Manifeste pour une union politique de l’Euro : décryptage d’un délire franco-germano…pratin
La plupart des pays de l’Union européenne ne sont toujours pas sorti du marasme économique où les a plongé la crise économique et financière de 2008 que les manifestes, pétitions, appels etc. à une « autre Europe » font florès.
La dernière fournée, Manifeste pour une union politique de l’euro, nous est généreusement délivrée par une brochette d’économistes emmenée par le très prolixe Thomas Piketty.
Même repris et commenté par de très nombreux journaux, Le Monde en tête, ce manifeste n’a malheureusement rien d’original. A mes yeux ce texte n’est qu’une compilation d’idées venant de la gauche et de la gauche de la gauche véhiculées depuis le début 4 ou 5 ans et avec comme postulat que les Etats ne sont pas responsables de la crise et que la seule solution pour les pays de l’Union Européenne (U.E.) de s’en sortir est de mettre tout en commun (dettes, politiques économiques et sociales).
Face à ce que je considère comme une escroquerie intellectuelle, j’ai décidé de réagir avec ce papier.
Une forme bien étrange
La forme que prend ce manifeste est assez étrange. Il s’agit, selon ses auteurs d’une réponse positive à une initiative venant d’Allemagne. Si l’idée vient d’outre-Rhin c’est donc que c’est du sérieux.
L’initiative viendrait d’un certain Groupe de Glienicker. Vous n’en n’avez jamais entendu parler bande d’ignares ? C’est normale il faut être un initié pour le connaitre, un peu comme une loge maçonnique. Mais si vous faite des recherches sur le net pour en savoir plus vous découvrirez que ce groupe se compose de onze personnes, comme une équipe de football, et que Glienicke est célèbre pour son pont situé près de Berlin et utilisé pour la plupart des échanges d’espion pendant la guerre froide. Intriguant non ? Où peut-être, plus prosaïquement, que le choix du nom n’est-il que le résultat d’une implantation dans un quartier de Berlin au loyer beaucoup plus bas que ceux pratiqués à Berlin.
Onze Allemands, non élus, non mandatés, ni connus ni reconnus mais présentés, à l’aide de quelques contorsions verbales, comme la voix de l’Allemagne. On est à la limite de l’usurpation d’identité.
La même méthode est reprise avec la présentation bien en évidence des « Premier(e)s signataires ». Au passage vous remarquerez l’usage systématique, abusif et fatiguant du (e) pour signifier qu’on oublie pas la gente féminine. On ne sait pas vrai si ils/elles (moi aussi je vais faire mon féministe acharné) n’ont fait que signer ou ont aussi participé à la rédaction de cette appel. Je fais cette remarque car aucune mention n’est faire des auteurs du manifeste…mais peut-être ont-ils honte ou craignent-ils des représailles que pourrait exercer sur eux un Dupont-Aignan.
Les choix des signataires placés en tête de gondole est assez cocasse pour un appel répondant à « nos amis Allemands », qui vante les mérites de la solidarité européenne, l’amitié entre les peuples et qui se veut apolitique (dans le sens de non partisan car tout est politique). Très largement, ces gens sont engagés à gauche voir d’extrême gauche partisan d’une politique économique de relance, souvent anglophobes et/ou germanophobes au sens large (y compris l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Flandre), europhiles mais à condition que l’UE soit d’inspiration de gauche et surtout habités des plateaux télé et radios. Maurice Allais, le seul Français prix Nobel d’économie avec Gérard Debreu, n’aurait jamais été invité à le signer.
Un appel lancé par des personnes de gauche n’est pas un délit mais le faire en faisant croire que l’initiative vient de citoyens venant de tous horizons est un mensonge.
La critique de la forme du manifeste étant close passons au fonds qui est tout aussi surprenant.
L’approfondissement au lieu de l’élargissement
Le manifeste part d’un postulat que presque tout le monde partage ; l’Europe va mal, la zone euro va encore plus mal et les institutions européennes sont « dysfonctionnelles ». Même une blonde américaine, qui ne sait pas de quel pays européen Budapest est la capitale, serait d’accord. Ce n’est pas non plus parce que beaucoup de gens pensent la même chose que cela devient une vérité absolue, 90% des experts économiques et la plupart des politiques nous disaient aussi que la Grèce ne ferait jamais défaut.
Affirmant que « Les pays de la zone euro ont fait le choix de partager leur souveraineté monétaire, et donc de renoncer à l’arme de la dévaluation unilatérale, sans pour autant se doter de nouveaux instruments économiques, sociaux, fiscaux et budgétaires communs », nos joyeux luttons se proposent d’aller plus loin et de faire l’Union fiscale, sociale et budgétaire. Jacques Sapir, en faisant la même analyse, propose de revenir en arrière et de défaire l’Union monétaire.
D’une certaine manière les deux points de vue se rejoignent car si l’Union fiscale, sociale et budgétaire devenait impossible à réaliser, quelque soit la raison, politique ou technique, et que l’on considère comme l’affirme le manifeste que « cet entre-deux est la pire des situations », cela revient à reconnaitre que l’Euro doit disparaitre.
Nos Européistes acharnés rejoignent sur ce point Jacques Sapir, sauf que le malheureux se fait traiter de d’extrémiste de gauche et de droite par le ministre Moscovici (et pourquoi pas d’antisémite et de sioniste ou de végétarien carnivore pendant qu’on y est ?) et qu’on lui reproche des accointances qu’il n’a pas avec Marinne Le Pen.
Evidemment les Piketty et consors vous diront, contrairement à Sapir, que l’Union fiscale, sociale et budgétaire est réalisable. Moi ce que je vois, c’est que si cela n’a pas été fait ce n’est sûrement pas pour une raison de surcharge de travail de la Commission mais parce que personne ne la désir réellement.
Que nous est-il proposé de concret avec ce complément d’union qui, par exemple, intégrerait la fiscalité ?
L’ingéniosité des avocats fiscalistes en matière d’optimisation fiscale étant prodigieuse mais se faisant au détriment des Etats (enfin pas tous, surtout ceux qui tapent le plus fort sur les entreprises), nos apprentis sorciers proposent de fixer une politique fiscale commune en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés (I.S.) »avec un taux minimal de l’ordre de 20%, et qu’un taux additionnel soit prélevé au niveau fédéral, de l’ordre de 10% ». Ces 10% viendraient abonder un budget propre à la Zone Euro pour « impulser des actions de relance et d’investissement, notamment en matière d’environnement, d’infrastructures et de formation ».
Le triptyque Environnement-Infrastructure-Formation est devenu, en moins de dix ans, la formule magique pour justifier tout nouvel impôt ; évidemment on ne va pas vous dire que ce fric va servir à reboucher les trous des mauvaises gestions passées et à payer les frais de bouche et de représentation de la nouvelle administration chargée qui va naitre si ce projet aboutit.
Si intellectuellement la proposition peut séduire, techniquement elle se heurte à un problème concret ; la capacité et la volonté des Etats de faire rentrer l’impôt est très disparate au sein de le zone euro. C’est même une des explications de la quasi faillite de la Grèce. On risque de se retrouver dans une situation intenable où les pays les mieux administrés, dont la France, paient le plus, non parce que plus riches mais parce que tolérant moins la fraude que d’autres. Une prime à la malhonnêteté en somme.
Le troisième obstacle à cette mesure est la mentalité d’épicier de chaque Etat. Les ministres des finances vont faire plancher leur services et se décideront à l’aune du rapport de deux chiffres : ce que je donne et ce que je reçois.
L’idée d’uniformiser l’I.S. se heurte à l’attitude de presque tous les Etats de l’Euroland (et même du monde) qui appliquent des politiques fiscales dérogatoires et alors que nombre d’entreprises internationales ne paient pas d’impôts dans leur pays d’origine pour des activités effectuées dans des pays tiers. Chaque pays devra dans ce cas supprimer toutes les niches fiscales (ce qui ne serait pas un mal selon moi) mais s’interdirait à l’avenir toute politique active de soutient catégoriel (et Dieu sait que les politiques adorent cela). Quand on voit le ramdam fait par les centres équestres quand Bruxelles exigent un alignement de la tva appliquée sur ce secteur économique, on peut facilement imaginer le tsunami qui représenterait la suppression de 500 niches fiscales.
Prenons le cas de la Grèce (je sais ! dès qu’on parle de dysfonctionnement en Europe, on les prend en exemple, faut dire aussi qu’ils ne ratent pas une occasion pour nous tendre la perche) où les armateurs bénéficient dans la Constitution d’un statut d’exemption fiscale et où seulement 35% de la flotte bat pavillon national. Avec un I.S. à 30% comme proposé (ou même à 10%) on a la garantie d’un départ massif de ces hommes d’affaires pour d’autres cieux où cette taxe est de 1 ou 2%. Faut-il alors exempter ces riches familles ? et si oui pourquoi ne pas non plus accorder le même traitement de faveur aux constructeurs automobiles français en difficulté, aux producteurs de panneaux solaires allemands mis sur la paille par leurs concurrents chinois ou aux cueilleurs de fraises espagnols ?
Une autre question, qui va inévitable survenir et qui sera source de conflit, est la répartition cette « manne tombée du ciel ». A chacun selon ses besoins, son mérite ou sa capacité à bien utiliser les fonds récoltés ? Organiser une Zone euro des transferts avec les pays du Nord qui cotisent et ceux du Sud qui reçoivent, c’est s’assurer la montés des populismes chez les premiers qui penseront payer toujours trop et des frustrations chez les seconds qui penseront toujours ne pas recevoir assez. Sans parler de guerre entre pays du Sud pour savoir qui est le plus à la ramasse et donc mérite la plus grosse part du gâteau.
Les particuliers ne sont pas en reste. Un autre objectif proposé par nos penseurs est que « la zone euro doit démontrer sa capacité à lever l’impôt de façon plus juste et plus efficace ». Traduction selon les auteurs : un « échange automatique d’informations bancaires », une « progressivité de l’impôt sur les revenus et les patrimoines » et « une politique active de lutte contre les paradis fiscaux externes à la zone ». La dernière proposition est un peu étrange quand on sait que la majorité des paradis fiscaux mondiaux se trouvent en Europe (quel autre continent au monde rassemble autant de principautés, grand-duchés, bailliages et j’en passe ?). Même si tous ces micro-états ne sont membres directs du l’U.E. ils ont tous signés des accords de coopérations très étroits qui leur permettent bien souvent de bénéficier des avantages d’appartenir a un grand ensemble sans à avoir supporter les inconvénients. Il serait étrange de déclarer la guerre à Montserrat quand le champions toute catégorie des paradis fiscaux est, selon certains économistes, un membre fondateur de l’Europe : le Luxembourg.
Dette bleue, dette rouge
Que propose nos apprentis sorcier pour sortir de sortir de la crise de la dette ? Tout simple « de mettre en commun les dettes des pays de la zone euro. Faute de quoi la spéculation sur les taux d’intérêt recommencera encore et toujours » et de créer un « fonds de rédemption des dettes européennes ». Rien que cela !
J’adore voir des bouffeurs de curés utiliser des expressions comme rédemption qui relève plus de la messe du dimanche ou d’un discours de campagne électoral de Georges W. Bush que d’une analyse froide et scientifique d’un problème économique. Il est vrai parler de rédemption impressionne beaucoup plus les masses que l’utilisation des termes dette Bleue ou dette rouge, idée avancée il y a quelques année par l’économiste Jacques Delpa.
Faire porter par la solidarité européenne le stock de dette qui dépasse 60% du PIB de tous les pays de la zone euro semble une idée généreuse pour beaucoup, voir de bon pour certains. Sauf que cela ne tient pas la route face une analyse détaillée de la situation de chaque pays car, contrairement à nos préjugés, les pays les plus endettés ne sont pas les pays les plus pauvres. C’est même presque l’inverse.
Les trois pays les plus pauvres de la zone euro, Lettonie, Estonie et Slovaquie, ont un PIB par habitant respectif de 12.726 usd, 16.556 usd et 17.646 usd (en 2011) et une dette publique de 38,7%, 10% et 58,1% et donc ne sont pas éligibles au fonds de rédemption. L’Irlande et la Belgique avec un PIB par habitant de respectivement 48.423 usd et 46.467 usd ( soit presque 4 fois plus que la Lettonie et 3 fois plus que l’Estonie) ont une dette publique de 103,7 du PIB et 124,8%. Alléluia ! C’est le pauvre qui paie pour le riche ! La double peine en somme.
On trouve de pareilles anomalies si on s’intéresse au patrimoine des citoyens de la zone euro. Selon une étude de la BCE de 2013, le patrimoine net médian des ménages chypriotes et espagnols se montait à 266.900 et 182.700 euro contre seulement 51.400 euros pour les ménages allemands soit 5 et 3,5 fois moins ! Chypre a une dette publique représentant 93,4% de son PIB, l’Espagne 109,6% et l’Allemagne 78,4.
Se pose enfin une question existentielle pour les élus de la Nation. Selon le ministère de la justice, entre 60 et 70% des textes de lois votés en France sont d’origine communautaire, si à l’avenir un mini parlement Européen se chargeait des directives fiscales, sociales et budgétaire, députés et sénateur n’auraient plus rien à faire. Autant supprimer les parlements nationaux, on fera au moins des économies !
Un idéal fédéraliste largement battu en brèche
Parmi les nombreuses contradictions que contient ce texte, l’une d’elles saute aux yeux ; les signataires réclament un fonctionnement fédéraliste de la zone euro alors qu’ils ne font référence qu’à deux pays, la France et l’Allemagne. On peut trouver dans le manifeste neuf occurrences des mots allemand ou Allemagne, sept pour France ou français, une pour Italie et aucune pour nos vingt-cinq autres pays partenaires et « amis » de l’Union européenne. Bonjour le respect de la diversité !
Ce n’est pas une seulement une question de forme, les problèmes de concurrences sauvages fiscales viennent beaucoup plus d’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg que d’Allemagne. Les géants du web font facturer leurs services à Luxembourg ou Dublin et enregistrent leurs holdings à Amsterdam. On va dire que cet appel est amical et qu’il n’est nullement question de braquer certains Etats. Sauf que ces problèmes devront tôt ou tard être posés sur la table ou ce projet n’aboutira jamais.
Même petits, tous les Etats de l’UE disposent d’un droit de véto sur toute modification des traités européens et il ne faut pas croire qu’ils n’en useront pas si leur intérêts vitaux étaient menacés (la finance, par exemple, représente 50% du PIB luxembourgeois et on ne voit pas quel serait les perspectives d’avenir des Irlandais sans les grands groupes américains installés dans leurs pays, à part une émigration massive vers les USA ou le Canada).
Une remise en cause du fonctionnement du Parlement européen
Pourquoi vouloir créer un nouveau parlement réduit aux seuls pays participants à la zone euro en compliquant encore plus l’organisation des institutions bruxelloises alors qu’il existe déjà un parlement pour l’Union européenne ?
Lors des séances consacrées à l’Union de la zone euro, on pourrait simplement demander aux députés européens provenant de pays non-membres de la zone euro de bien vouloir quitter l’hémicycle et de profiter de cet instant de repos pour aller déguster une petite bière artisanale alsacienne. On va nous dire que ce n’est ni gentille ni poli mais le problème n’est bien sûre pas là. Evidemment il y a une idée derrière cela.
Les auteurs de ce texte optent pour une délégation de députés nationaux (et non pas européens) sous le prétexte fallacieux qu’il serait « impossible de déposséder complètement les Parlements nationaux de leur pouvoir de voter l’impôt ». Les auteurs du manifeste imaginent un scénario où la France enverrait 30 députés et l’Allemagne 40. C’est ce qu’on pourrait appeler une démocratie représentative² ; le parlementaire de la zone euro serait les représentants des représentants du peuple !
Certes ne dit-on pas que le vote du budget est la pierre angulaire de la vie d’un parlement mais quand les trois quarts des lois votées sont des transpositions de directives européennes, on peut se dire qu’il ne reste plus beaucoup de domaines réservés aux parlementaires nationaux, à part le mariage pour les homosexuels et l’avortement. Rappelons-nous tout de même qu’en 2005, Français et Néerlandais ont rejeté par référendum le traité instituant une constitution européenne mais que les parlementaires, avec le traité de Lisbonne – un copié-collé de la constitution rejetée, ont passé outre ce vote populaire, la majorité des députés et des sénateurs ne s’est pas offusquée de la méthode utilisée pour « déposséder complètement » le peuple de son libre choix. Les électeurs ont avalé des couleuvres, les parlementaires nationaux peuvent faire de même.
En réalité l’appel aux parlementaires nationaux plutôt qu’à ceux issues du Parlement de Strasbourg a un double objectif.
Un objectif secondaire, pour nos partenaires de la zone euro mais beaucoup plus important pour les Français, est d’écarter les petits partis politiques et plus encore ceux situés aux extrémités de l’échiquier politique. Une projection effectuée par le site pollwatch2014 pronostic selon les derniers sondages d’opinion disponibles (fin janvier) nous indique, pour les élections européennes de 2014, que les deux partis leaders de la vie politique française n’obtiendraient que 43,2% des sièges soit 32 députés élus, 18 pour l’UMP et 14 pour le parti socialiste, alors que le Front national deviendrait la première formation française avec 22 députés. Le Front de gauche et Europe Ecologie additionnés feraient quant à eux, avec 13 députés, presque jeux égal avec les socialistes.
Le mode de scrutin appliqué en France pour les élection législatives (scrutin uninominal majoritaire à deux tours par circonscription) si souvent décrié peut avoir quelques avantages comme offrir une stabilité aux majorités politiques mais reste une formidable machine à écraser les voix minoritaires. D’un autre point de vue, il est vrai qu’imaginer une représentation française à l’hypothétique Parlement de la zone euro avec comme chef de file le Fn nous permettrait de nous payer une bonne tranche de rire ou des sueurs froides.
Formation politique
|
% des voix
|
Sièges remportés
|
% des sièges
|
---|---|---|---|
23% | 22 | 29,7% | |
21% | 18 | 24,3% | |
18% | 14 | 18,9% | |
11% | 6 | 8,1% | |
9% | 8 | 10,8% | |
7% | 5 | 6,7 | |
2,5% | 1 | 1,4% | |
2% | 0 | - |
L’envoie de parlementaires nationaux est un dénie du projet fédéraliste prôné par nos signataires, qui n’en sont plus à une contradiction près. Un candidat élu aux élections européennes devient député européen mais qu’est-ce qu’un parlementaire national délégué à un parlement de la zone euro ? Reste-t-il un élu national ou devient-il un élu communautaire ? Doit-il voter en son âme et conscience ou n’est-il que le portefaix des intérêts de son pays ?
Cornériser l’Allemagne et neutraliser l’Irlande et le Luxembourg
L’objectif principal recherché par la création d’un parlement de la zone euro se substituant au parlement européen et par le changement de méthode d’attribution des sièges aux pays membres (on applique le principe simple d’un homme, une voix alors que le parlement européen accorde une représentation dégressive, si vous voulez en savoir plus sur ce système je vous conseille cet excellent article de Nicolas Gros-Verheyde) est triple : Isoler l’Allemagne, neutraliser les petits pays qui se comportent en paradis fiscaux dans le meilleur des cas ou en lessiveuses d’argent sale dans le pire (Irlande, Luxembourg, Chypre, Maltes, Lettonie) qui ne pourrait plus user de leur droit de véto et affaiblir quelques Etats de taille moyenne qui ont comme seul tort d’être libéraux en matière économique (Slovaquie et Pays-Bas)
La remise en cause du principe de la représentation dégressive telle qu’il est appliquée actuellement à Strasbourg et qui fonctionne selon ce principe :
1. Plus un Etat membre est peuplé, plus il a droit à un nombre de sièges élevé.
2. Moins un Etat membre est peuplé, plus le nombre d’habitants que chacun de ses députés européens représente est faible.
En clair cela assure aux petits Etats un bonus de représentation parlementaire qui leur permet de ne pas se retrouver marginalisés, de pouvoir faire entendre leurs points et de défendre leurs intérêts particuliers. Si ce principe n’était pas appliqué, l’île de Malte, avec ses 421.000 habitants, aurait droit à 0,625 député (arrondit à 1 pour être royal) et la France, forte de ses 65,6 millions d’habitants, en aurait 97. Pour la législature commençant en 2014, les deux pays auront respectivement 6 (le chiffre minimum en dessous duquel aucun pays ne peut descendre) et 74 représentants.
Le méthode utilisée pour assurer une représentation dégressive a peut-être été poussé un point trop loin et l’on se retrouve, aujourd’hui, dans une situation ubuesque où les 9 états les moins peuplés de l’UE totalisant 30 millions d’habitants ont droit à 73 députés et 9 commissaires européens alors que la France deux fois plus peuplés que cet ensemble (65 millions d’habitants) se contente d’un seul député de plus (74) et un seul commissaire à Bruxelles.
Le tableau qui suivant compare les conséquences en cas de création d’un parlement de la zone euro, en terme de sièges attribués pour chaque pays membre de la zone euro, entre la méthode Piketty (délégation réduite de parlementaires nationaux selon le poids démographique de chaque pays) et une méthode plus classique où chaque député du parlement européen élus d’un pays de l’Euroland est membre de droit de ce nouveau parlement.
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Méthode "classique"
|
"Methode Piketty"
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---|---|---|---|---|---|
Pays | Population (milliers) | Nbre de sièges au Parlement européen | Poids relatif |
Nbre de sièges au "Parlement de la zone Euro" |
Poids relatif |
Allemagne | 80.527 | 96 | 20,0% | 40 | 23,8% |
France | 65.633 | 74 | 15,4% | 33 | 19,6% |
Italie | 59.685 | 73 | 15,2% | 30 | 17,9% |
Espagne | 46.704 | 54 | 11,2% | 23 | 13,7% |
Pays-Bas | 16.779 | 26 | 5,4% | 8 | 4,7% |
Belgique | 11.161 | 21 | 4,4% | 6 | 3,6% |
Grèce | 11.062 | 21 | 4,4% | 5 | 3,0% |
Portugal | 10.487 | 21 | 4,4% | 5 | 3,0% |
Autriche | 8.451 | 18 | 3,7% | 4 | 2,4% |
Finlande | 5.426 | 13 | 2,7% | 3 | 1,8% |
Slovaquie | 5.410 | 13 | 2,7% | 3 | 1,8% |
Irlande | 4.591 | 11 | 2,3% | 2 | 1,2% |
Slovénie | 2.058 | 8 | 1,7% | 1 | 0,6% |
Lettonie | 2.023 | 8 | 1,7% | 1 | 0,6% |
Estonie | 1.324 | 6 | 1,2% | 1 | 0,6% |
Chypre | 865 | 6 | 1,2% | 1 | 0,6% |
Luxembourg | 537 | 6 | 1,2% | 1 | 0,6% |
Malte | 421 | 6 | 1,2% | 1 | 0,6% |
Totaux | 333.144 | 481 | 100% | 168 | 100% |
Sources : Eurostat pour les populations (au 1 janvier 2013) et Parlement européen pour le nombre de députés (répartition pour les élections de 2014). Calculs fait par l'auteur. |
Le résultat des deux méthodes est relativement similaire. Dans les deux cas de figure les trois Etats les plus peuplés, Allemagne, France et Italie, en votant de concert ont la majorité absolue. Les grands états voient leur poids dans un hypothétique parlement de la zone euro, toujours selon les rêves de Piketty, augmenter de manière assez modéré. Seule la France fait exception qui avec la méthode un homme, une voix, peut profiter d’une évolution démographie plus soutenue que ses voisins européens. Cet état de fait est intégré dans les calcul de la méthode Piketty alors que dans le « vrai » parlement européen(le seul qui existe à l’heure actuel et qui seul compte) Paris se fait voler neuf sièges sans que le gouvernement français ne s’en émeuve. Mais c’est une autre histoire.
Ce qui frappe le plus est la quasi disparition de la représentation des sept Etats les moins peuplés qui voient leur poids en nombre de députés dans la nouvelle chambre divisé par deux.
Comme souvent le diable se cache les détails est la grande différence avec la méthode sournoise présentée par le manifeste est que les trois « grande sœurs latines », France, Italie et Espagne totalisent 51,20% des voix et donc peuvent facilement mettre l’Allemagne en minorité et lui imposer tout et n’importe quoi comme les Eurobonds ou le rachat à l’émission par la BCE de bons du trésors des Etats en difficulté. Mais cela évidemment n’arrivera jamais car Berlin mais aussi Vienne, Amsterdam ou Helsinki ne signeront jamais un traité donnant de tels pouvoirs à un parlement de la zone euro ou alors exigeront un système de majorité qualifié qui paralysera ce parlement.
Un impossible rêve napoléonien
« Beaucoup s’opposeront à nos propositions en arguant du fait qu’il est impossible de modifier les traités, et que le peuple français ne veut pas d’un approfondissement de l’intégration européenne. Ces arguments sont faux et dangereux. » Ainsi se conclut cet appel.
Piketty a partiellement raison de dire que ces arguments sont faux. Ce n’est pas seulement le peuple Français qui ne veut pas d’un approfondissement de l’intégration européenne mais l’ensemble des peuples d’Europe du Nord et leurs dirigeants politiques (y compris ceux classés à gauche dans leur pays mais qui sont bien plus libéraux que le PS français) et économiques pour qui cette proposition est synonyme d’une Europe des transferts.
Les Français comme les étrangers qui ont eu connaissance de ce manifeste savent bien que l’objectif final est d’aligner les systèmes économiques, sociaux, fiscaux et budgétaires sur ce qui se fait en France. Un exemple ; Si la France réduisait son taux de prélèvement obligatoire pour arriver à celui de l’Espagne il faudrait que Paris vire 20% de fonctionnaires – mission impossible – donc c’est bien à l’Espagne de relever ses impôts. Même chose pour les 35 heures, imagine-t-on le reste des pays de la zone euro demandant à la France d’aligner le temps de travail aux leurs ?
Les signataires de cette initiative regardent l’avenir dans le rétro-viseur et n’ont pas conscience ou plutôt le feignent (car je les crois tout de même trop intelligent pour être si naïfs) que la France n’a pas les moyens d’imposer son modèle économique et social à la zone euro, qui elle-même ne peut le faire à l’UE et à plus forte raison au reste du monde. Ce qu’ils nous proposent n’est qu’un manifeste jacobin qui veut écraser les spécificités de chaque Etat : tout l’opposé du système fédéral américain qu’ils n’hésitent pas à vous vanter dans le même texte.
Plutôt que de créer une usine à gaz en imaginant une nouvelle institution inutile (et sûrement couteuse dans son fonctionnement), les signataires de ce texte devraient se focaliser sur l’existant, le parlement européen et la commission européen, et la manière d’optimiser leur fonctionnement.
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