Mais où va le Conseil ?
Il y a quelques jours, le peuple irlandais a rejeté le Traité de Lisbonne par voie référendaire. Perplexes, les spécialistes commentent ce nouveau revers pour la construction européenne sans toutefois rassurer sur les chances d’aboutir, le 1er janvier 2009, à l’entrée en vigueur du Traité.
Au-delà des hypothèses sur la ratification du Traité par les peuples européens qui doivent encore se prononcer avant la fin de l’année, la question sur toutes les lèvres est celle de comprendre pourquoi ces électeurs, pour qui le projet européen a permis à leur pays de renouer avec la croissance, le plein emploi et la prospérité, ont fait le choix de désavouer ce texte de droit primaire européen.
Réunis les 19 et 20 juin 2008 au Conseil européen, les chefs d’Etat n’ont pas réussi à trouver un compromis sur la conduite à tenir après cet échec. La question de la réconciliation du citoyen électeur avec le projet de construction européenne demeure posée et reste, officiellement, sans réponse.
Le problème est-il vraiment là où on le pense ? Je m’interrogeai ces jours-ci sur l’incroyable divergence de comportement de l’électorat qui se prononce un jour sur des élections nationales (présidentielles ou législatives), un autre jour sur des élections européennes ou à l’occasion d’un référendum comme celui qui a eu lieu ce vendredi 13 en Irlande. Dans le 1er cas, l’électeur investit le candidat qu’il estime le meilleur pour lui octroyer un mandat national avec l’espoir que le talent et la volonté politique de ce candidat élu améliorera sa vie au quotidien. Le 2nd cas est beaucoup plus incertain dans la mesure où les élections européennes ne déclenchent pas l’enthousiasme et le referendum porte sur l’acceptation ou le rejet d’un texte inabordable pour la plupart des citoyens et sur un projet global qui peine en clarté et a faible valeur ajoutée politique.
Dans ces conditions, peut-on vraiment blâmer l’ignorance et le désarroi de nos concitoyens et électeurs européens ? J’aimerais à ce titre faire trois observations :
1) enceinte diplomatique par excellence, où les ambassadeurs de nos Etats accueillent régulièrement nos chefs d’Etat et nos ministres, le Conseil continue d’exercer son rôle de grand Chambellan de l’Europe, invitant les chancelleries des Etats membres à discuter, négocier les orientations générales de l’UE sur la ligne rouge de leurs intérêts nationaux, à s’enfermer dans cette tour d’ivoire du Conseil et décider entre eux des affaires qui concernent l’UE ;
2) le mandat octroyé par les électeurs au cours d’une élection présidentielle ou législative est national. Il ne comprend pas de mandat express européen. D’ailleurs, il suffit d’observer la place de l’UE dans les campagnes. En outre, la fonction exercée par le chef d’Etat lors de ses missions, ses prises de position et ses décisions à Bruxelles, en compagnie de ses interlocuteurs et pairs européens, dépassent le champ des compétences qui lui sont attribuées dans le cadre seul de ces missions de représentation, en tant que chef d’Etat, en dehors des frontières du territoire national ;
3) voici peut-être le cœur du problème : alors que l’UE tente de s’adapter tant bien que mal aux réalités du monde en évolution, les chefs d’Etat continuent de considérer leur rôle au Conseil comme une mission auprès d’autres représentations et délégations diplomatiques étrangères et les dossiers européens comme des dossiers relevant de leur politique étrangère.
Pourtant, le message en substance délivré par les peuples paraît clair : les citoyens ne réclament pas moins d’Europe, ils demandent que ces dossiers traitant de l’UE sortent du carcan des affaires étrangères et s’insèrent dans le registre des affaires internes. Si l’on s’accorde à considérer cette réflexion, tout s’éclaire : alors que le citoyen souhaite plus de visibilité de l’UE et plus d’implication de celle-ci dans sa vie quotidienne, les décideurs dans l’UE persistent à se comporter comme si l’UE était encore aux yeux des citoyens un sujet relevant de la politique étrangère des Etats et donc un sujet qui demeure la compétence réservée des antichambres des 27 chancelleries de l’UE.
Face à ces observations, il semble indispensable de mobiliser les opinions publiques afin de faire prendre conscience aux dirigeants européens que l’élément majeur qui alimente aujourd’hui le déficit européen depuis plusieurs décennies est ce décalage qui existe entre la demande de transparence des peuples européens et le Conseil qui persiste à s’enfermer dans sa tour d’ivoire à Bruxelles. Le message à diffuser pourrait s’articuler autour des arguments suivants :
Tant que les chefs d’Etat et les ministres, qui prennent les décisions en collégialité avec leurs homologues européens lors des réunions en Conseil à Bruxelles, continuent de décider en l’absence de tout contrôle démocratique sur des dossiers de politique interne qui intéressent au plus haut point les citoyens dans leur quotidien, tant que l’organe du Conseil se comportera comme une instance de réunions diplomatiques et refusera de se politiser en permettant, par exemple, aux partis politiques du Parlement européen d’exercer un droit de regard et de questionner les membres du Conseil sur les dossiers négociés autour de la table des 27, et de pouvoir rendre compte aux électeurs du comportement et des positions politiques des chefs d’Etat et des ministres, les citoyens continueront de refuser, parfois aveuglément, mais avec une certaine justesse, tout projet, fut-il cohérent et bien construit, que leur soumettent ces chefs d’Etat par le biais des voies de ratification.
Il est temps de demander au Conseil, et notamment à nos chefs d’Etat, de reconnaître que :
1) les politiques de l’UE sont des dossiers de politique interne pour les citoyens européens ;
2) le Conseil doit reconsidérer (par exemple, dans son règlement intérieur) le rôle et la mission de ses membres et insister pour que ces instances soient publiques pour toutes les discussions portant sur des dossiers de politique intérieure et communautaire (excepté : RELEX, PESC, PESD) ;
3) le Parlement européen doit politiser ces dossiers de politique interne et permettre à ses députés d’interroger, au nom des citoyens européens, les chefs d’Etat et ministres responsables. Ceci sans préjudice des rencontres régulières de la présidence du Conseil de l’UE et du Parlement pendant les sessions plénières de Strasbourg.
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