Le lobbying bruxellois : signe de santé démocratique ou complot occulte ?
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Bruxelles est souvent considérée comme le paradis des lobbyistes. On estime que plus de 3 000 représentants d’intérêts employant près de 15 000 personnes sont implantés au plus près des institutions européennes. Qui sont ces lobbys ? Que veulent-ils et comment opèrent-ils ?
Ces questions sont largement ignorées du grand public, ce qui nourrit encore plus de méfiance vis-à-vis de l’Union Européenne. « Bruxelles » apparaît ainsi souvent comme une alliance obscure de technocrates et de lobbyistes. Pourtant, le lobbying est une pratique totalement compatible avec la démocratie et elle est très saine pour le bon fonctionnement de l’Union européenne.
Les lobbyistes : qui sont-ils et que font-ils ?
Le lobbying se définit comme l’ensemble des actions mises en œuvre pour influencer les autorités publiques dans leur prise de décision. Cette pratique est extrêmement répandue à Bruxelles et est exercée par des organisations de natures très diverses : fédérations industrielles, entreprises, ONG, autorités publiques, think-tanks, organisations internationales…
Les cibles privilégiées des lobbyistes sont la Commission européenne et le Parlement européen. La Commission ayant la charge de l’initiative législative communautaire, on comprend l’importance pour des représentants d’intérêts de suivre de près son travail afin de s’assurer que les législations proposées aillent dans leur sens. La plupart des députés européens sont également très perméables au lobbying dans l’exercice de leurs prérogatives de co-législateurs.
Le lobbying : entre encouragement et réglementation par l’Union européenne
Les apparences laissent croire qu’une foule de représentants d’intérêts font sans cesse pression sur des décideurs politiques désemparés. Mais la réalité est bien différente. Les institutions européennes ne s’estiment en aucun cas être des victimes du lobbying. Au contraire, elles encouragent fortement cette pratique, qu’elles jugent nécessaire au bon fonctionnement de l’Union européenne. Depuis dix ans, la Commission a théorisé un modèle de « gouvernance » : dans un Livre Blanc de 2001 et un Livre Vert de 2006, elle a expliqué que l’Union européenne doit associer la société civile au travail législatif. L’objectif est de faire appel à l’expertise dont disposent les représentants d’intérêts pour prendre les meilleures décisions possibles. Cela doit permettre de tisser un réseau collaboratif entre les décideurs publics et les organisations jugées représentatives de la société civile (y compris les organisations économiques et les syndicats). Ces organisations représentatives sont vues comme des courroies de transmission permettant à terme de relayer la volonté des citoyens représentés.
On comprend dès lors le souhait d’encourager les pratiques de représentation et de lobbying, considérées comme des contributions à l’intérêt général européen. La Commission invite ainsi les différents lobbys à se structurer en organisations pan-européennes représentatives et susceptibles de devenir des partenaires du législateur.
La Commission conçoit essentiellement les lobbyistes comme des partenaires et des fournisseurs d’information, et rarement comme des éléments perturbateurs. Toutefois, elle estime qu’un lobbying légitime doit être réglementé et que la transparence doit être mise en avant. Le Livre Vert de 2006 fixe ainsi quelques lignes directrices sur ce que doit être un bon lobbyiste. Tout intérêt structuré est considéré comme légitime à être représenté, mais il est nécessaire que les lobbyistes précisent quelles sont leurs ressources et qui ils contactent dans les institutions européennes. La Commission et le Parlement ont ainsi créé des registres dans lesquels les représentants d’intérêts sont invités à donner des informations sur leurs activités.
Le lobbying : une nécessité pour le bon fonctionnement de l’Union européenne
La participation des représentants d’intérêts au travail législatif est une nécessité reconnue par les institutions. La Commission européenne étant une petite administration dénuée de moyens d’expertise, il lui est impossible de mener elle-même toutes les études qu’elle souhaiterait. Elle doit donc faire appel à ceux qui disposent de l’expertise : les représentants d’intérêts. La Commission organise ainsi systématiquement des consultations publiques pour solliciter la participation des organisations concernées par ses projets de législation. Les députés européens sont eux aussi très dépendants de l’expertise externe lorsqu’ils sont chargés de travailler sur des rapports techniques dont ils ne maitrisent pas toutes les dimensions. Il est donc normal pour eux de contacter spontanément les représentants d’intérêts. Tout cela est vécu par l’ensemble des acteurs comme un partenariat de long terme permettant d’élaborer de bonnes législations.
Le lobbying tel qu’il se pratique à Bruxelles est indéniablement transparent. Les pratiques de corruption sont extrêmement rares et très sévèrement sanctionnées par l’Union européenne. Le lobbying repose essentiellement sur la confiance mutuelle : s’il est extrêmement difficile de se construire une réputation, il est très facile de la détruire.
Quoi qu’il en soit, il revient au bout du compte aux décideurs politiques de prendre leurs responsabilités et de trancher entre les différents intérêts qui leur sont présentés. Mais au moins décident-ils en disposant d’une information variée.
Et les citoyens là-dedans ?
L’importance des pratiques de lobbying pose la question de ce qu’est la légitimité de l’action publique. Pour reprendre des concepts élaborés par le politologue Fritz Scharpf, la légitimité du décideur provient soit de sa désignation selon une procédure démocratique, soit de l’efficacité de son action. La Commission européenne fonde clairement sa légitimité sur la deuxième hypothèse. Elle n’a aucune raison de changer le système car le Parlement et les Etats membres s’en satisfont aussi.
Les citoyens sont-ils laissés de côté pour autant ? Il leur est certes toujours possible d’exprimer leur voix en élisant leurs députés, mais il est indéniable que la démocratie parlementaire européenne manque encore de maturité. Pourtant, le lobbying est loin d’être uniquement le fait des seuls intérêts privés et économiques : de très nombreuses organisations défendent des causes « civiques » (droit des minorités, environnement, droits de l’Homme…). Cela ne remplacera jamais un Parlement élu au suffrage universel, mais la porte est largement ouverte à un lobbying actif des organisations citoyennes.
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Illustration : Charlie McCreevy, à gauche, et Martin Power, chef de cabinet de Charlie McCreevy - 28/01/2008
Source :Service audiovisuel de la Commission européenne
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