Cette collaboration s’inscrit dans le cadre de la "stratégie"
Global Europe : competing in the world, censée relancer la "
stratégie de Lisbonne". Or, ladite
stratégie ‘Global Europe’ est particulièrement favorable aux multinationales : il s’agit, n’est-ce-pas, d’ « ouvrir », en concertation avec les entreprises, le commerce au maximum, c’est-à-dire éliminer un maximum de ces affreuses « barrières commerciales »
2] qui menacent la prospérité des actionnaires.
Alors, la Direction Générale du Commerce de la Commission européenne (DG Commerce) va chercher à lancer toute une série de nouveaux traités de libre échange régionaux et bilatéraux, de réviser le marché commun, d’avoir le meilleur accès possible
au marché et aux ressources des autres pays, en gros : on libéralise à fond. Mais, chez les autres, surtout. D’ailleurs, ça plaît tellement aux multis européennes qu’elles pondent, en octobre 2008, un rapport quasi identique, comme si celui de la DG était un brouillon :
Going Global – The way forward.
Voici quelques super mesures du Global Europe :
- il faudrait qu’avant de voter une nouvelle loi ou norme quelconque on évalue
son impact sur la compétitivité

internationale des entreprises européennes. Génial : au cas où il restait un peu de droits sociaux, ils feront partie du passé. Par exemple, on regardera si la création d’un salaire minimum européen peut nuire à la compétitivité des entreprises. Idem en matière sociale, ou d’éducation…
- avant chaque mesure, il faudrait regarder ce qui se fait en la matière un peu partout dans le monde, en particulier aux Etats-Unis afin d’établir une « convergence réglementaire ».
- on veut aussi lutter contre les restrictions à l’accès aux ressources naturelles pour les entreprises européennes. Un pays qui veut préserver son écosystème ou conserver des terres pour les populations indiennes, comme cela se fait beaucoup en Amérique Latine, n’y arrivera plus. Dans
un texte de la commission, dans la version anglaise seulement : «
Unless they are justified by security or environmental reasons (e.g. sustainable management of natural resources, the Basel Convention on exports of dangerous waste, the Montreal Protocol on substances which deplete the ozone layer, or unilateral export bans for dangerous products that are banned in the territory of a country), all restrictions on access to resources should be eliminated. It is also essential to ensure access to networks, in particular energy”
3]. Exactement
ce que disait l’UNICE en 2006.
- on veut aussi, comme le demandent beaucoup de multinationales (et comme le font les Etats-Unis), multiplier les traités de libre commerce et les accords bilatéraux, surtout avec les économies en plein boom comme la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Asie du Sud Est.
Ce projet Global Europe remonte à 2005, quand Barrosso se met en tête de faire rattraper à l’Europe
son « retard » de compétitivité par rapport aux Etats-Unis.
La DG Commerce de la Commission lance donc une consultation auprès de la société civile, et ajoute les remarques émises par les entreprises, et elle envoie le tout à Business Europe, qui se dit très satisfaite.
Et puis, histoire d’être sûrs que le sujet devienne incontournable ça s’enclenche. Voici le programme rien que pour la fin 2006 :
- Septembre 2006 : communication de la Commission sur les aspects extérieurs de la compétitivité
- Septembre 2006 : règlement de la Commission établissant un instrument d’action contre les pratiques restrictives sur les marchés publics des pays tiers (instrument consacré aux marchés publics extérieurs)
- Octobre 2006 : communication de la Commission sur une stratégie révisée pour l’accès au marché
- Novembre 2006 : communication de la Commission sur les outils de défense du commerce
- Novembre 2006 : communication de la Commission sur le commerce et les relations d’investissement entre l’UE et la Chine
Et ainsi de suite…

Mais à côté de toutes ces gesticulations officielles, les différents lobbies des entreprises européennes,
dont Business Europe4], ont multiplié les réunions avec Mandelson et ses collègues de la DG. Pour ces discussions, Business Europe s’est alliée avec d’autres groupes d’intérêts comme l’
European Services Forum (ESF), crée en 1995 par l’ex commissaire européen au Commerce,
Léon Brittan et le secrétaire d’Etat US au commerce, Ron Brown.
Le 28 octobre 2008, Business Europe se saisit carrément du sujet et organise
sa conférence de presse … à la DG du Commerce. Accessoirement, les partenaires du raout étaient des boîtes comme BASF, Arcelor, Exxon, Rio Tinto, IBM, Caterpillar, Solvay L’objet était d’évaluer les premières années de Global Europe grâce
à des intervenants tels que l’ultra libéral commissaire à l’Industrie Günter Verheugen, celui au Développement, le libéral Belge Louis Michel, celui du Commerce Extérieur, David O’Sullivan, celle du Commerce européen,
Catherine Ashton, ou encore le commissaire à l’Education, Jan Figel. Mais on avait aussi John Monks, le président de la confédération européenne des syndicats (CES) ou la directrice de l’organisation européenne des consommateurs, au milieu de hauts cadres de multinationales. Que du beau linge, dans un curieux mélange des genres.
Et puis, Business Europe & Co ont eu un œil sur la mise en place de la stratégie. Le lobbie avait ainsi accès à des informations sur les traités bilatéraux en cours de négociation, alors que les autres groupes d’intérêt comme par exemple les syndicats n’ont pas ces faveurs.
Il y a ainsi eu
des réunions entre des représentants de Business Europe et Gunter Verheugen ou David O’Sullivan en juillet 2007, pour discuter « des relations transatlantiques, de l’OMC et des relations bilatérales avec la Chine et la Russie », d’après le lobbie lui-même. Parce que tout cela est normal, bien sûr.
Et pour mieux anéantir les « barrières au commerce », on a même mis sur place un truc qui s’appelle Comité Assesseur
de
l’Accès aux Marchés, dans le but de
favoriser la coopération entre la Commission, les Etats membres ou les entreprises. Il se réunit chaque mois et on y discute de comment faire tomber les affreuses « barrières au commerce ».
Le commerce n’est hélas pas le seul domaine dans lequel la Commission et les multinationales travaillent la main dans la main. C’est comme ça pour à peu près toutes les matières dans lesquelles intervient la commission. A force, ça pourrait même avoir l’air normal… Sauf que les intérêts des multinationales et de la population ne sont pas les mêmes, bien au contraire, et que la Commission est loin de se préoccuper autant de l’avis européens que de celui des multinationales, ce qui crée un énorme déséquilibre.
[1] Ex UNICE, qui regroupe des fédérations patronales nationales, comme la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique), la CEOE (Confédération des Employeurs Espagnols), le MEDEF, la CBI (Confederation of British Industry), la Confindustria italienne et tant d’autres, y compris la Turkish Industrialists’ and Businessmen’s Association (TÜSIAD). Depuis 2005, le président est Ernest Antoine Sellière, l’ex patron du Medef.
[2]C’est-à-dire, dans leur jargon, les acquis sociaux et les normes environnementales, par exemple, qu’on appelle les « barrières non tarifaires ».
[3] cf. la Commission européenne dans une communication au Conseil, au Parlement, au Comité Economique et social européen et au comité des régions : « Bien qu’elles soient justifiées par la sécurité ou des considérations environnementales (gestion durable des ressources, convention de Bâle sur l’exportation de produits toxiques…) toutes les restrictions à l’accès aux ressources doit être éliminé. C’est également essentiel pour assurer l’accès aux réseaux en particulier l’énergie. »
[4] Qui aurait eu au moins sept réunions avec la DG et/ou Mandelson autour du projet « Global Europe » entre février 2005 et octobre 2006. Et cela, en plus des autres réunions portant sur d’autres sujets. En 2007, Business Europe aurait aussi reçu de la Commission une subvention de 749.675 € en 2007.