Le G20 se soucie-t-il de l’emploi ? Et les Européens ?
Le G20 s’est à nouveau réuni fin juin sur fond d’une crise sociale dont on ne voit pas la sortie et qui se marque par un taux de chômage record dans le monde. Pourtant, les pays de ce club privilégié s’évertuent à laisser cette préoccupation de côté alors que d’autres institutions internationales continuent à s’y intéresser et à formuler des recommandations. Cela révèle en particulier soit l’influence limitée des pays européens dans les enceintes internationales, soit leur désintérêt pour cette question alors qu’ils prétendent faire de l’emploi l’une de leurs priorités majeures pour cette décennie.
Au-delà de l’incapacité pour les 4 pays européens présents (auxquels il faut ajouter la présidence espagnole de l’UE et la Commission européenne) de convaincre leurs partenaires sur l’impératif d’imposer une bank levy pour discipliner les institutions financières ou une taxe sur les transactions financières pour tempérer la volatilité excessive des marchés financiers, la manière dont l’emploi est esquivée par les 20 plus grandes puissances économiques mérite d’être soulignée alors que le Bureau International du Travail (BIT) a recensé que la moitié des 3 milliards de travailleurs que compte le monde occupent des emplois précaires et qu’il a alerté le chômage mondial connaît avec 210 millions de sans emploi un triste record historique.
Ainsi, la priorité absolue du G20 va à une « croissance forte, durable et soutenue » alors que la stratégie décennale (UE2020) adoptée par l’UE vise une « croissance verte, durable et inclusive ». La nuance terminologique recouvre en fait des orientations politiques sensiblement différente car les Vingt-sept se sont fixés l’objectif quantitatif (et donc vérifiables) et ambitieux de porter le taux d’emploi de 69 % à 75 % pour les 20-64 ans d’ici 2020.
Ce désintérêt pour les questions sociales transparaît à travers les 6 références à l’emploi (les termes " job " et " employment") dans la déclaration finale de 9 pages. Et encore, lorsque la question est abordée sur le fond, la déclaration se borne à insister sur les bienfaits de la libéralisation du commerce pour l’emploi et le G20 demande aux organisations internationales d’avancer des arguments en faveur de cette thèse pour novembre (§37) ! Il faut avoir la curiosité de lire l’Annexe I pour y découvrir deux paragraphes (13-14) portant spécifiquement sur les politiques de l’emploi.
Pourtant, les circonstances étaient plutôt favorables une meilleure prise en compte de l’emploi. L’Organisation Internationale du Travail a rappelé en ce mois de juin que le Pacte mondial pour l’emploi adopté en 2009 restait une feuille de route plus que pertinente pour surmonter la crise alors que l’emploi ne retourne généralement à son niveau d’avant-crise qu’après 4 à 5 années ; et pour résorber une partie du retard pris dans la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement, d’autant qu’il faudrait créer d’ici 2015 quelque 300 millions d’emploi pour rester en phase avec l’accroissement de la main-d’oeuvre...
En avril, à l’instar de ce qui se fait depuis 1999 pour les Ministres des Finances, un G20 des Ministres de l’Emploi et du Travail avait été convoqué par... le Sommet du G20 à Pittsburgh en septembre 2009. Cette réunion résultait d’une proposition non pas de l’UE mais de Barack Obama ! L’objectif était de mettre l’emploi au sommet de l’agenda du Sommet de Toronto, mais l’absence des conclusions de cette rencontre sur le site officiel du G20 semblait déjà annoncer l’échec.
Oubliée aussi la Charte mondiale pour une gouvernance économique durable à l’initiative de laquelle on trouvait la Chancelière Merkel qui avait rallié à cette idée rien de moins que l’OIT, l’OCDE, l’OMC et le FMI ( février 2009). Le Conseil européen en mars et en septembre s’était engagé à porter ce projet dans les discussions internationales et à le faire « adopter, ce qui constituerait un premier pas vers un ensemble de normes en matière de gouvernance mondiale. » ! Le Sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009 avait à son tour apporté son soutien et inscrit le point à l’agenda du Sommet de Pittsburgh. Les conclusions de celui-ci rendent compte de la volonté de continuer à y travailler dans la mesure où furent adoptés « les principes essentiels d’une activité économique durable qui comprendront les principes de rectitude, d’intégrité et de transparence, et viendront sous-tendre le Cadre ». Depuis, c’est le silence radio..
La préoccupation pour le verdissement de l’économie qui était apparue dans le communiqué de Pittsburgh s’est évanouie, elle aussi. Le G20 se contente de « réitérer l’engagement pris envers une reprise vert et une croissance globale durable » avant d’enchaîner immédiatement sur Cancun et un appel à retirer progressivement les subventions accordées par certains pays à la consommation d’énergie fossiles, tout en prenant en compte l’impact sur les populations les plus vulnérables (§§41-42). Même l’annexe I intitulée « The framework for strong, sustainable and balanced growth » (nous soulignons) qui pourtant va plus dans les détails reste décevante : le passage sur la consolidation fiscale ignore la contribution d’une éco-fiscalité bien pensée – comme l’a proposée Mario Monti dans son récent rapport sur la relance du marché intérieur – et la référence aux réformes structurelles ne pointe vers leur finalité qui serait la transition vers une économie verte, comme l’envisageait le G20 de Pittsburgh et la Stratégie de l’OCDE sur la Croissance Verte (§10).
Tout juste, peut-on se consoler de l’engagement (durable ?) pris (au §17 de l’annexe I) qu’alors que la Commission européenne tente d’enterrer sa communication d’août 2009 sur des indicateurs alternatifs au PIB, les pays du G20 affirment qu’ils « continueront à encourager les travaux sur les méthodes de mesures pour prendre en compte les dimensions sociale et environnementale du développement économique ».
En définitive, cette amère impression de sous-estimation des problèmes sociaux et l’apparente débandade des Etats membres qui contrastent avec les objectifs de la Stratégie UE2020 et les nouveaux objectifs du Traité de Lisbonne (dont le plein emploi) pourraient en fait ne refléter qu’une profonde indifférence pour ces questions.
En effet, le Comité de Politique Economique qui gravite autour du Conseil ECOFIN, la formation la plus influente des Conseils des Ministres de l’UE a produit récemment un document présentant cinq scénarii en fonction de l’ampleur des réformes à mener par les Etats membres et le degré de mise en oeuvre de ces réformes. Il en résulte que l’objectif du taux d’emploi serait manqué dans tous les cas de figure, sauf dans l’hypothèse d’une stratégie néolibérale reposant sur une réduction des salaires pour les faire coïncider avec leur niveau d’ « équilibre » ! Concrètement, cela passe par une réduction des cotisations et donc des prestations sociales, une décentralisation des négociations collectives et/ou un affaiblissement des syndicats. Ce scénario suppose également un glissement de l’impôt de l’emploi vers les plus qualifiés mais aussi vers la TVA , ce qui combiné à une réduction des allocations de chômage n’irait pas dans le sens d’une stratégie qui ambitionne également de sortir 20 millions de personnes de la pauvreté.
Certes, il n’appartient pas au G20 (pas plus qu’à n’importe quelle autorité publique) de décréter la création d’emploi mais on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce qu’il rappelle (ou pose) quelques balises à la lumière des évolutions des deux dernières années. En l’occurrence, que la compétitivité ne peut se fonder sur une concurrence salariale (ou au sens large, un affaiblissement des droits sociaux) pour des raisons de justice sociale mais aussi parce que les salaires alimentent la demande globale, que le dialogue social est crucial pour anticiper et gérer les changements à tous niveaux, que les aides d’Etat au sens large (prêts à des entreprises, régimes de chômage partiel, réduction de cotisations sociales et subsides salariaux)ne peuvent avoir pour effet d’exporter le chômage dans d’autres pays, que les travaux pionniers des Nations Unies entre autres sur les emplois verts offrent des perspectives encourageantes pour soutenir la lutte et l’adaptation au changement climatique, que ces politiques économique et financière, sociale, de l’emploi et environnementale doivent être coordonnées pour sortir des crises.
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