Les frontières artificielles : sources de guerres
Dans les années cinquante, on a appris aux écoliers yougoslaves que leur pays avait été découpé en six républiques et deux régions autonomes afin de permettre un développement harmonieux des cinq nations ainsi que des nombreuses minorités constituant ce pays. On institait sur le fait que les frontières internes avaient été tracées de manière à ne pas séparer mais au contraire, à mieux lier les nations yougoslaves : "un soin particulier avait été pris qu’une même ethnie se trouve des deux cotés d’une frontière". Il est très probable que les déclarations semblables ont été faites et aux Azeris pour justifier ce curieux tracé de leurs frontières ; il doit en être de même dans le cas des frontières entre la Géorgie et l’Ossétie du Nord, entre la Moldavie et l’Ukraine et entre la Russie et l’Ukraine.
Le pouvoir communiste, qui n’a jamais su résoudre aucun problème interethnique, faisait tout pour que le seul lien unissant un pays soit le pouvoir du partie communiste dirigeant. Durant la période où ce pouvoir a écrasé toute initiative qui n’était pas conforme aux directives du Comité central, les frontières arbitraires n’étaient pas en soi une source particulière de conflits. Mais, dés que le pouvoir s’est écroulé en Europe de l’Est et dès que les apparatchiks, soucieux de conserver leur pouvoir et leurs privilèges acquis, se sont lancés dans le créneau nationaliste, les Etats à population multi nationaliste se sont trouvés au bord de l’éclatement. Les référendums biaisés ("Voulez vous être libre, vivre dans un pays souverain, indépendant et démocratique ?"), les promesses vagues quant à une intégration rapide dans la communauté occidentale et refus de continuer de vivre dans une société totalitaire ont eu un franc succès parmi la population consultée. Comment pouvait-il en être autrement ?
Les résultats éclatants des référendums, accompagnés par les déclarations de principe quant au passage à une économie de marché, suffisaient pour démontrer aux crédules occidentaux qu’encore une nation de l’Est choisissait la voie de l’indépendance, de la démocratie enfin, que cet état-nation demandait à être reconnu dans les plus brefs délais et faire partie de la grande communauté occidentale.
Mais, tout ceci, dans quelles frontières ? Parce que il n’y pas de pays sans frontières et celles-ci ont été, depuis toujours, sources de conflits avec les voisins. Comment les départager sans semer des grains de discorde et de futurs conflits ? Et surtout, sans oublier de tenir compte des héritages historiques, religieux, politiques ?
Les exemples ne manquent pas. les Arméniens et les Géorgiens ont fait barrage, avec les souffrances que l’on connaît, à la pénétration de l’islam dans la région transcaucasienne, les Azeris et (en partie) les Ossètes n’étaient que les avant-gardes des envahisseurs turcs et iraniens. Les massacres massifs sont restés granés dans la mémoire populaire. Les Serbes de Krajina et de Slavonie ont été durant trois siècles l’épine dorsale des forces armées de l’Empire austro-hongrois dans les "confins militaires" empêchant la pénétration turque en Europe centrale par la Croatie et la Slovenie. Leur liquidation en tant d’ethnie orthodoxe a commencé après l’entrée de l’armée austro-hongroise en Bosnie-Herzégovine en 1878 et à la suppression des confins militaires devenus obsolètes. Durement opprimés par l’Autriche-Hongrie après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908, ayant subi un terrible génocide par les oustachis croates de l’état croate "ethniquement pur", les Serbes de Krajina sont devenus, des l’été 1941, le noyau de la résistance populaire menée par Mihailovic et Tito.
Les Serbes de Bosnie-Herzégovine se sont réfugies dans les collines et les hauts plateaux d’où ils ont mené la résistance contre les Turcs durant plus de quatre siècles. Ils ont failli chasser les Turcs et leurs collaborateurs islamisés lors du soulèvement populaire 1875-1878 ; cette victoire a été détournée au profit de l’Autriche-Hongrie à laquelle les puissances européennes, réunies au Congres de Berlin en 1878, ont confié la Bosnie-Herzégovine au titre d’un protectorat à exercer "au nom du sultan". Quand, trente années après, en 1908, l’Autriche-Hongrie a annexé ce pays sans demander l’avis de ses habitants, le "terrorisme serbe" s’est déclenche. Son acte final fut l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand qui préluda à la Première guerre mondiale.
Aujourd’hui,sur les ruines du pouvoir communiste fleurissent les nationalismes de toute sorte, mais aussi les mouvements panislamique et pan-turc. Ceci aussi bien en Transcaucasie qu’en Bosnie-Herégovine ("de Sarajevo à l’Iran, un seul pays musulman"). Le conflit en Moldavie au sujet de Transnistrie risque de se transformer en conflit entre la Bessarabie roumaine et et l’Ukraine. Le Ossètes du Sud refusent de jouer ce même rôle entre le Géorgie et l’Ossétie du Nord. Comme les Arméniens de Haut-Karabakh qui refusent de faire partie d’Azarbaïdjan. Comme les Abkhazes de la Géorgie. Et comme les Serbes de Krajina qui avaient refusé de faire partie de l’Etat de Croatie....
Pourtant, on continue à s’entêter obstinément et aveuglement à garder comme référence, comme cadre d’une sécession, comme limites d’un nouvel Etat-nation, les frontières aberrantes de Staline et de Tito, des frontières conçues précisément pour empêcher le découpage d’un état "suivant le pointillé".
Pour quelle raison ? Parce que les experts en la matière de la "communauté internationale" ont trouvé qu’une non remise en question des frontières internes des pays en cours de décomposition, simplifierait la résolution du problème de sécession. Comme on insiste actuellement sur la sauvegarde des frontières soviétiques de la Géorgie, frontières accordés en 1936 par I.V.Staline, lui même Géorgien.Pourtant, les provinces dites "autonomes", l’Abkhasie et l’Ossétie du Sud, n’ont rien avoir avec la Géorgie ni sur le plan historique, ni culturel, ni linguistique ni religieux.
Agir de la sorte, ce signifie qu’on refuse le droit à l’autodétermination aux minorités d’une république sécessioniste, mais on encourage (et même on aide) le demantèlement d’une féderation ! En agissant ainsi, on ne reglera aucun des problèmes dans les pays de l’ex-URSS ; on ajoutera plutôt de l’huile sur le feu comme on a fait d’abord en Croatie en ensuite, sans avoir tiré une conclusion des conséquences pourtant désastreuses, on a fait exploser ensuite la Bosnie-Herzégovine.
Pourtant, les Etats-nations impliqués ne pourront pas subsister sur le plan économique ; leur petite taille et leurs industries qui sont complementaires les obligéront à créer des liens économiques équitables. Ceci ne pourra se faire que si les problèmes des frontières ethniques sont résolus. Il ne faudra pas comter sur une hypothetique garantie des droits des minorités dans les contrées où leur sang a coulé et où réflexe d’autodéfense est devenu la base même des rélations entre éthniques.
En tout état de cause, les frontères internes, dernières bombes à retardement posées par Staline et Tito, sont obstinément protégées par la "communauté internationale", mais dans le sang, la souffrance et les larmes des populations civiles, les seules à n’avoir jamais été réellement consultées sur ce que pourra et ce que devra être leur vie de demain.
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