Margaret Thatcher et son fantôme français ?
« Si votre seul objectif est d'être aimé, vous serez prêt à tous les compromis à chaque instant et vous n'arriverez à rien. » (Margaret Thatcher).
Au moins, c'était clairement dit : on ne peut pas avoir tout le temps une gouvernance de sondages, parce que parfois, il faut savoir prendre de la hauteur et anticiper l'avenir, tandis que la popularité ne sert qu'une vision à court terme. Il suffit de regarder la plupart des hommes politiques populaires, ceux-là, lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils étaient très impopulaires : Raymond Barre, Alain Juppé, Édouard Philippe, pour ne prendre qu'eux devenus les coqueluches des sondages de popularité. Et quand ils étaient populaires lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils n'ont jamais pu se faire élire au plus haut niveau : Jacques Chaban-Delmas, Michel Rocard, Édouard Balladur, Lionel Jospin, Manuel Valls...
Et Margaret Thatcher, qui est morte il y a dix ans le 8 avril 2013 à l'âge de 87 ans, une personne qui en connaissait un rayon sur la gouvernance et la popularité, prenait comme exemples ses prédécesseurs travaillistes pour faire le procès du socialisme, à une époque où les Français n'avaient pas encore essayé le leur : « Le problème avec le socialisme est qu’on finit toujours par tomber à court de l’argent des autres. ».
On serait tenté de reprendre ces deux formules de bon sens et de l'appliquer à Emmanuel Macron et à son opposition radicalisée de gauche : pour les mélenchonistes, il n'y a pas de problème de financement des pensions, il suffit de prendre aux riches. Toutes les solutions alternatives pour éviter le recul de l'âge à 64 ans, c'étaient taxes, impôts, cotisations supplémentaires, dans l'un des pays déjà les plus taxés au monde, qui redistribue le plus au monde. Cherchez l'erreur.
Cela fait sourire de dire que la France de 2023 est ultra-libérale. Si l'on prend en référence le % du PIB redistribué, la France de Léon Blum est bien plus ultra-libérale que celle d'Emmanuel Macron. Mais les images projetées dans l'imaginaire de gauche resteront intactes. Ils couleront les retraites qu'ils n'en prendrons aucune part de responsabilité, tandis que le gouvernement aura au moins fait son devoir. L'épreuve de force arrive à son point ultime le 14 avril 2023.
Mais je m'égare. La comparaison entre Emmanuel Macron et Margaret Thatcher n'a de seul intérêt que d'un repoussoir à objectif politicien intérieur. Jean-Luc Mélenchon a d'ailleurs comparé Élisabeth Borne à une nouvelle Margaret Thatcher, ce qui est une idée assez tordue (une femme ne vaut pas une autre femme politiquement). Ce n'est pas Élisabeth Borne qui décide au bout du bout, et sa culture est plutôt celle de la négociation et de la concertation que celle du droit-dans-les-bottes à la Juppé. D'un point de vue personnalité, Édith Cresson aurait plus de légitimité à se laisser comparer avec la Dame de fer.
Je m'égare toujours ! Quand elle est morte, Margaret Thatcher a laissé aux Britanniques le sentiment d'une femme particulièrement clivante, très violente socialement, laissant des grévistes de la faim aller jusqu'au bout de leur cursus fatal, sans changer d'un iota sa détermination, mais aussi d'une véritable femme d'État (j'allais écrire homme d'État), quelqu'un qui a saisi l'intérêt général et qui l'a servi avec une détermination de fer. Probablement qu'Emmanuel Macron serait flatté d'être comparé à cette première Dame de Downing Street. Il le disait encore dans son interview du 22 mars 2023 : sa facilité aurait été de renoncer à la réforme des retraites. Et faire plaisir à tout le monde... sauf aux générations futures !
À cause de ce néo-libéralisme initié par Margaret Thatcher, on a oublié que la Grande-Bretagne des années 1970 était d'abord un pays socialisant à la baisse, dépassé économiquement, comparable à la Grèce de 2015, étatisé jusqu'à l'os. Les étatiques étaient d'ailleurs de tous les partis (le Premier Ministre conservateur Edward Heath n'était pas particulièrement libéral) et le libéralisme a remporté la victoire idéologique par la suite autant chez les conservateurs avec Margaret Thatcher en février 1975 que chez les travaillistes avec Tony Blair en juillet 1994.
Parallèlement, aux États-Unis, l'arrivée de Ronald Reagan à la Maison-Blanche (entre 1981 et 1989) a conforté le retournement vers non seulement un libéralisme décomplexé, pris dans le sens de dérégulation, mais aussi vers une ouverture mondiale des marchés, vers une globalisation des échanges (mais pas vers une démocratisation universelle comme on avait un peu trop tendance à le croire à la fin des années 1980). Pour illustrer la très forte complicité idéologique entre la Première Ministre britannique et le Président américain, il suffit d'observer Margaret Thatcher, très diminuée physiquement par plusieurs AVC, mais qui a fait l'effort de sortir de sa retraite pour aller assister publiquement aux funérailles de Ronald Reagan à Washington le 11 juin 2004.
Quand Margaret Thatcher, ancienne Ministre de l'Éducation et des Sciences, a conquis le parti conservateur, Edward Heath pensait encore pouvoir garder la maison malgré ses deux échecs électoraux de 1974. Thatcher a donné une doctrine et a su apporter l'espoir populaire avec ce renouvellement. Dans l'opposition, elle fustigeait tant le pouvoir exorbitant des syndicats (dans certaines entreprises, impossible d'être embauché sans prendre la carte d'un syndicat) que le gouvernement travailliste qui ne faisait rien pour que cela changeât : « Quelques syndicats défient le peuple britannique. Ils défient les malades, ils défient les vieux, ils défient les enfants. Je suis prête à me battre contre ceux qui défient les lois de ce pays. (…) Ce sont les tories qui doivent prendre seuls sur leurs épaules les responsabilités (…) que ce gouvernement ne veut pas assumer. ». Un message qui allait être reçu cinq sur cinq par les électeurs britanniques.
Finalement, elle a réussi à faire voter une motion de censure à une voix près, le 28 mars 1979 : de nouvelles élections ont été alors organisées et Margaret Thatcher a gagné dans la foulée, se faisant ensuite réélire deux autres fois, ce qui est un record de longévité depuis deux siècles (mais elle a été victime d'une révolution de palais en 1990 et a dû laisser la place à une nouvelle génération).
Son Ministre des Finances entre le 11 juin 1983 et le 26 octobre 1989 (ministre depuis leur arrivée au pouvoir en mai 1979) Nigel Lawson, qui vient de mourir le 3 avril 2023 à 91 ans, avait formulé ainsi la politique économique de Margaret Thatcher en août 1980 à la conférence du Bow Group (il était alors le Ministre du Budget) : « La politique économique du nouveau conservatisme repose sur deux principes : le monétarisme et le libre marché en opposition à l'intervention de l'État et à la planification centralisée. ».
Seul (en France) François Fillon, pendant la compagne de la primaire LR de 2016, s'était revendiqué de Margaret Thatcher, mais avec le risque du repoussoir électoral. La France a toujours eu peur du thatchérisme. D'ailleurs, aux funérailles de Margaret Thatcher, le 17 avril 2013 à la cathédrale Saint-Paul à Londres, la reine Élisabeth II y était présente (ce qui était très rare), comme de nombreux chefs d'État et de gouvernement de pays étrangers, mais la France (celle de François Hollande) n'était représentée que par Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée Nationale, pas même un ministre, aussi petit fût-il.
Au contraire de la France pour qui la référence est péjorative, quand Margaret Thatcher est morte il y a dix ans, tous les Britanniques se posaient effectivement la question des funérailles nationales, réservées à la famille royale et à une seule autre personnalité, exceptionnelle, Churchill. Contrepoints, dans un article sur la Dame de fer, notait le 23 novembre 2016 que Margaret Thatcher avait eu droit à sa statue de bronze à la Chambre des Communes de son vivant (érigée le 21 février 2007) alors que Churchill a dû "attendre" cinq ans après sa mort.
De fait, malgré le changement de majorité en 1997, Tony Blair n'est jamais revenu sur les décisions prises par Margaret Thatcher dont la principale (à mon sens) fut de faire de Londres une place forte mondiale des échanges financiers (la City de Londres). Dans son article de 2016 (cité plus haut), Serge Schweitzer proposait que la recette du thatchérisme, c'était une personnalité forte, des convictions fortes nourries des plus grands scientifiques (et donc, d'aucun pragmatisme ; ses références étaient en particulier Friedrich Hayek et Milton Friedman), d'une forte volonté et enfin, et surtout : « Le thatchérisme est une confiance dans la trilogie liberté, responsabilité, propriété. Il est la mise en œuvre constante de quelques idées simples sur la dimension de l’État, les bienfaits de la concurrence, le stimulant du profit, les vertus du libre-échange. Le thatchérisme, c’est la compréhension que la richesse des nations dépend de deux éléments : l’incitation des uns à créer et celle des autres à être stimulés dans leur travail, à commencer par une fiscalité non spoliatrice. ». Elle a gagné sur tous les problèmes sociaux importants du moment, sur les mineurs en grève et sur les militants de l'IRA incarcérés, en grève de la faim (dix en sont morts).
Quand ont lit la conclusion de cet article, provenant d'un site qui n'a pas peur de se revendiquer ouvertement libéral, qui se termine, à quelques mois de l'élection présidentielle, soutenant François Fillon, par : « Oui, il faut une (un) Thatcher à la France ! », finalement, on se dit qu'Emmanuel Macron pourrait être cet homme. Le Macron II, pas le Macron I qui, plongé dans la crise des gilets jaunes puis du covid-19, n'a pas pu retirer l'État des principes généraux de l'économie (le "quoi qu'il en coûte"). C'est pourquoi la détermination d'Emmanuel Macron aujourd'hui à ne pas céder sur la réforme des retraites est aussi à puiser au regard de l'histoire européenne. Ceux qui sont restés dans l'histoire humaine, ce sont les déterminés. Et uniquement eux. Margaret Thatcher en est une preuve très instructive.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Un train peut en cacher un autre.
Margaret Thatcher.
John Major.
Michael Heseltine.
Audrey Hepburn.
Anthony Hopkins.
Alireza Akbari.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
Élisabeth II, la reine des Français ?
Howard Carter.
La BBC fête son centenaire.
Rishi Sunak.
Qui succédera à Liz Truss ?
Liz Truss.
Le temps du roi Charles III.
Je vous salue Élisabeth, pleine de grâce…
Archie Battersbee.
Diana Spencer.
Theresa May.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON