Le Memorandum de Budapest : un souvenir lointain
En un temps où l’Ukraine voit l’intégrité de son territoire menacée de toute part, un traité signé peu après son indépendance nous rappelle la place qui est la sienne sur l’échiquier mondial.
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L’application des traités internationaux, quel qu’en soit l’objet, n’est garantie que par la bon vouloir des parties. Laissés à la discrétion des contractants, il n’est aucune autorité supranationale, un tant soit peu investie du pouvoir d’arbitrage, à même de juger de leur loyale application ou d’en sanctionner les violations. Après violation par l’un des signataires, le seul droit de la ou des parties lésées est de ne plus s’obliger au respect de leurs engagements respectifs, termes du traité.
En 1994, lorsque l’Ukraine signe avec la Russie, le Royaume-Uni, les Etats-Unis ainsi que, plus tardivement, la Chine et la France, l’accord multilatéral connu sous le nom de Mémorandum de Budapest, elle prend un engagement unique qui, de surcroît, se trouve être le seul intéressant les autres parties : Restituer à la toute nouvelle Fédération de Russie l’intégralité des armes nucléaires héritées de l’URSS lors de sa chute et encore en place sur son sol. Un total de 1900 têtes ! Partout, dans les chancelleries, c’est le soulagement… Et l’Ukraine tient son engagement en achevant le transfert des ogives vers la Russie dans les deux années qui suivent la signature. Accessoirement, elle adhère au Traité de non prolifération des armes nucléaires, une formalité.
Vingt ans plus tard, l’Ukraine, en plein marasme, n’a guère l’opportunité de se prévaloir des dispositions du Memorandum. N’ayant plus d’armes à livrer, elle se trouve être, alors , le signataire d’un accord sans contrepartie opposable. Et à Moscou, on l’a bien compris.
Que risque t’on, dès lors, à passer outres les garanties données ? Et de quelles garanties parle-t-on ?
Rien moins que la reconnaissance des frontières de l’Ukraine. Sur ce point, contrairement à une idée reçue, il n’existe aucune règle de Droit international. Le tracé des frontières de donne pas lieu à reconnaissance de la communauté internationale. Le processus de détermination des limites territoriales et donc d’exercice des souverainetés respectives n’implique que les états contigus. Ainsi donc, la France, la Chine ou les Etats-Unis ne sont en rien fondés à contester les frontières que l’Ukraine s’est fixées en accord avec ses voisins. Pas plus que l’ONU ou toute autre organisation internationale. Seules la souveraineté et l’indépendance des états sont reconnues et renvoient, dès lors, à l’application du Droit international ad hoc. Mais il n’est de frontière que convenue, ou conflictuelle...
Toute tentative de contester la légalité internationale des frontières de l’Ukraine, par quelque moyen que ce soit, est donc vaine. Et ce, quoi qu’il se murmure dans les agences de presse de l’Est ...
En revanche, toutes les parties au Memorandum de Budapest se doivent, selon les termes de l’accord, de « garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». De fait, une intégrité qui ne tient qu’au respect des frontières de l’Etat ukrainien telles que reconnues en 1994. Très logiquement, si l’Ukraine reste libre de renégocier sa frontière avec son voisin, elle conserve, en cas de litige et, plus encore, en cas de transgression, la faculté de se prévaloir du traité de Budapest et de réclamer l’intervention en sa faveur des puissances signataires. Mais aussi celle de l’ONU, ce en vertu du Droit international garantissant l’intégrité des états reconnus.
Certes, l’annexion de la Crimée ukrainienne par la Russie fût sanctionnée internationalement. Passons sur la légende toute Poutinienne selon laquelle le peuple criméen aurait réclamé à corps et à cris la tenu d’un référendum révélant, ô miracle, dans la plus sainte communion, le désir quasi-charnel d’annexion à la Russie, laquelle, sage dans son coin, n’y pensait même pas… Une cascade diplomatique que les manuels d’Histoire sauront retenir comme la plus belle tartufferie de ce début de XXI siècle. Si les sanctions d’ordre exclusivement économiques ont de lourdes et durables conséquences pour la Russie, elles se bornent à être protestataires. Fallait-il en faire davantage ? Il convient de reconnaître que les Etats-Unis, la France et le Royaume-uni ont honoré leurs engagements à l’égard du peuple ukrainien, ceux pris en 1994, sans mettre en péril la paix mondiale. Sans céder au catastrophisme ambiant, qui sait ce qu’auraient été les conséquences d’une intervention armée contre les ambitions russes…
Reste la question du Donbass séparatiste. Les Accords de Minks arbitrés, ceux-là, par la France, l’Allemagne et la Russie ne visent qu’une armistice entre belligérants, d’un côté, l’Ukraine de Kiev, de, l’autre celle russophile de Donetsk. Outre le fait d’être prétendument russophile, le Dombass est une région minière comptant à elle-seule pour 45 pourcent dans la production de charbon du pays. Se résoudre à s‘en séparer, après la confiscation de la Crimée, reviendrait pour l’Ukraine à accepter son démembrement. Or, c’est précisément à cette funeste éventualité que le Mémorandum de Budapest était censé parer. Les négociateurs de Minsk prévoient-ils d’arbitrer plus avant et dans la stricte observance du Memorandum ?
Une chose est sûre, en dépit des projets de fédération, l’Ukraine et le peuple ukrainien existent encore ; Encore et de plus en plus fort ; Réflexe de survie d’une nation qui n’en finit pas d’attendre l’arrivée des lendemains prospères, ceux qu’avait promis le divorce d’une Union soviétique dont elle était, jusqu’alors, la figure de proue méritante. De plus en plus fort et de plus en plus hostile, de plus en plus identitaire, mémorialiste, conservatrice, souverainiste : De plus en plus nationaliste. Dans l’adversité, l’Ukraine s’éloigne de l’Europe, antithèse des nationalismes, qui ne s’en approche guère qu’avec prudence. Elle s’isole, s’enferme avec ses vieux démons, les seuls encore qui, après le Maïdan sans lendemains de 2014, répondent comme ils sont toujours promptes à le faire à la détresse d’un peuple égaré. Alors, l’Ukraine fait peur ; Le rouge-brun de la terreur, de ceux qui ont pris les choses en main, s’engouffrant dans la brèche ouverte par des années d’inconséquence et de corruption gouvernementale, préside aujourd’hui à la destinée d’un peuple qui se tait.
L’Ukraine n’est plus qu’à la remorque d’elle-même. La toute récente décision de mettre fin au Traité d’amitié avec la Russie ne répond qu’en désespoir de cause aux trahisons de sa dangereuse voisine . Il y avait déjà eu les coupures d’eau à destination de la Crimée, les blocus sur le charbon du Donbass. Désormais, tout semble vain. Et le Memorandum de Budapest, d’un autre temps...
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