa création, le 12 octobre 1940, environ 380 000 Juifs sur les 1,3 million d’habitants de la ville.
Résistante immédiatement
Dès octobre 1940, elle travailla non seulement dans le cadre légal du service d’aide sociale de la municipalité de Varsovie, qui lui permettait d’entrer et de ressortir du ghetto de Varsovie, mais également clandestinement pour venir en aide aux enfants juifs, en leur fournissant des vivres, des vêtements et, aussi, des médicaments et des vaccins (contre le typhus et la tuberculose notamment). Elle avait obtenu l’autorisation de se rendre au ghetto habillée en nourrice.
Elle risqua de cette manière sa vie, et renonça par exemple à rendre visite à sa mère mourante et à assister à l’enterrement de celle-ci. Son pseudonyme pour ses activités clandestines était Jolanta.
Dans le ghetto de Varsovie, 5 000 personnes par mois mouraient de maladie et de malnutrition.
Le gouvernement polonais en exil à Londres se chargeait d’envoyer des fonds et, en décembre 1942, créa Zegota, un mouvement clandestin d’aide aux Juifs dont fit partie Irena. Ce réseau sauva 75 000 Juifs polonais entre 1942 et 1945 (et délivra plus de 60 000 fausses identités).
Tout un système de faux papiers (avec faux actes de naissance, de baptême et fausses filiations) se mit en place pour replacer les enfants dans des familles chrétiennes ou dans des institutions chrétiennes (Irena expliquera elle-même : « J’ai placé la plupart des enfants dans des établissements religieux. (…) Je savais que je pouvais compter sur les sœurs »).
Les premières rafles des nazis commencèrent et eurent lieu du 22 juillet 1942 au 12 septembre 1942 par la déportation massive des Juifs (5 à 6 000 personnes par jour) au camp de la mort de Treblinka, à 80 km de Varsovie. Elles réduisirent la population du ghetto à 70 000 l’automne 1942.
Séparer les enfants des parents pour les sauver
Pour les soustraire aux rafles, Irena s’acharna à prendre et à isoler les enfants juifs de leurs familles d’origine pour les sauver.
Elle avait grand mal à convaincre les parents ou grands-parents de les laisser partir, la séparation d’un enfant étant l’une des pires choses qui peut survenir à un parent (Irena, jeune mère, le savait bien et c’était pour elle une horrible tâche).
Irena Sendler témoigna ainsi : « Nous avons assisté à des scènes terribles. Le père était d’accord, mais la mère non. Quelquefois, nous devions quitter ces familles malchanceuses sans prendre leurs enfants. Je revenais le lendemain et, souvent, je m’apercevais que tout le monde avait pris le train à Umschlagsplatz qui les avait acheminés aux camps d’extermination », ajoutant encore : « Dans mes rêves, j’entends encore les cris des enfants quand ils quittèrent leurs parents ».
Pour passer les enfants, elle inventa toutes sortes de système : dans des sacs à pommes de terre, dans des boîtes à outils, pour les plus grands, par les égouts et, même, en utilisant une église à deux entrées, une dans la partie juive et l’autre dans la partie chrétienne de la capitale polonaise.
Elle avait réussi à recruter suffisamment de personnes pour recueillir les enfants juifs dans les institutions sociales de la municipalité et les faire assimiler à des enfants catholiques.
Pour ne pas oublier les identités de ces enfants, Irena inscrivit minutieusement tous les vrais noms associés à leurs fausses identités dans le but de leur rendre leur passé après la guerre. Elle mit la liste dans un bocal qu’elle enterra sous un pommier à Varsovie et qu’elle retrouva après la guerre. 2 500 noms y étaient énumérés.
Une seconde vague de déportations commença le 18 juin 1943, mais fut combattue avec héroïsme par la résistance des Juifs.
Le ghetto de Varsovie fut cependant "liquidé" le 16 mai 1943 après le soulèvement le 19 avril 1943 de 3 000 Juifs dont seulement 600 armés.
Ceux qui n’avaient pas été tués dans les combats, exécutés sur place (7 000 personnes) ou brûlés dans les incendies du ghetto (6 000 personnes), se suicidèrent ou furent exterminés à Treblinka.
Torturée et condamnée à mort
Peu de mois après, le 20 octobre 1943, Irena Sendlerowa fut arrêtée par la Gestapo, puis emprisonnée, torturée et condamnée à mort. Elle parvint à ne trahir aucun complice de son réseau et réussit même à s’évader en soudoyant les gardiens de sa prison.
Jusqu’à la libération de Varsovie, elle s’occupa des enfants qu’elle avait sauvés en leur rendant visite régulièrement.
Après la guerre, elle continua à travailler dans l’aide sociale, en favorisant la construction de maisons pour les personnes défavorisées et les orphelins, et en améliorant les services d’urgence pour l’enfance.
Elle rechercha aussi les familles biologiques des enfants qu’elle avait sauvés, mais aucune d’elles n’avait survécu aux camps d’extermination.
Modeste et tardive reconnaissance de son action
En 1958, Irena reçut la médaille du ministère polonais de la Santé pour son action sociale.
En 1965, elle fut considérée comme l’une des premiers 21 758 "Justes parmi les nations", au mémorial israélien de Yad Vashem à Jérusalem. Mais elle n’a pu se rendre en Israël qu’en 1983, les autorités communistes lui ayant refusé tout voyage.
En 1991, Irena fut nommée citoyenne d’honneur d’Israël.
Ce n’est que bien plus tard, le 10 novembre 2003 (quarante ans plus tard !), que l’État polonais honora cette femme exceptionnelle en lui remettant l’Ordre de l’Aigle blanc (Order Orla Bialego) qui est la plus haute distinction civile en Pologne.
Dernière survivante de son réseau clandestin, Irena accepta de rencontrer des jeunes pendant ses dernières années, malgré la faiblesse de son état de santé qui l’obligeait à rester dans un fauteuil roulant.
Le 14 mars 2007, lors de la séance du Sénat polonais qui reconnut à Irena Sendler la qualité d’héroïne nationale, en son absence (trop faible pour se déplacer), le président de la Pologne, Lech Kaczynski, s’exprima ainsi : « Elle mérite un grand respect de la part de la nation tout entière ».
Nobélisable
Par ailleurs, Lech Kaczynski préconisa la candidature de la résistante pour l’attribution du prix Nobel de la paix de 2007, parmi 180 autres "nominés".
Elle ne l’a pas obtenu en 2007. C’est Al Gore qui fut choisi avec beaucoup de regret pour les admirateurs d’Irena. Elle ne l’aura donc jamais, puisque ce prix ne peut pas être attribué à titre posthume.
L’attribution du prix Nobel à Irena Sendler aurait pourtant été très symbolique car il aurait été le premier attribué pour une action en rapport avec l’Holocauste.
Mais qu’importe finalement les titres assez artificiels d’un Panthéon terrestre.
Un exemple universel, hors du temps et de l’espace
Irena Sendler est partie sur la pointe des pieds, comme Germaine Tillion, en grande dame résistante et volontaire, dont l’action exemplaire donnera encore du courage à ceux qui doutent parfois de l’humanité.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (4 juin 2008)
Pour aller plus loin :
Une vidéo sur la vie d’Irena Sendlerowa.
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