La Grèce : l’Europe, les Européens
Le gouvernement grec d'Alexis Tsipras, à peine formé, a trouvé en face de lui ceux qui, avant les élections, avaient pris position contre Syriza, quelquefois même en se déplaçant à Athènes pour soutenir ses adversaires. Et maintenir en place socialistes du Pasok et conservateurs de Nea Dimokratia qui, au pouvoir alternativement de 1974 à 2012, avaient mis le pays en faillite avec leur complicité. Depuis l'éclatement de la crise, les uns et les autres s'entendaient pour en faire supporter les conséquences aux plus défavorisés.
Cette complicité ne date pas d'hier. Qui a admis la Grèce et d'autres pays, dans l'UE et dans la zone euro, en sachant qu'ils ne remplissaient pas les conditions requises ? Qui a trafiqué les comptes avec l'aide des banques dans lesquelles certains ont occupé de hautes fonctions ?
Les électeurs ont sanctionné électoralement les gouvernants grecs. Ils n'ont aucun pouvoir sur les banques qui ont aidé ces gouvernants, les institutions et les gouvernements européens qui n'ont rien voulu voir si ce n'est l'élargissement infini de l'UE.
Place de la République à Paris
Quel crime a commis le peuple grec pour être sanctionné ? Si ce n'est d'élire des représentants qui l'ont trahi ? Par des mensonges, de la corruption, largement tolérés au niveau international. Bien des peuples de l'UE commettent la même erreur depuis des années.
Depuis la crise qui a tout fait éclater, la politique imposée par la troïka a permis aux banques européennes de ne pas trop souffrir et conduit à un budget grec enfin en excédent primaire (hors paiement des intérêts de la dette) depuis 2013 et à un retour à la croissance en 2014. La CE se félicite de ces progrès accomplis mais « cet ajustement s'est fait au prix d'une compression des dépenses qui a touché les plus vulnérables, plutôt que de réformes structurelles » (FMI). En effet, le chômage frappe 26% de la population active et, quand tous les pays de l'UE ont augmenté leur salaire minimum depuis 2008, celui des Grecs a diminué de 14%.
Sur sa lancée, la troïka propose d'accentuer cette politique antisociale en reculant l'âge de départ à la retraite, en diminuant les pensions, en « réformant » le système de santé et de l'éducation nationale, en augmentant la TVA (déjà à 23%), en supprimant 25.000 postes de fonctionnaires alors que plus de 160 000 personnes, 20% de la fonction publique grecque, ont déjà été licenciées ou non remplacées depuis 2010.
Cette fois, la troïka est allée trop loin. Les électeurs ont signifié leur congé aux « partis de gouvernement », qu'ils se réclament de la gauche ou de la droite. Il a mis son espoir dans un parti, une équipe qui refuse la poursuite de cette austérité injuste.
Pour la première fois dans l’histoire de l'Europe en construction, un gouvernement veut respecter le mandat que lui ont donné les électeurs. Il y a là, pour tous les gouvernements en place, quelque chose de proprement stupéfiant. Par cette volonté, ce gouvernement incarne l'espoir non seulement des électeurs grecs mais aussi de tous ceux qui ont été trompés à la suite d'élections ou de référendums dont les résultats n'ont pas été respectés.
Manifestation de solidarité à Paris
Le gouvernement, nouvellement élu, a dû négocier, difficilement, pour trouver un accord, un premier compromis, sous peine de faillite immédiate, suite à la politique de ses prédécesseurs. Il a négocié non avec les technocrates anonymes de la troïka (BCE, FMI, CE), répudiés mais avec le président de l’Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem. Et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, parce qu'il est l'inspirateur de la politique économique de l'UE, parce que l'Allemagne est la première puissance économie et le premier, mais non le seul, on l'oublie toujours, pays contributeur au niveau européen.
Ces négociateurs sont soutenus, avant tout début de discussion, par le président de la BCE qui a fermé le robinet. Plus discrètement par le FMI et le président de la CE. Par les pays nordiques alignés sur l'Allemagne. Et aussi par les gouvernements du sud, en difficulté, Portugal et Espagne. Ceux-ci, ayant imposé la politique de la troïka à leur peuple, se sentiraient désavoués par une victoire même partielle du gouvernement grec. D'autant que les élections législatives approchent en Espagne où le PPE comme le PSOE risquent d'avoir des difficultés face à un « Podemos » qui monte en puissance.
Quant aux partis de gauche qui gouvernent, SPD allemand, Parti démocrate italien de Matteo Renzi, PS de François Hollande, la possibilité d'un soutien, d'une coalition a été une brève illusion contre compensation ?
Bien entendu, le gouvernement Tsipras ne pourra imposer, au niveau européen, tout le programme de Syriza. Mais un premier compromis a été passé qui donne quelques mois de répit pour avancer au delà de l'ultimatum européen initial. Dans l'accord, le gouvernement a fait figurer une certain nombre des mesures promises par Syriza :accès gratuit à des repas, aux services de santé fourniture d’électricité gratuite aux foyers les plus démunis, aide au logement…
A coté de ces mesures humanitaires qu'il a dû accepter, l'Eurogroupe pourrait être satisfait d'avoir à traiter avec un gouvernement qui veut s'attaquer au système clientéliste, rendre plus efficace et plus juste la collecte des impôts, entreprendre la chasse aux gros fraudeurs, la rationalisation des dépenses, la réorganisation de l'administration...
La partie la plus difficile a été recouverte d'un silence pudique ou de phrases diplomatiques lors de ce premier face à face : la dette. Tout le monde sait que la dette ne sera jamais intégralement remboursée. Mais aussi qu'elle ne sera pas purement et simplement annulée. Reste à formuler le compromis qui permette, à travers adaptation du taux et allongement de la maturité, de la rendre supportable sans empêcher la reprise des investissements. L'Eurogroupe semble aller dans ce sens qui dit que la Grèce devra « assurer les excédents primaires appropriés pour garantir la soutenabilité de la dette en ligne avec les déclarations de novembre 2012 de l'Eurogroupe ». Sans donner trop de précisions.
S'ils veulent maintenir l'euro et l'UE, les négociateurs européens devraient saisir cette possibilité car c'est probablement la dernière chance. La politique de l'UE sous la conduite de l'équipe Merkel suscite une opposition de plus en plus forte dans la plupart des États membres : opposition d'une droite nationaliste qui prône la sortie de l'euro et même l'éclatement de l'UE - FN qui monte en France, United Kindom Independance Party qui menace Cameron au Royaume-Uni, Alternativ für Deutschland qui inquiète le parti de Angela Merkel - et opposition d'une gauche « antiaustéritaire » mais encore proeuropéenne (Syriza, Podemos...). Choisir la rupture avec le gouvernement grec serait, pour l'UE, choisir la disparition de l'euro et de l'UE tels qu'ils existent aujourd'hui. C'est un choix probablement envisagé par certains au sein de l'UE et de l'Eurogroupe mais encore non assumé.
Ce serait une erreur de voir seulement dans l'épreuve de force actuelle un duel du jeune économiste grec Yanis Varufakis contre le gardien des traités Wolfgang Schaübe, un affrontement de la Grèce avec l'Allemagne et, encore moins, du peuple grec et du peuple allemand, même si certains veulent monter les uns contres les autres. Il s'agit de bien autre chose : « La vraie ligne de fracture - la seule qui compte et qui doit être clairement identifiée afin d'être mieux combattue - est celle qui sépare et qui oppose le monde des affaires et l'élite de la finance (ayant largement profité avant, pendant et après la crise) à la masse des salariés et des travailleurs de la classe moyenne allemande, française, grecque et autres » (La Tribune 23/02/15).
La « petite Grèce » (2 % de la population, 2 % du PIB de l'Europe) a enrayé, peut-être seulement pour un temps, le rouleau compresseur. Dans le dure partie qui se joue, le silence des peuples de l'UE est inquiétant. Lors de la bataille contre Hartz IV, quelques dizaines de militants se retrouvaient, tous les lundis, à « La rotonde de la Villette » à Paris pour exprimer leur solidarité des travailleurs allemands !!! Cela n'a pas beaucoup aidé les travailleurs allemands !!!
Manifestation de solidarité à Paris
Aujourd'hui, le peuple grec a besoin d'un tout autre soutien.
Les 3 mois qui viennent vont être décisifs pour le peuple grec mais aussi pour les peuples de l'UE. Peuples, syndicats, partis vont-ils se contenter d'observer le spectacle, de compter les points, de critiquer tel ou tel renoncement ? N'y a-t-il pas mieux à faire pour aider « Syriza » aujourd'hui et « Podemos » demain ?
Y aura-t-il une mobilisation européenne des peuples suffisante pour entrainer une réorientation de la politique européenne ?
Manifestation de solidarité à Paris
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