Migrants en Méditerranée : voyage du désespoir et de la mort
25000 réfugiés sont morts en Méditerranée au cours des 20 dernières années, en tentant, au péril de leur vie, de rallier les côtes européennes. De nouveaux naufrages viennent agiter l’actualité européenne et ces drames soulèvent une nouvelle fois la question de la politique migratoire européenne. Acculée par ces naufrages à répétition, l’incurie des autorités européennes a été plusieurs fois dénoncée par les organisations internationales et humanitaires. Dans ces conditions, les migrants sont devenus le symbole d’un problème que l’Europe peine à traiter. Face à l’urgence de la situation, à ce désastre récurant au porte du Vieux-Continent, l’UE ne pouvait plus se contenter de déclarations attristées et un énième sommet extraordinaire dédié à l’immigration en Méditerranée s’est tenu en avril dernier. Décryptage !
Les candidats à l’immigration se multiplient
Comment endiguer le flux de migrants ? Quelles leçons faut-il tirer des drames en Méditerranée ? Qu’elles sont les mesures d’urgence censées éviter de nouveaux drames ? Autant de questions auxquelles l’UE peine à répondre.
L’Italie se trouve en première ligne pour faire face à l’arrivée massive de personnes venues de Lybie, où l’Etat central n’existe plus, de Syrie, d’Irak, d’Afrique subsaharienne et de la corne de l’Afrique et désireux de rejoindre l’UE. A la faveur du chaos en Libye, les exigences liées au flux de migrants se font de plus en plus pressantes. Espoir de justice, de liberté, de stabilité et de démocratie et qui plus est, survivre à l’injustice, à l’enfer des persécutions et aux exclusions dont ils sont victimes de la part des régimes dictatoriaux. Si les aspirations de ces populations sont légitimes, elles ont trop souvent du mal à se concrétiser dans une traversée périlleuse en Méditerranée qui, au gré des flots, brise des milliers de vies. Face à la détresse des migrants, des bandes de passeurs organisées en réseaux mafieux internationaux et hautement professionnalisés ont intensifié leur trafic criminel. Dans ces conditions, la Libye est devenue le lieu de transit de nombreux ressortissants, originaires essentiellement du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne. Le désespoir est tel que les migrants ne cessent de fuir les conflits et la famine et les dispositifs ultra-sécuritaires ne dissuadent en rien ces candidats à l’exil toujours plus nombreux. Le HCR dénombre d’ailleurs plus de 100.000 migrants et réfugiés arrivés en Europe depuis le début de l’année.
Un problème européen
En avril dernier, au large des côtes libyennes, le naufrage d’un chalutier avec 800 personnes dont 48 seulement ont pu être sauvées a ajouté un peu plus d’horreur à cette grande tragédie de la Méditerranée en ce début de XXI siècle. De l’horreur, l’Italie est passée à la sidération et ne cesse d’interpeller les pays membre de l’UE, leur enjoignant de se saisir, enfin de la question migratoire. Le chef du gouvernement, Matteo Renzi a plaidé sur la nécessité d’une politique européenne notamment avec une véritable coordination internationale. De fait, il est vrai que la crise des migrants en Méditerranée est loin d’être un problème italien mais concerne toute l’Europe qui doit en prendre toute la mesure. Ainsi, les pays européens devraient coordonnées une approche commune et solidaire pour mettre fin au drame qui endeuille quotidiennement les portes du Vieux Continent. En ce sens, Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’UE pour la politique extérieure et de sécurité commune a mis en avant l’impératif moral pour les pays de l’UE de remédier à la crise des migrants en mer Méditerranée avec « un esprit commun de responsabilité européenne ». Un changement de politique semble-t-il se dessiner enfin à la faveur d’une prise de conscience du désastre en mer Méditerranée ? La question reste posée et les incertitudes persistent.
En effet, force est de constater que les dirigeants nationaux, confrontés à la popularité croissante de mouvements populistes, semblent désemparés face un phénomène qui les dépasse, une situation hors de contrôle. Et plus que jamais, l’inquiétude est grande à présent de voir inexorablement les drames en Méditerranée continuer de se multiplier tant l’opposition est grande entre ceux qui veulent initier de grandes opérations de sauvetages et ceux qui les refusent pour ne pas attirer encore plus de migrants clandestins.
On se souvient de l’indignation du Pape en ces termes : "C’est une honte" ; dénonçant notamment sur l’île de Lampedusa "la mondialisation de l’indifférence" qui frappe l’Occident devant le drame de l’immigration. L’annulation de l’opération de secours "Mare Nostrum" laquelle a cédé la place à l’automne dernier à un dispositif de surveillance européen "Triton", nettement moins ambitieux sur le plan économique, est à l’image de cette indifférence.
Sommet européen en avril
Suite à la série noire de naufrages, un sommet extraordinaire réunissant les Chefs d’Etat et de gouvernement et dédié à l’immigration en Méditerranée s’est tenu le 23 avril pour répondre en urgence au drame des migrants en Méditerranée et à l’issue duquel le président du Conseil européen, Donals Tusk a déclaré :
« Nous ne pouvons pas continuer comme cela, nous ne pouvons accepter que des centaines de personnes meurent en essayant de traverser la mer pour venir en Europe ».
Avant la tenue de ce sommet, la Commission européenne a présenté le 20 avril un plan d’action en 10 points pour empêcher les tragédies en Méditerranée. Dans cette perspective, on retiendra notamment que l’UE a décidé de renforcer son opération "Triton" de surveillance et de sauvetage en mer en triplant son budget, passant de 2,9 à 9 millions d’euros mensuels. L’UE va étendre également le champ des patrouilles à une zone maritime élargie. Il est question également d’engager des efforts pour capturer et détruire militairement les navires utilisés par les réseaux de passeurs. Aussi les services européens des douanes, de la justice et traitant les demandes d’asiles vont coopérer plus largement. A cette fin, le déploiement du Bureau européen de soutien à l’asile (EASO) en Italie et en Grèce aidera à la gestion de ces demandes d’asile et à leur harmonisation. De plus, il est projeté de prendre de manière systématique les empreintes digitales de tous les migrants et d’examiner des options pour un mécanisme de relocalisation d’urgence des migrants. Des officiers de liaisons pour l’immigration au sein de délégation de l’UE seront chargés de collecter des informations sur les flux migratoire. Enfin un projet pilote devrait permettre, sur la base du volontariat, de répartir les réfugiés au sein des 28 pays membres de l’UE. Cette stratégie pour les migrations est, me semble-t-il, primordial afin de prévoir, de manière équitable, des quotas obligatoires d’accueil des réfugiés pour tous les Etats membres.
Le « principe des quotas » en question
Sur le fond, la Commission européenne prévoit, selon un système de quotas, de répartir équitablement des réfugiés entre les Etats de l’UE. Ces quotas seront calculés en fonction du PIB, de la population et du niveau de chômage des pays. Si on peut saluer cette proposition de la Commission, il est difficile, pourtant, de trouver un consensus sur cette question. De fait, ce « principe des quotas » ne fait pas l’unanimité. Londres, Budapest et les Etats baltes s’y opposent fortement et le gouvernement français, quant à lui, adopte une position floue, en précisant que des règles existent sur « le contrôle des frontières et des politiques de maîtrise de l’immigration ». Dans le même temps, dans une tribune publiée par le journal La Croix, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve déclare que « La France est favorable à la mise en place d’un mécanisme de répartition solidaire, à l’échelle européenne ».
Quand on observe la désunion de l’Europe, il est difficile de ne pas être sceptique – et triste- sur la mise en place réelle de cette fameuse solidarité dont on a toujours parlé en Europe. Solidarité qui voudrait que la politique de l’UE en matière migratoire soit moins répressive avec une volonté accrue d’accueil des migrants. De façon certaine, il faut en urgence revoir les règles de fonctionnement actuelles de l’Union en matière d’immigration et d’asile. La politique européenne est sévère envers les demandeurs d’asile, qui ont, en définitive, peu de chance d’obtenir l’autorisation d’entrer dans un pays de l’Union.
De tout évidence, l’action européenne humanitaire de sauvetage en Méditerranée doit se doublet d’un volet politique ambitieux fort avec une stratégie coordonnée pour apporter la meilleure réponse à court terme mais aussi dans une perspective durable. Il est donc primordial d’engager en premier lieu une réflexion sur une coopération renforcée avec les pays concernés et le financement de dispositifs ambitieux.
Les solutions à engager sont nombreuses : Lutte contre les trafiquants d’êtres humains, approche assouplie concernant le droit d’asile. De fait, le droit d’asile en tant que droit humain doit permettre aux personnes qui fuient les guerres en Syrie, en Irak et en Afrique de pouvoir trouver un havre de sécurité. Il faut donc mettre en place des voies légales qui mènent à l’Europe sans que les migrants ne mettent leur vie en péril aux portes de l’Europe. Cela doit s’accompagner également de la surveillance accrue des frontières, mais aussi et surtout de l’aide au développement, de l’aide à l’instauration des Etats véritablement démocratiques. De fait, il est d’une impérieuse nécessité de s’atteler à trouver des solutions à l’instabilité dans les pays d’origine, si on veut réussir concrètement à éviter de nouvelles tragédies en mer Méditerranée. Enfin, il serait bon de faciliter l’intégration de manière équitable sur tout le territoire européen, de réformer la directive Dublin. Cela peut aussi impliquer le soutien à une politique européenne d’immigration sélective européenne, encourageant les flux des travailleurs qualifiés, tout en sachant que l’UE doit faire face au vieillissement de la population.
L’Europe peut faire beaucoup mieux afin d’améliorer les politiques de coopération et d’accueil des migrants qui fuient conflits et famine. Elle se doit de montrer un minimum de volonté politique pour réduire le flux de réfugiés. Dans cette perspective, l’UE doit s’atteler à trouver des mécanismes de protection des migrants en mer, pour endiguer le cycle de la mort en Méditerranée. Il s’agit de placer le sens de la solidarité, de la responsabilité et du devoir au cœur d’un engagement commun.
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