Le changement sera institutionnel ou ne sera pas
Le changement politique sera institutionnel ou ne sera pas. Cette certitude plane depuis quelques années sur nos pays européens et semble mettre d’accord les hommes politiques de tous bords. De M. Giscard d’Estaing, corédacteur du projet de Constitution européenne, à M. Delors qui l’appelle de ces vœux, et avec lui la plupart des membres du Parti socialiste français, ils nous ont tous appelés à cette réforme même si, sur le papier, ils appartiennent à des formations politiques concurrentes (devrais-je dire concurrentielles ? ).
Cet article cherche avant tout à servir de prolongement à l’article de M. Christophe Beaudoin, coordinateur de la campagne "Non c’est non" pour le groupe Indépendance et Démocratie au Parlement européen http://www.noncnon.fr/, paru sur Agoravox le 24 mai 2007.
Louons l’initiative de ce groupe parlementaire qui défend l’idée d’une démocratie où le peuple est souverain. On peut regretter toutefois que l’idée s’arrête en chemin : dénoncer les abus de pouvoir, je cite « Le prochain président de la République ainsi que le Parlement élu en juin se trouveront devant une responsabilité historique : porter le Non du peuple français ou bien le trahir... Le condominium du Oui propose aujourd’hui un saucissonnage du traité constitutionnel, avec un simple changement de dénomination », et occulter totalement le problème institutionnel que cette question sous-entend, la Constitution française de 1958 autorise tout homme politique, de quelque tendance que ce soit, disposant d’une majorité parlementaire, à imposer à la nation ce que le peuple a refusé, relève à mon avis d’une réflexion non totalement aboutie.
Nous sommes d’accord, il faut donc bien poser le problème de nos institutions. Mais avant de le faire, il faut rappeler quelques principes de base incontestables.
1. La démocratie est une réponse des hommes au problème qu’ils ont avec les pouvoirs (E. Chouard).
2. Sans exception, « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument » (E. Chouard).
3. Depuis la nuit des temps, aussi vertueux soient-ils au départ, tous les hommes au pouvoir changent et finissent par abuser de ce pouvoir s’ils restent longtemps au pouvoir (E. Chouard).
4. Le pouvoir de faire une constitution appartient au peuple. On peut tout déléguer, sauf ce pouvoir-là (E. Chouard et moi-même).
Une « Constitution » est donc par essence un pacte imposé par les gouvernés, par un peuple, à leurs gouvernants, qui institue les pouvoirs et qui fixe surtout les limites de chaque pouvoir, sans exception. Une Constitution est un acte de défiance (E. Chouard et moi-même).
Montesquieu a montré qu’il fallait, par le moyen de la Constitution, affaiblir les pouvoirs, notamment le pouvoir exécutif qui est le plus dangereux, en séparant les pouvoirs et en contrôlant les pouvoirs (à tout moment, évidemment, et non pas seulement au moment des élections) (E. Chouard). La Constitution européenne, de toute évidence, ne répond pas à ces critères :
1. Il n’y a pas un peuple européen, mais des peuples européens.
2. Il n’y a pas réellement de séparation des pouvoirs, ni de contrôle des pouvoirs.
Chacun des peuples d’Europe a défini ses propres règles institutionnelles, souvent incompatibles avec les règles voulues par la Constitution Giscard, et tout particulièrement, sur les questions de la souveraineté. Peut-on s’étonner alors des mouvements souverainistes qui fleurissent en France ? A la simple lecture de la décision 2004-505 du Conseil constitutionnel http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2004/2004505/2004505dc.htm, on comprend l’inquiétude que soulève cette question de la souveraineté nationale. En fait depuis l’origine, chacun des actes réalisés par la construction européenne correspond à une volonté d’éloigner toujours un peu plus le citoyen du lieu où se décide son avenir, par la voie de transferts de compétences des états-nations vers l’Union européenne.
Sur la question du partage et du contrôle des pouvoirs, Montesquieu disait : « Je voudrais rechercher, dans tous les gouvernements modérés que nous connaissons, quelle est la distribution des pouvoirs, et calculer par-là les degrés de liberté dont chacun d’eux peut jouir ».
Ainsi peut-on répartir les pouvoirs : le Parlement fait les lois, mais ne les exécute pas, le gouvernement exécute les lois, mais ne peux pas les écrire. Ce n’est pas le projet contenu dans le TCE : le Parlement n’y a pas du tout l’initiative des lois (art L26 du TCE). Cette fonction peut même être réservée au conseil des ministres (procédures législatives spéciales art L34-2 du TCE). Voilà des ministres européens détenteurs de pouvoirs législatifs pour l’Europe et des pouvoirs exécutifs dans leurs pays.
Il faut aussi que chaque pouvoir ait à rendre des comptes et se sache contrôlé à tout moment. Laurent Lemasson http://www.institut-thomas-more.org/showNews/24 fait remarquer que le Parlement, tel qu’il est décrit dans le TCE, est composé d’une seule chambre, et qu’il est irresponsable : aucune procédure de dissolution n’est prévue. En dehors des élections, ce qui ne tient pas lieu de contre-pouvoir, rien ne remet en cause ses prérogatives.
Le Conseil européen et le conseil des ministres ne sont responsables devant personne au niveau européen (et il faut s’en remettre à la lointaine responsabilité nationale pour mettre en cause ses membres un par un) (E. Chouard).
La Cour européenne de justice (CJE), non élue, dont les juges dépendent directement des exécutifs qui les nomment, est aussi hors de contrôle (parlementaire ou citoyen). Elle joue à la fois le rôle de Cour de Cassation et de Conseil constitutionnel. On peut lire dans le livre de Paul Alliès, professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques à l’université de Montpellier, « Une constitution contre la démocratie », des explications passionnantes sur le danger que constitue la Cour de justice européenne : « La CJE s’est érigée peu à peu en véritable Cour suprême de l’Union... » (E. Chouard).
De l’ensemble de ces faits établis, il faut déduire que ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir ; ce n’est pas aux ministres, ce n’est pas aux parlementaires, ce n’est pas aux juges, d’écrire ou de réviser la Constitution, car ils sont, en l’occurrence, à la fois juges et parties : ils ont un intérêt personnel dans les règles qu’ils instituent et ils trichent en établissant des contrôles simulés et des pouvoirs citoyens factices (E. Chouard).
Les parlementaires et les ministres ne sont pas propriétaires de la souveraineté nationale, ils n’en sont que les dépositaires temporaires. Quand ils transfèrent notre souveraineté sans notre accord direct, sans référendum, ils se comportent comme des locataires qui vendraient la maison en douce (E. Chouard).
Nous sommes donc tous d’accord, il faut réformer nos institutions. Messieurs les politiques de tous bords, de tous pays européens, convoquez dès demain une Assemblée constituante.
Seulement, il nous faut un processus constituant honnête, une Assemblée constituante dans laquelle les membres n’écrivent pas des règles pour eux-mêmes, des membres indépendants des partis et de toute organisation qui exerce ou brigue le pouvoir (E. Chouard).
Et le seul moyen de désigner des constituants indépendants des hommes de pouvoir, c’est de faire parrainer des volontaires par chaque citoyen, sans se laisser imposer les candidats des partis. On peut ensuite choisir les constituants parmi ces volontaires hors partis : a) soit par tirage au sort, b) soit avec plusieurs tours successifs d’élection (E. Chouard).
Ces constituants devront accepter d’être déclaré inéligibles aux fonctions qu’ils instituent. En somme, il faut rigoureusement séparer le pouvoir constituant des pouvoirs constitués. Quand les citoyens auront réussi à imposer cette hygiène démocratique fondamentale, ils sortiront enfin de la « préhistoire de la démocratie » (E. Chouard).
M. Etienne Chouaard m’excusera certainement d’avoir largement récupéré les arguments sur son site pour l’élaboration de cet article, je suppose qu’il comprendra qu’il m’a convaincu en tout point, et que je me contente de véhiculer son aspiration à plus et mieux de démocratie. http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Aux_citoyens_d_ecrire_et_proteger_leur_constitution.rtf
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