Le rôle des médias belges dans le débat politique actuel : un pouvoir de réunification qui reste partisan
L’impact des médias sur l’opinion publique est connu et reconnu, depuis longtemps, à la fois par celui qui les suit, et par le monde politique qui les observe. La particularité de la cohabitation de deux groupes linguistiques principaux dans un même Etat, en Belgique, cette particularité qui se retrouve dans les institutions, la répartition des pouvoirs, le vécu quotidien de ceux qui vivent sur un territoire polyglotte, se retrouve également dans les médias. Cet article va essayer de montrer de quelle manière ceux-ci sont, par la séparation linguistique, amenés à jouer un rôle dans le problème de l’identité belge, là où leur puissance d’influence pourrait très simplement donner des perspectives communes aux deux communautés.
Je vais commencer par montrer que l’évidence apparente du concept de conflit linguistique cache en réalité un univers très complexe, en débutant ce cheminement de pensée autour de ce qu’est l’homme politique.
Les hommes politiques. Tout un programme de parler d’eux, me direz-vous. Je vais essayer. Je vais me mettre à leur place. "Bon, ça y est, j’avais des idées, un certain regard sur la Belgique et le monde, et on m’a élu. Maintenant, je vais devoir faire ou en tout cas essayer de faire ce que je me suis engagé à faire. Auprès de ceux qui ont voté pour moi et mes idées. Et puis, je verrai bien comment ils réagissent aux imprévus." Voilà, ça tient à ça. Mais il y a le monde politique et la construction juridique belge, très particuliers, qui compliquent ce qui a commencé simplement. On n’est pas en France avec la voie royale à la présidence républicaine.
Et dans les faits, ce qui se passe est effectivement très complexe, je me demande parfois si chaque Belge pour pouvoir prendre parti ne doit pas être politologue, ce qui n’est pas mon cas. En gros, il y a les Flamands qui veulent plus qu’ils n’ont, et refusent de concéder quoi que ce soit. Puis, il y a les francophones qui n’ont pas beaucoup et qui se disent que, si on leur prend plus, ils n’auront plus rien. Maintenant, reste à savoir ce qu’est un Flamand et un francophone. Bon, c’est simple : ils parlent réciproquement le flamand et le français. Pas étonnant qu’ils ne se comprennent pas ! Ah, mais, en fait, ils arrivent très bien à parler la langue de l’autre, quand ils veulent. Faudrait pas imaginer que ce ne soit qu’un conflit linguistique. C’est un conflit sur le financement des régions et communautés, et la répartition des territoires périphériques de Bruxelles. Territoires riches, ce qui revient à dire lié au financement.
Je crois, si je ne me trompe pas, qu’en Italie, ils ont aussi ce problème de financement entre régions riches et régions pauvres. Et les régions riches veulent devenir autonomes, comme ici on va dire "à l’extrême" en Flandre. Mais le problème, s’il est récurrent, est vite effacé par l’argument de solidarité nationale, enfin j’imagine. Je me demande quelle est la raison pour laquelle cette solidarité nationale met tant de temps à se manifester en Belgique. Au niveau politique, en tout cas. "Les riches veulent tout pour eux et abandonner les pauvres", c’est pas vraiment un argument de campagne électorale.
Pour poursuivre cette petite réflexion que j’espère de bon sens, je recherche la raison pour laquelle les riches Belges envisagent, en tout honneur, de laisser les Belges moins riches s’en sortir sans eux. Il doit y avoir quelque chose qui joue à la fois sur la séparation entre riches et pauvres et sur l’honneur qu’ils ont (ou pas) de leurs identités. Ah, mais il se fait que, justement, les riches sont ceux qui parlent flamand, et les pauvres, le français. Et voilà le cœur du problème : il y a une construction de l’identité linguistique qui cache des intérêts financiers. Je crois que si on parlait tous la même langue, le problème serait presque le même : comme en Italie. Et, comme en Italie, le problème resterait mineur.
La solution que je m’imagine, c’est de déconstruire cette identité linguistique. Je suis naïf peut-être, mais si DEUS arrive à réunir dans un concert polyglotte, on pourrait imaginer quelque chose du même ordre à un autre niveau. Lorsque je me mets à la place des hommes politiques, avec leur équipe d’observation des médias et de l’opinion, ils se soucient de ceux qui ont voté pour eux. Et on vote en fonction de la langue, et donc les médias surveillés par le politique sont ceux de son groupe linguistique. En tout cas, c’est lui qu’il va essayer de satisfaire, là où les médias de l’autre groupe seront vus comme propagandistes, identitaires, etc.
Et puis. Triste Belgique où les médias le sont effectivement, où le vecteur "langue parlée" véhicule des idées engagées à ceux "dont la langue signifie riche ou pauvre". Moi, très personnellement, je crois à l’immense responsabilité des médias dans toute cette histoire. Ils agissent comme un écho qui s’amplifie entre le discours journalistique et le discours politique, qui résonnent en commun. Je trouve que l’initiative du Soir et du Standaart, qui était simplement de faire paraître dans une édition traduite le journal de l’autre communauté, était excellente. Et qu’il faudrait aller plus loin, rendre cette action pérenne, jusqu’à fusionner les opinions au-delà des identités linguistiques, pour retrouver une identité belge traduite en deux langues, et qui autorise une vision globale de ce qui se passe, et pas une demi-vision, systématiquement partisane.
Celui ou celle qui trouvera le courage de parler à tous les Belges de ce qui se passe, en tenant le même discours clair sur toute cette mesquinerie identitaire et sur le délabrement réel de certaines parties du pays, celui-là qui arrivera à envoyer aux politiques une image unie de ce que pense le Belge, celui-là qui les réunifiera tous dans une opinion commune, celui-là, je crois qu’il tendra la solution clés en main aux hommes politiques. Ou, pour le dire autrement, si un journal d’une des deux communautés avait le courage de sortir en édition traduite, non seulement le contenu, mais également le lectorat, se trouveraient élargis. Quel francophone ne s’est jamais demandé ce dont était fait l’actualité flamande, et le contraire est vrai aussi. La solution : diffuser un contenu critique de l’actualité en bilingue, avec la responsabilité de former une vision unie et distanciée à ce qui se passe dans tout notre pays.
On me reprochera peut-être d’être simpliste, de postuler l’existence d’une "identité belge" là où il n’y a que des conflits, de réduire flamand à "riche et égoïste" ou encore francophone à "pauvre et misérable". De me dire que l’opinion repose exclusivement sur le médiatique sur lequel repose également le politique. Mais, dans les faits, il y a une identité belge, et si on en vient à se dire qu’il n’y a que des communautés, c’est par le parti pris des médias qui défendent les intérêts de son auditorat. Les connaissances que nous avons de ce qui se passe dans le débat politique est toujours orienté par le vecteur linguistique, ce qui construit cette identité de la langue, dans une confusion entre communauté et richesse. Sortir du "conflit entre communauté" pourrait très bien passer par le dépassement de ce vecteur linguistique pour dire les intérêts au-delà de l’identité communautaire, et sous cet angle global de la situation belge, le discours partisan laisserait place à ce qui me semble être la seule solution possible, quand on quitte l’identitaire : la solidarité.
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON