Les Irlandais ont-ils intérêt à voter la version 2 du traité de Lisbonne ? (4)
Analysons maintenant les questions familiales, éthiques, et la question de la fiscalité. L’Irlande gardera-t-elle le contrôle de ses propres taux d’imposition ? Et l’Irlande conservera-t-elle sa souveraineté totale, en ce qui concerne les questions éthiques et familiales, tel l’avortement, comme nous l’affirme les partisans du traité de Lisbonne ? Ou bien au contraire, le traité est-il susceptible de modifier des valeurs et usages irlandais ?
Rappelons, pour commencer, ce que dit, en la matière, le Conseil Européen :
"Aucune des dispositions du traité de Lisbonne attribuant un statut juridique à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice n’affecte de quelque manière que ce soit la portée et l’applicabilité de la protection du droit à la vie prévue à l’article 40.3.1, 40.3.2 et 40.3.3, de la protection de la famille prévue à l’article 41 et de la protection des droits en ce qui concerne l’éducation prévue aux articles 42, 44.2.4 et 44.2.5 de la Constitution de l’Irlande."
"Aucune des dispositions du traité de Lisbonne ne modifie de quelque manière que ce soit, pour aucun État membre, l’étendue ou la mise en oeuvre de la compétence de l’Union européenne dans le domaine fiscal."
*http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/108646.pdf
"En ce qui concerne la décision figurant à l’annexe 1, les chefs d’État ou de gouvernement ont déclaré que :
i) cette décision garantit juridiquement que certains sujets qui préoccupent le peuple irlandais ne seront pas affectés par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ;
ii) son contenu est pleinement compatible avec le traité de Lisbonne et ne nécessitera pas de nouvelle ratification dudit traité ;
iii) cette décision est juridiquement contraignante et prendra effet le jour de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ;
iv) lors de la conclusion du prochain traité d’adhésion, ils énonceront les dispositions de la décision figurant en annexe dans un protocole qui sera annexé, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;"
Rappel d’introduction (pour plus de précision voir articles précédents) : le Conseil Européen ne peut rendre "juridique" ni donner une "contrainte juridique" à une de ses décisions. Il n’a pas le pouvoir constituant. Il ne peut pas plus juger de la "compatibilité" avec le traité de Lisbonne de dispositions extérieures au traité. C’est le travail de la CJCE et des Cours Constitutionnelles nationales. Et la "décision" du Conseil Européen ne peut prendre effet le jour de l’entrée en vigueur du traité, car sinon elle serait en violation de la Convention de Vienne sur les traités. Quant au prochain traité d’adhésion...On n’attend pas une quelconque adhésion avant 2011, du propre avis du commissaire à l’élargissement. Et si, il faudra bien – sauf à se "risquer" à poser la question aux Allemands – ratifier le traité de Lisbonne lui même, si l’on veut tenir la promesse du commissaire européen. Et il y a beaucoup de "si" en ce qui concerne l’éventuel ratification d’un quelconque traité d’adhésion, le Conseil Européen ne pouvant engager les pouvoirs constituants nationaux, et la légalité même d’introduire des éléments sans rapport avec le traité d’adhésion, n’est pas avérée, puisqu’on très bien porter plainte pour violation du droit international.
Ce qui vaut pour ce qui a été analysé précédemment, vaut bien évidemment pour ce qui est des questions familiales, éthiques, et fiscales. Sans protocole de "valeur juridique" égale ou supérieure à celle du traité, et doté d’une "contrainte juridique", les promesses en ce domaine restent des mots, et n’ont aucune valeur. Il est important de s’en souvenir. Pourquoi ? Parce qu’il est tout a fait possible de faire ratifier le traité de Lisbonne, puis de tout simplement oublier les promesses faites au pays. Or en matière familiale, éthique, l’impact du traité de Lisbonne – via la Charte des Droits – est d’une très grande importance.
En effet, la Charte se présente comme un outil de destruction du droit naturel. Elle admet pour ainsi dire la licéité du clonage "thérapeutique", n’excluant que "les pratiques eugéniques et le clonage reproductif ". De la même manière, elle refuse d’accorder aux personnages âgées un "droit à une mort naturelle" et ouvre donc la voie à l’euthanasie, aujourd’hui demandée dans certains pays, demain peut être imposée pour des motifs moins sympathiques. (Certaines réunions des "grands" de ce monde, sont à cet égard éloquentes)
Comme l’indique Guy Braibant, représentant de la France au moment de la définition de cette Charte : "si plusieurs personnes ont présenté des amendements tendant à préciser que toute personne a droit à la vie jusqu’à sa mort naturelle, cette formule n’a pas été retenue, car certains Etats, comme les Pays-Bas, s’orientent vers une reconnaissance partielle et progressive du droit à une mort digne".
Par ailleurs, la Charte, en dissociant précisément la notion de mariage et de famille – rappelons que l’Union Européenne ne reconnait (valeur juridique oui mais pas de contrainte juridique) pas la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, qui définie la famille comme "l’union d’un homme et d’une femme" faisant de cette appréciation l’élément naturel et fondamental d’une Société (article 16 de la Déclaration) – la Charte (je cite Gay Lib) "donne les moyens constitutionnels pour renforcer considérablement la lutte contre l’homophobie". Autrement dit, grâce ou à cause de la Charte, selon votre avis sur le sujet, il sera possible d’introduire dans chaque pays membres de l’Union le "mariage gay", mais aussi "l’adoption des enfants" par les couples de même sexe.
Quant à la question de l’avortement, la Charte a beau parler de "droit à la vie" il suffit de lire les "explications" accompagnant le traité pour comprendre que la CEDH et la CJCE auront pour rôle de limiter les restrictions à l’avortement qui peuvent encore exister ici ou là, au motif de la recherche d’un "équilibre" entre les intérêts de la mère et "ceux du fœtus". C’est tellement vrai que Malte a tenu à inscrire une "déclaration" ainsi libellée, lors de la ratification du TCE : "aucune disposition du traité établissant une Constitution pour l’Europe, ni des traités et actes le modifiant ou le complétant n’affecte l’application, sur le territoire de Malte, de la législation nationale relative à l’avortement ".
Quant à la liberté d’enseignement, la Charte prévoit que les nouveaux établissements devont respecter les "principes démocratiques". Comme l’explique, une fois de plus Guy Braibant, qui s’en félicite, figure parmi ces "principes démocratiques" l’impératif de la laicité. Certains y verront une prise en compte des craintes des "européens" à l’égard de l’Islam. Il n’en reste pas moins que dans un pays catholique comme l’Irlande, où les établissements confessionnels sont nombreux, c’est une menace directe pour l’enseignement religieux, auxquels les Irlandais sont pourtant extrêmement attentifs.
Autant dire que cette Charte, en l’état, était en totale contradiction avec les valeurs, usages, de la République d’Irlande. Qu’en est-il avec le protocole ? Respecte-t-elle mieux les intérêts de l’Irlande ? Ses valeurs, désirs, et usages ?
"Aucune des dispositions du traité de Lisbonne attribuant un statut juridique à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice n’affecte de quelque manière que ce soit la portée et l’applicabilité de la protection du droit à la vie prévue à l’article 40.3.1, 40.3.2 et 40.3.3, de la protection de la famille prévue à l’article 41 et de la protection des droits en ce qui concerne l’éducation prévue aux articles 42, 44.2.4 et 44.2.5 de la Constitution de l’Irlande." (Conseil Européen)
Pour comprendre, il nous faut nous référer à la Constitution Irlandaise. Que dit-elle ?
"Article 40,3 :
1° L’État garantit le respect des droits personnels du citoyen dans sa législation et, dans la mesure du possible, de les défendre et de les faire valoir par ses lois.
2° L’État, en particulier, par sa législation, protège du mieux qu’il peut la vie, la personne, l’honneur et les droits de propriété de tout citoyen d’une injuste attaque et en cas d’injustice, il les fait valoir.
3° L’État reconnaît le droit à la vie du foetus et, en respectant pleinement le droit égal de la mère à la vie, garantit dans sa législation le respect de ce droit et, dans la mesure du possible, de le défendre et de le faire valoir par ses lois. Cet alinéa ne limite pas la liberté de se déplacer entre l’État et un autre pays. (Cet alinéa ne limite pas la liberté d’obtenir des informations sur les services légalement disponibles dans un autre pays ou de rendre ces informations disponibles dans l’État, sans préjudice des dispositions établies par la loi. [alinéa ajouté par le 8e amendement (1983). Le référendum du 25 novembre 1992 a repoussé le 12e amendement (avortement en cas de danger pour la vie de la mère), mais accepté la 2e phrase ajoutée par le 13e amendement (1992) et la 3e phrase ajoutée par le 14e amendement (1992)])"
Article 41 :
1.
1° L’État reconnaît la famille comme le groupe naturel, primaire et fondamental de la Société et comme une institution morale possédant des droits inaliénables et imprescriptibles, antérieurs et supérieurs au droit positif.
2° L’État, par conséquent, garantit la formation et l’autorité de la famille, comme la base nécessaire de l’ordre social et comme indispensable au bien-être de la nation et de l’État.
2.
1° En particulier, l’État reconnaît que, par sa vie au foyer, la femme apporte à l’État un soutien sans lequel le bien commun ne peut être atteint.
2° L’État, par conséquent, s’efforce de veiller à ce que les mères ne soient pas obligées par les nécessités économiques à travailler en négligeant les devoirs de leurs foyers.
3.
1° L’État s’engage à prêter une attention spéciale à l’institution du mariage sur laquelle la famille est fondée et à la protéger contre toutes les attaques.
2° Tout tribunal établi par la loi peut accorder la dissolution du mariage...(Sous conditions)
3° Aucune personne dont le mariage a été dissous selon la loi civile d’un autre État, mais dont le mariage reste valable selon la loi en vigueur à cette époque sous la juridiction du Gouvernement et du Parlement établis par la présente Constitution, ne peut contracter un mariage valide sous cette juridiction durant la vie de l’autre personne avec laquelle elle était mariée.
Article 42 :
1. L’État reconnaît que l’éducateur premier et naturel de l’enfant est la famille et il garantit le respect du droit et du devoir inaliénables des parents d’assurer, selon leurs moyens, l’éducation religieuse et morale, intellectuelle, physique et sociale de leurs enfants.
2. Les parents assurent librement cette éducation dans leurs foyers ou dans les écoles privées ou dans les écoles reconnues ou établies par l’État.
3.
1°L’État n’oblige pas les parents, contrairement à leur conscience et à leurs préférences légales, à envoyer leurs enfants dans les écoles établies par l’État ou dans une école particulière désignée par l’État.
2° L’État, toutefois, en tant que gardien du bien commun, exige au vu des conditions actuelles, que les enfants reçoivent un minimum d’éducation morale, intellectuelle et sociale.
4. L’État assure une éducation primaire gratuite et s’efforce de compléter et d’accorder une aide convenable à des initiatives d’éducation privées ou collectives, et si le bien public l’exige, il assure d’autres moyens ou institutions d’éducation en respectant, toutefois, les droits des parents, notamment en matière de formation religieuse et morale.
5. Dans des cas exceptionnels, si les parents, pour des raisons matérielles ou morales, manquaient à leurs devoirs à l’égard de leurs enfants, l’État, en tant que gardien du bien public, s’efforcerait par des mesures appropriées de remplacer les parents, mais en respectant toujours les droits naturels et imprescriptibles de l’enfant.
Articles 44.2.4 et 44.2.5 :
4° La législation sur les subventions de l’État aux écoles ne fait aucune discrimination entre les écoles placées sous la direction de différentes confessions religieuses, ni ne peut porter préjudice au droit de tout enfant d’aller dans un école recevant de l’argent public sans assister à l’enseignement religieux de cette école.
5° Chaque confession religieuse a le droit de diriger ses propres affaires, de posséder, d’acquérir et d’administrer ses biens meubles et immeubles, et d’entretenir des institutions à des fins religieuses ou charitables.
Peut-être ceux qui ont lu mes précédents articles se souviendront-ils que le protocole irlandais ne concerne pas expressément l’Irlande, mais s’impose aux 27 pays membres. Autrement dit, toutes les "garanties" offertes à l’Irlande concerne aussi les autres "européens". Sur le plan de la sécurité et de la défense, sur le plan des commissaires, sur le plan social...Mais également sur le plan sociétal, éthique, et encore dans le domaine fiscal. Il ne s’agit pas d’un "opt out" spécifique à l’Irlande, mais bel et bien d’un protocole intégrant un traité (à savoir Lisbonne) qui pourra donc être utilisé par tous.
Autrement dit, la CEDH et la CJCE devront examiner la Charte des Droits fondamentaux, au regard des limites que fixent ce protocole irlandais, et cela quelle que soit la nationalité du requérant, et le pays de la demande. En l’occurrence, en fonction des articles présentés ci dessus, relatifs à la Constitution de l’Irlande.
En français ? La Constitution irlandaise devient le socle d’interprétation du droit communautaire primaire, et notamment de la Charte des Droits fondamentaux. Un citoyen "européen" pourrait donc revendiquer celle-ci dans l’interprétation du traité. Concrètement, la "loi veil" sur l’avortement pourrait être annulée, au motif que la Charte des droits fondamentaux, lue au regard de la Constitution irlandaise, prévoit la défense expresse de la vie, et donc interdit l’avortement. En "inversant" le sens prévu par la Charte, l’interprétation de la Charte retourne le droit "moderne" et fait prévaloir le droit naturel, notamment inscrit dans la Doctrine Sociale de l’Eglise.
La France pourrait faire valoir certaines "traditions constitutionnelles" – la laïcité notamment – mais sur la question de l’avortement, il sera impossible au Conseil Constitutionnel de revendiquer des "principes inhérents à l’identité" du pays, sauf à considérer que l’ambition de la France est la destruction des foetus, depuis sa création.
Pour éviter que le protocole irlandais concerne les 27, et non spécifiquement l’Irlande, du moins en ces matières familiales et éthiques, il faudra donc un opt out...Le problème c’est que ce genre de choses doivent être intégrés au traité, ce qui demandera une nouvelle ratification du traité lui même, ce que les 27 redoutent.
La décision des juges de Karlsruhe pourrait tirer les 27 de ce bien mauvais pas. Mais ce faisant, on limiterait grandement la portée du traité de Lisbonne – notamment en matière de transferts de compétences voire de souveraineté – et surtout on poserait une mine antipersonnelle sur la construction européenne, puisqu’on consacrerait chaque Cour Constitutionnelle nationale, au détriment de la CJCE, qui perdrait ainsi son monopole en matière d’interprétation des traités.
Autant dire que la ratification du protocole irlandais va être extrêmement difficile. Je vois mal pour ex, le Parlement français expliquer aux Français, et surtout aux Françaises, que l’on doit sacrifier la loi Veil pour les beaux yeux de l’Irlande. Sans parler de la réaction des juges, qui auront une mission des plus compliquées : appliquer la Charte des droits au regard à la fois des "explications" et des articles précités de la "Constitution d’Irlande", d’autant que les "explications" ont un caractère juridique peu affirmé, alors que l’interprétation de la Charte, au regard de la Constitution d’Irlande, acquerra la même portée que le traité lui même. (Si ce protocole est un jour ratifié)
Que pensez sinon, de la question de la fiscalité ?
Il est dit "qu’aucune des dispositions du traité de Lisbonne ne modifie de quelque manière que ce soit, pour AUCUN État membre (là encore cela ne concerne pas spécifiquement l’Irlande), l’étendue ou la mise en oeuvre de la compétence de l’Union européenne dans le domaine fiscal."
A la lecture du jugement de Karlsruhe, qui on l’a dit concerne tous les Etats membres (au regard de la convention de Vienne sur les traités et des Constitutions nationales qui exigent la parité en matière d’engagements), la fiscalité ne pourra pas être affectée. Elle devra continuer à être "nationale". Autrement dit, l’Union ne pourra pas – comme le traité de Lisbonne l’y autorise – créer de nouveaux impôts. Si des impôts "européens" doivent voir le jour, ce ne sera qu’avec le consentement des Etats membres. Autrement dit, l’Union est et restera dépendante du bon vouloir des 27 pour obtenir des recettes fiscales. (Via les "lois de finance" des 27)
L’Irlande garde donc, bel et bien, sa souveraineté en la matière.
Quel est donc l’intérêt des Irlandais en la matière ? Que convient-il de faire ? Il y a, à mon sens, deux possibilités :
-soit voter le traité de Lisbonne version 2 MAIS rajouter une sorte de "codicille" (voir mon article 2 sur le sujet) qui imposera une contrainte juridique, permettant une clause de "réversion d’opinion".
-soit ne pas voter le traité de Lisbonne version 2 et en rester à Nice.
Aux Irlandais, bien sûr, de faire le choix qui leur semble le plus avisé.
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