Le statut de Gibraltar
Le traité d’Utrecht a été conclu le 13 juillet 1713, opérant la cession de Gibraltar par la Couronne d’Espagne à la Couronne d’Angleterre. Son article X est celui qui fait encore débat aujourd’hui entre les deux Etats. Par cet article, l’Espagne cède à la Grande-Bretagne, à perpétuité (« pour toujours »), la propriété de Gibraltar, mais « sans aucune juridiction territoriale ». Cette particularité est l’un des fondements de la revendication espagnole sur le rocher. Mais l’essentiel réside dans le dernier paragraphe de cet article X. Il indique clairement que si la Grande-Bretagne décidait d’abandonner Gibraltar, le sort du rocher dépendrait de l’Espagne, désignée comme prioritaire pour « racheter » le territoire. Le contentieux est toujours aussi prégnant dans les relations entre les deux Etats mais pose aussi un problème pour l’Union européenne, puisque Gibraltar bénéficie d’un régime spécial. Dès lors, il nous semble que le réel intérêt de la question réside dans l’étude de ce régime spécial au sein de l’Union européenne et non pas en un historique des disputes anglo-espagnoles sur le sujet.
Ø Gibraltar et l’ordre juridique
international
La Cour européenne des droits de l’homme rappelle
que Gibraltar est un « territoire dépendant du Royaume-Uni.
C’est un dominion de Sa Majesté la Reine, mais il ne fait pas partie du
Royaume-Uni ».
Gibraltar
demeure également tenu pour un territoire colonial sous administration. C’est
en tout cas la thèse qui a prévalu au sein des Nations unies, l’Assemblée
générale invitant l’Espagne et le Royaume-Uni à poursuivre leurs négociations
en vue de parvenir à la « décolonisation ».
Ø Gibraltar et l’ordre juridique
communautaire
Toujours selon la CEDH, « le traité instituant la Communauté
européenne s’applique à Gibraltar en vertu de son article 227.4. En vertu du traité d’adhésion du Royaume-Uni aux Communautés, Gibraltar se trouve exclu de
certaines parties du TCE ».
- Une
soumission de Gibraltar au droit communautaire
Aux termes de l’article 299 du Traité CE révisé, les
dispositions du traité de Rome « s’appliquent aux territoires européens
dont un Etat membre assume les relations extérieures ». C’est l’adhésion britannique qui a fourni un aspect
pratique à cet article, Gibraltar étant le premier de ces territoires. Sauf
exception, toutes les règles et politiques du traité doivent s’appliquer à
l’égard de Gibraltar.
- Les
domaines (provisoirement) exclus par le traité d’adhésion britannique aux
Communautés
Les ressources naturelles sont très faibles à Gibraltar. Le territoire
manque des facteurs basiques pour développer une véritable industrie :
énergie, capital humain, eau et un espace physique suffisant. Le secteur
industriel ne comporte que de la réparation d’embarcations militaires...
L’activité agricole est simplement symbolique, le secteur primaire est
quasi inexistant. Par conséquent, l’économie est centrée sur les
services : tourisme, commerce, les banques et certaines activités
portuaires. Cela explique les différents domaines desquels Gibraltar est exclu.
Gibraltar se vit dès l’origine reconnaître un traitement dérogatoire. L’article 28 de l’Acte d’adhésion l’exclut ainsi du champ d’application de la politique agricole commune et des mesures de politique commerciale affectant les produits agricoles comme du champ d’harmonisation adoptées dans le domaine de la taxe sur le chiffre d’affaires.
D’autre part, les diverses directives communautaires successivement
adoptées dans le domaine de la TVA ne s’appliquent pas à Gibraltar.
De même, bien que l’article 28 de l’acte d’adhésion et l’Annexe I (73) de
ce dernier définissant le « territoire douanier communautaire »
n’excluent expréssement Gibraltar des règles sur l’union douanière, le fait que
ce règlement précise ne s’appliquer qu’au territoire du Royaume-Uni et
d’Irlande du Nord et aux îles anglo-normandes et de Man est interprété comme
une exclusion implicite de Gibraltar. Dès lors, les barrières physiques
douanières (droits de douane...) sont présentes.
De plus, Gibraltar est soustrait aux dispositions concernant la libre
circulation des marchandises et est traité comme un pays tiers au niveau de
la politique commerciale commune. Ainsi, dans un règlement du Conseil
288/82, relatif aux règles communes pour les importations qui font partie de la
politique commerciale commune définie à l’article 113 CE, Gibraltar se trouve
compris parmi les pays tiers. Autre aspect de la question, c’est celui des
contrôles sur les personnes à la frontière de Gibraltar. Les marchandises
portées par les personnes, qu’elles aillent de Gibraltar vers la Communauté
européenne ou l’inverse, ne sont pas exclues de contrôles, du fait de la non
participation de Gibraltar à l’union douanière.
- Un sujet
plus délicat : Gibraltar et la politique fiscale communautaire
Les articles relatifs au sujet de la politique fiscale (articles 95 à 99 CE) et l’Acte d’adhésion précisent que les actes des institutions communautaires en matière d’harmonisation des législations relatives aux impôts ne seront pas applicables à Gibraltar. L’isthme n’est pas contraint par les mesures de non discrimination des articles 95 à 98 et ne se trouve fiscalement harmonisé comme le reste de la Communauté européenne. Ainsi, la TVA est exclue par l’article 28 de l’Acte d’adhésion. En définitive, Gibraltar dispose d’une absolue liberté et autonomie pour appliquer ses tarifs aux produits passant par sa douane ainsi que les prix extrêmement bas des produits soumis aux impôts indirects, notamment le tabac, l’alcool et l’essence. Dès lors, Gibraltar est considéré comme un paradis fiscal, même si l’exclusion de certaines politiques communes n’explique pas totalement cette situation. Gibraltar offre un statut spécialement favorable aux entreprises, ce qui a provoqué une spectaculaire concentration de compagnies bancaires.
- Gibraltar
et les élections du Parlement européen
Une question politiquement sensible a toujours concerné l’absence de participation des habitants de Gibraltar aux différents processus électoraux envisagés par les traités.
Bien que l’article 299.4 du traité CE consolidé semble a priori commander
l’application des règles du droit communautaire en ce domaine à Gibraltar, une
telle application a été systématiquement écartée jusqu’en 2004. Les habitants
de Gibraltar furent privés du droit d’élire des parlementaires européens en
vertu de l’Acte portant élection des représentants au suffrage universel
direct, annexé à la décision du Conseil du 20 septembre 1976. L’Annexe II
énonce que « le Royaume-Uni appliquera les dispositions du présent acte
uniquement en ce qui concerne le Royaume-Uni ». L’exclusion de
Gibraltar du territoire électoral européen fut le résultat d’un acte
conventionnel conclu par les Etats membres sur recommandation du Conseil et
conformément aux règles du traité.
En 2004, les habitants de Gibraltar ont toutefois voté
pour la première fois aux élections européennes. En effet, en 2003, le
Royaume-Uni a institué une nouvelle circonscription électorale qui rattache
Gibraltar à une circonscription existante de l’Angleterre et a créé un registre
électoral spécial. Ceci été confirmé par un arrêt de la CJCE du 12 septembre
2006, Royaume d’Espagne c/Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du
Nord, l’Espagne soutient
que, en prévoyant le rattachement du territoire de Gibraltar à une
circonscription électorale existante en Angleterre, le Royaume-Uni a violé
l’annexe I de l’acte de 1976 et sa déclaration du 18 février 2002. Une des conclusions de la
CJCE est la suivante : « Dès lors, en l’état actuel du droit
communautaire, la détermination des titulaires du droit de vote et
d’éligibilité aux élections au Parlement européen appartient à la compétence de
chaque État membre dans le respect du droit communautaire. Les articles
pertinents du traité CE ne s’opposent pas à ce que les États membres octroient
ce droit de vote et d’éligibilité à des personnes déterminées ayant des liens
étroits avec eux, autres que leurs propres ressortissants ou que les citoyens
de l’Union résidant sur leur territoire », confirmant ainsi le droite
pour les habitants de Gibraltar de voter aux élections européennes.
- Gibraltar
et les fonds structurels européens au Royaume-Uni (2000-2006)
Gibraltar bénéficie d’un programme de l’Objectif 2, des trois volets de l’Initiative de coopération INTERREG III, ainsi que d’un financement visant, au titre de l’Objectif 3, à soutenir les politiques en faveur de l’éducation, de la formation et de l’emploi.
- Objectif 2 : les fonds structurels
allouent 8,746 millions d’euros sur un coût total de 20,294 millions d’euros,
s’articulant autour d’un même axe prioritaire, à savoir une diversification
économique durable.
- Interreg III : Gibraltar prend part à un programme de coopération transfrontalière INTERREG IIIA avec le Maroc, qui bénéficie des fonds octroyés à l’UE au titre du programme MEDA.
Ø
L’impact
sur l’application du traité du contentieux hispano-britannique
a.
Premier
différend : le territoire situé au Nord de l’isthme
Cette portion territoriale devrait être
soumise à la totalité des règles du traité en vertu de l’article 299.1 CE s’il
s’agit d’un territoire espagnol, soit être soumise uniquement aux règles
applicables à Gibraltar en vertu de l’acte d’adhésion britannique.
b.
Deuxième
différend : l’aéroport de Gibraltar
Les difficultés les plus aigues sont apparues
sur ce sujet. Bien qu’il semble que la politique communuautaire des transports
doive s’appliquer à cet aéroport, ce dernier s’est retrouvé soustrait au champ
d’application de diverses mesures successives de droit dérivé visant à la
libéralisation des transports, en raison du veto espagnol. Cependant, une
solution a été trouvée entre Anglais et Espagnols (Déclaration de Londres du 2
décembre 1987 portant sur un usage conjoint de l’aéroport).
Ø
Gibraltar
et le Traité constitutionnel
Le Projet de Traité constitutionnel de l’UE
est accompagné de certains changements. Le régime spécial prévu dans l’Acte
d’adhésion, annexé désormais dans un protocole au Traité constitutionnel n’est
pas modifié. Ce régime spécial a été créé en 1972, est-il encore bon de vivre
sous ce régime qui porte préjudice à l’efficacité des politiques communes de
l’UE ?
Cependant, deux questions méritent une
attention particulière. D’une part, la fusion des piliers va impliquer la
communautarisation de l’actuelle Coopération policière et judiciaire en matière
pénale (CPJP) et de cette façon l’application à Gibraltar des décisions qui
sont prises dans ce cadre.
De plus, la bataille est réellement entamée
par l’Union européenne contre les paradis fiscaux. Il est certain que le projet
de Traité renforce cette ligne, en accordant à l’Union une base juridique pour
harmoniser la législation en matière de sociétés à la majorité qualifiée, face
à l’unanimité aujourd’hui requise.
En dernier ressort, la normalisation de la zone sera effective seulement avec la disparition du
régime spécial et avec la pleine intégration de Gibraltar dans l’espace
communautaire. Celle-ci sera la façon d’obtenir un espace économique et social
homogène dans le contexte de l’Union Européenne. Cependant, cet objectif ne
peut s’inscrire qu’à long terme, étroitement lié à la question de la frontière
extérieure communautaire.
Ø
Conclusion
Le contexte reste relativement tendu entre Anglais et Espagnols. D’autre part, les habitants de Gibraltar tendent à vouloir avoir leur mot à dire et s’opposent à tout rattachement à l’Espagne.
La situation est aussi tendue en raison du statut de paradis fiscal de
Gibraltar, ce qui déplaît de plus en plus à la Communauté européenne.
Ø
Bibliographie
- Groom, A.J.R, “Gibraltar
: a pebble in the EU’s shoe”, Mediterranean Politics,
1998, N°3
-
Izquierdo Sans,. Cristina, Gibraltar en la Unión Europea : consecuencias
sobre el contencioso hispano-británico y el proceso de construcción europea,
Madrid, Tecnos, Universidad Autónoma, [1996].
- Muller Karis, “Being European in Gibraltar”, Journal of European Integration, Volume
26, Number 1 / March 2004.
- Schutter de, Olivier, « La Cour européenne des Droits de l’Homme, juge
du droit communautaire : Gibraltar, l’Union européenne et la Covention
européenne des droits de l’Homme », Cahiers de droit européen,
n°1-2, septembre 2000.
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