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Quelques rappels concernant la Grèce moderne
La
Grèce est un pays récent (première Indépendance en 1821). Il a été
formé à la suite d’un soulèvement nationaliste favorisé et financé par
les grandes puissances européennes de l’époque (Angleterre, France,
Russie) qui voyaient là un prolongement romantique à l’Antiquité, la
reconnaissance d’une culture dont ils se réclamaient les héritiers
ainsi qu’un affaiblissement de l’Empire ottoman.
Il
faut remarquer les difficultés que représente la fondation d’un pays à
partir de peu. Une première tentative pour instaurer une démocratie à
l’image de l’Athènes de Périklès se solde par l’assassinat de
Kapodistrias, un aristocrate démocrate, premier gouverneur de Grèce.
Réalisant que la démocratie est un apprentissage long et parfois
dangereux, l’Europe impose à la Grèce une monarchie en 1833. On va
chercher, pour gouverner le pays, un prince bavarois Othon (17 ans),
qui se désintéresse de cette terre aride ne comptant aucun ville
importante (Salonique n’est pas encore grecque à cette époque), ravagée
par le banditisme et la piraterie. Sa première préoccupation sera de
constituer une cour digne d’un roi, si oublié soit-il dans cette
contrée tellement excentrée, et d’implanter la capitale à Athènes qui
n’était alors qu’un village au pied de l’Acropole. De ce roi, avec
l’aide de son Premier ministre, naquit « la grande idée », référence
évidente à l’Antiquité puisqu’il s’agissait de reprendre aux Turcs les
territoires historiquement grecs (y compris Constantinople). Othon,
jugé piètre politicien, est renversé par un coup d’Etat militaire
(1862).
L’Assemblée nationale, résultat de la constitution qu’Othon avait fini par accepter
(sans toutefois la respecter), élit sous la pression européenne le roi
Georges Ier, d’origine danoise, à son tour assassiné en 1913 après un
long règne de cinquante ans. Sous son règne naquit l’importance du
service public dans un pays peu industrialisé et surtout cette habitude
de mettre en poste des individus, non pas en fonction de leurs
compétences, mais en échange de voix aux élections ou de services
rendus. Ce système, apparenté à du clientélisme, se révèle souvent
destructeur pour la démocratie et même pour l’Etat puisque les
élections deviennent des luttes acharnées dont dépendent les emplois de
bon nombre de citoyens. Chaque changement de tendance politique
implique un changement d’administration. Ainsi par exemple, entre 1870
et 1875, la Grèce connaît neuf changements de gouvernements engendrant
une situation de trouble permanent. Nous sommes à des périodes de
monarchies parlementaires souvent houleuses, entachées de coups d’Etats
et d’assassinats. Il faut attendre 1924 pour voir proclamée la Première
République grecque, faisant suite à une expédition militaire vers
Ankara, orchestrée par Vénizélos grisé par la résurgence de la Grande
Idée. L’incursion en terre turque se solda par
un échec militaire cuisant, entraînant la Grande Catastrophe (incendie
de Smyrne et déplacements massifs de populations entre la Turquie et la
Grèce). Jusqu’en 1974 la politique grecque sera caractérisée par une
grande instabilité, oscillant entre une monarchie contestée et une
tendance démocratique toujours menacée de dictature (Metaxas en 1936, Papadopoulos en 1967).
C’est seulement depuis 1974 que la Grèce connaît une véritable démocratie
C’est-à-dire un gouvernement à l’abri des coups d’Etats et des guerres
civiles, élu au suffrage universel (indirect). Cependant, à deux
exceptions près (K. Simitis de 1996 à 2004 et Georges Rallis de 1980 à
1981) le poste de Premier ministre est tenu par trois familles
historiques. La famille Papandréou (Georges Papandréou, trois fois
Premier ministre de 1944 à 1965, Andréas Papandréou, son fils, Premier ministre de 1981 à 1990, puis de 1993 à 1996 et
Georges Papandréou, son petit-fils, actuel candidat), la famille
Mitsotakis (K. Mitsotakis, neveu de Vénizélos, Premier ministre de 1990
à 1993. Sa fille est aujourd’hui ministre des Affaires étrangères) et
la famille Karamanlis (Konstantinos Karamanlis, Premier ministre de
1955 à 1963 puis de 1974 à 1980, Kostas Karamanlis, neveu de
Konstantinos, Premier ministre de 2004 à aujourd’hui et candidat pour
un nouveau mandat).
Difficile
pourtant de parler de népotisme pour des relations parfois tendues
entre les membres d’une même famille et pour des hommes
démocratiquement élus même si ce n’est pas directement (par tradition
c’est le président du parti majoritaire qui devient Premier ministre).
Toutefois la politique grecque ressemble beaucoup à une affaire de
famille. Les deux partis en alternance au pouvoir depuis 1974, la
Nouvelle Démocratie (les bleus) et le PASOK (les verts), ont de bonnes
chances de le rester encore longtemps pour la simple raison qu’ils ont
fourni un emploi (le plus souvent dans les grandes entreprises
publiques) ou un avantage décisif à bon nombre de citoyens qui se
trouvent ainsi liés à ces partis par un étrange rapport
d’interdépendance. Un petit groupe politique émergent, incapable
d’accorder de telles faveurs, se trouve ainsi réduit à la marginalité
et au vote de sympathie. D’autant qu’après ces passages répétés d’un
parti à l’autre, personne ne croit plus trop à l’argument idéologique
et à la bonne foi des candidats qui ont tendance à rivaliser de
promesses démagogiques, difficiles à tenir dans la conjoncture
actuelle. Le citoyen grec est devenu pragmatique et puisque, au-delà
des discours, la gestion du pays n’est pas très différente, autant
voter pour le parti qui permet de mieux tirer son épingle du jeu. Il
faut ajouter à cela que la majorité des citoyens votent dans son
village d’origine, là où on connaît personnellement le député candidat.
Le système de favoritisme est bien sûr incompatible avec l’anonymat.
Tout ce contexte donne aux élections grecques une dimension bien
particulière qui déchaîne chaque fois autant de passions.
Nous sommes bien loin de la démocratie athénienne de Périklès
Si
la Grèce est bien le berceau de la démocratie, elle est aussi,
l’histoire contemporaine l’a montré à maintes reprises, l’exemple de sa
fragilité et de ses possibilités de dérives. Difficile, compte tenu de
la formidable évolution des sociétés occidentales, de choisir en les
glorifiant des exemples aussi lointains pour les appliquer à des pays
dont la taille, la culture, la mentalité n’ont plus aucun rapport avec
ces communautés vieilles de 2 500 ans dans lesquelles on puise ce qui
nous arrange en occultant ce qui nous gêne.
Alors dimanche, les verts ou les bleus ?
Illustration : gauche, Kostas Karamanlis, droite, Georges Papandreou