Le problème « Europe » a-t-il fait « Psssscchiiiittt » ?
Alors que la campagne électorale française bat son plein, un sujet reste opaque et pourtant terreau de bien des interrogations : L’Europe. Le « non » français au référendum serait-il en contradiction avec la présence de trois tenants du « oui » aux avant-postes ? Pourquoi si peu de débats et d’intérêt sur ce qui reste, aux yeux des Européens, comme un séisme politique sans précédent au coeur de ce qui était jusqu’à il y a peu le moteur de l’Europe ?
Même si ils s’en défendent de toute leur force, les politiques français ont pris l’habitude ces dernières années de considérer l’Europe comme un frein à leurs politiques, comme l’empêcheur de tourner en rond. L’Europe des technocrates, l’Europe de Bruxelles et du marché commun est tournée en dérision par l’extrême gauche et l’extrême droite et attaquée plus "diplomatiquement" par les tenants du PS, de l’UMP et de l’UDF. On aurait pu s’attendre dès lors à ce que le "non" français et l’Europe en général soient au coeur de la campagne.
Il n’en est rien.
Avant d’aborder les programmes des différents candidats sur l’Europe, attardons-nous sur le cheminement du "non" depuis le référendum, sur son impact sur la vie politique française et sur le formidable élan qu’il a pu lancer... et décevoir.
Le "non" au référendum regroupa (au niveau de la classe politique) :
- L’extrême gauche dans son ensemble,.
- Une partie non négligeable du Parti socialiste,
- L’extrême droite et une partie moindre de l’UMP.
Et du point de vue extérieur à la France, il s’agit d’une "coalition" assez troublante. Comme le relève dans un article d’opinion récent un assistant à l’Institut d’études juridiques européennes de l’Ulg :
"Les partisans du non de gauche se divisent.(...). Pas si simple de réconcilier communistes, troskystes, anarchistes, étatistes, souverainistes, altermondialistes et antilibéraux. Le "non" de droite quant à lui n’a jamais prétendu à l’unité. Messieurs Le Pen et De Villiers ne cachent pas leur haine réciproque."
La Libre Belgique,Section "Débats",11/04/2007
Et comme le montrent les candidatures à l’élection présidentielle comportant un nombre non négligeable de candidats d’extrême gauche, d’altermondialistes, d’extrême droite. Dès lors, on pourrait s’attendre à une vague sondagière en leur faveur, à ce qu’ils parlent "d’Europe, d’Europe,d’Europe" ! Mais ils parlent de "France ! France France !". Paradoxe ?
Oui et non.
Oui parce qu’ils n’ont cessé, durant la campagne référendaire, d’affirmer qu’une autre Europe était possible. Que l’on pouvait faire mieux et qu’il fallait donc rejeter le TCE car il n’était pas assez social, pas assez ceci, trop cela. Or, ils n’en font plus état. Ils parlent des problèmes français, des maux français : les patrons du Cac 40 qui encaissent des bénéfices (trop) importants, la gauche "molle" et la droite "dure", la crise du logement et la spéculation qui l’accompagne. Autrement dit, les sujets du quotidien des Français...
Non, car justement en toile de fond de ce quotidien se dresse l’Europe. On ne la cite pas clairement. On ne charge pas les moulins, mais on accuse les "délocalisations", "l’immigration", "les patrons", "le capitalisme".
Et là se situe le tragique du "non" qui ne peut se transposer du référendum à la présidentielle, de cette impossibilité de transposer le problème "Europe" tel quel et cela pour plusieurs raison s :
- Le Plan "B", "l’autre Europe" n’existe pas. Poignardé dans le dos par des querelles intestines au sein du camp du "non" (Comment convaincre les autres pays européens d’une autre Europe si on n’arrive pas à convaincre son voisin troskyste ?), il n’en reste que quelques dénonciations rituelles envers les technocrates mis en avant par P. De Villiers depuis des années.
- Les raisons diverses qui ont amené la victoire du "non" et la disparité de l’électorat qui a fait barrage au TCE. Electorat difficilement prêt à se rassembler sous une même bannière vu la myriade de raisons qui l’ont poussé à voter "non" : non au TCE, non à l’Europe en tant que telle, non au gouvernement, non à la dégradation économique de la France, ect.
- On pourrait encore rajouter que l’Europe ne fait pas recette dans une campagne électoral car trop "éloignée" des préoccupations du quotidien, trop "complexe" et dépendant de toute façon d’autres pays.
Au final, l’impact du "non" au référendum n’a pas changé l’équilibre politique français. Et, de ce fait, n’a pas obligé les tenants du "oui" (ou du "non") à proposer une autre politique européenne et à en parler durant la campagne. Le "non" ne s’est pas imposé comme facteur clé dans l’élection présidentielle française.
"Bref, ce n’est pas de ce côté [du non] qu’il nous faut chercher un projet cohérent et fondateur. Trop occupés à se disputer la paternité de cette grande victoire à la Pyrrhus, les partisans du non ont aujourd’hui perdu toute crédibilité."
"En face, les partisans du oui, et singulièrement les principaux candidats à l’élection présidentielle, n’ont toujours pas proposé de projets concrets pour sortir l’Union européenne de l’ornière."
Libre Belgique,Section "Débats",11/04/2007
En ce qui concerne les programmes des différents candidats, ils semblent bien pauvres par rapport à l’attente qu’aurait pu susciter le séisme référendaire.
L’on constate que M. Schivardi demande le retrait immédiat des traités européens alors que J-M Le Pen a adouci son discours notamment sur l’euro.L’extrême gauche dans son ensemble fustige l’Europe libérale et prône "l’union des peuples". Tout ceci restant dans le cadre idéologique qu’ils défendent, le "non" au référendum ayant soutenu, en apparence, cette idéologie mais ne se traduisant en rien par un soutien réel dans les chiffres(1). Et ceci pour les raisons explicitées plus haut.
Nicolas Sarkozy propose de sauver "cette Europe des échecs, cette Europe qui ne protège pas...". Il compte passer par la voie parlementaire mais devra de toute façon négocier un "mini-traité" ou tout autre chose acceptable par les partenaires européens. (2)
Ségolène Royal, dans la droite ligne de sa démocratie participative, parle d’un "référendum" sur un autre traité. Quel traité ? Avec quels pays européens ? (3)
François Bayrou désire refonder l’Europe sur un groupe plus restreint de pays (La zone "euro" vraisemblablement) mais "il semble ommettre que cette volonté fédéraliste n’est pas partagée par l’ensemble des pays de la zone euro (Cfr Pays-Bas)". Il propose aussi une sorte de traité simplifié.(4)
Autrement dit, quel que soit leur vote premier au référendum, l’ensemble des candidats avance à l’aveuglette et sans ligne directrice claire :
- Les tenants du "non" en raison de leur éclatement et d’une quasi-impossibilité de mettre sur pied un projet cohérent ;
- Les tenants du "oui" car étant soumis aux impératifs européens de négociation avec les autres pays et ne sachant pas trop comment gérer le "non" du référendum vu qu’il n’affecte guère leurs scores électoraux.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’Europe passe au second plan. Mais malgré ce silence que leur impose la vacuité de leurs différents programmes, l’Europe reste une toile de fond sur laquelle se dessine l’ensemble des récriminations d’une partie de la population française à qui la classe politique a donné la peinture et le pinceau depuis l’introduction de l’euro et la fin de la phase "euphorique" européenne. Fin qui coïncide, étrangement, avec un recul de la croissance européenne et américaine.
Aussi, il serait temps que la France s’interroge sur le sens véritable que porte le "non" au référendum, sur le partage des responsabilités entre l’Europe et la France vis-à-vis de la situation économique actuelle et sur l’avenir européen que désire les Français. Il est donc primordial de rétablir le débat sur l’Europe dans cette campagne pour sortir de la dénonciation des "technocrates" ou de l’admiration béate du "marché commun", d’interroger plus directement les candidats tant du "oui" que du "non" sur leur vision de l’Europe et d’en finir avec ces regards vengeurs tournés vers Bruxelles, Strasbourg ou la BCE.
(1) Pour l’instant, les trois principaux tenants du "oui" totalisent entre 65 et 70% des intentions de vote. Lien
(2)"J’ai proposé à nos partenaires un traité simplifié, limité aux questions institutionnelles que nul l’a contestées pendant la campagne référendaire, afin que l’Europe se dote rapidement des moyens de fonctionner efficacement à 27 Etats membres. La question de la réécriture d’un texte plus global, scellant la dimension fondamentalement politique de l’Europe se posera dans un second temps." Nicolas Sarkozy, Mon Projet. Point 6 : L’Europe doit protéger dans la mondialisation.
(3)Proposition 88 : "Construire une Europe plus protectrice et plus en phase avec les besoins de ses citoyens". Proposition 89 : "Créer un gouvernement de la zone euro". Proposition 91 : "Négocier un traité institutionnel soumis à référendum pour que l’Europe fonctionne de manière plus démocratique et plus efficace." Ségolène Royal, 100 propositions.
(4)"Ecire un nouveau projet de constitution court, compréhensible par tous, qui précise clairement les droits des citoyens et comment sont prises les décisions européennes. il sera soumis par référendum au vote des Français.(...) Harmoniser nos politiques fiscales dans la zone euro, pour lutter contre le dumping fiscal." François Bayrou. Programme d’action de François Bayrou.
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