Nicolas Sarkozy et la démocratie sélective
La décision est tombée sans crier gare lors d’une réunion à l’Elysée avec les députés de la majorité parlementaire : sur le traité de Lisbonne et le rejet du texte par les Irlandais le 13 juin dernier, le chef de l’Etat a tranché : l’Irlande devra revoter ! Pourtant, la semaine dernière encore devant le Parlement européen, Nicolas Sarkozy avait indiqué qu’il proposerait une solution au "non" irlandais soit en octobre, soit en décembre afin de ne pas bousculer les Irlandais. Alors qu’il doit se rendre en Irlande le 21 juillet, qu’est-ce qui a pu pousser Nicolas Sarkozy à prendre une décision aussi rapidement ?
Depuis qu’il a été élu président de la République voilà un peu plus d’un an, Nicolas Sarkozy nous avait habitué à des retournements de situation, mais jamais à des revirements aussi rapides. C’est désormais chose faite. Depuis ses déclarations devant les députés UMP, le chef de l’Etat a provoqué la colère des partisans du "non" irlandais et suscité un tollé des députés européens contre la décision de vouloir refaire voter l’Irlande sur le traité de Lisbonne.
Mais quelle mouche a donc pu piquer Nicolas Sarkozy pour précipiter une décision si importante sur la construction européenne alors qu’il avait assuré lors de son discours devant le Parlement européen, le 10 juillet dernier, qu’il ne voulait "laisser personne derrière" et que "l’Europe à plusieurs vitesses ne pouvait être qu’un dernier recours".
La volonté de Nicolas Sarkozy de faire revoter l’Irlande sur un texte qu’elle a déjà refusé peut paraître surprenante même si, à bien y réfléchir, elle ne l’est pas pour autant. Petit retour en arrière pour comprendre la situation : en 1992, le Danemark avait d’abord rejeté le traité de Maastricht lors d’une consultation référendaire avant de finalement dire "oui" l’année suivante à la suite d’une campagne d’information menée d’arrache-pied par le nouveau Premier ministre de l’époque, Poul Nyrup Rasmussen. Scénario identique en 2001 avec l’Irlande qui avait commencé par dire "non" à son tour au traité de Nice avant de se rétracter et de l’adopter l’année suivante. "Jamais deux sans trois ?" a dû penser Nicolas Sarkozy. Peut-être, lui dira-t-on ! Mais dans la bataille des expressions, on peut également lui opposer la maxime suivante : non, on ne refait jamais l’Histoire !
Car l’essentiel est bien là. La décision de Nicolas Sarkozy est non seulement surprenante, mais surtout choquante. Surprenante parce qu’une nouvelle fois, le chef de l’Etat nous montre qu’il excelle dans l’art du revirement d’opinion : l’Union Européenne a-t-elle vraiment besoin en ce moment d’un président qui change d’avis comme bon lui semble ? Choquante parce que jamais personne n’aurait osé demander aux Français de revoter après leur rejet du traité instituant une Constitution européenne en 2005. D’ailleurs, si l’adoption du traité de Lisbonne a été faite par voie parlementaire c’est bien dans l’idée qu’un nouveau référendum aurait donné le même résultat. Pourquoi, dès lors, vouloir appliquer aux autres ce qui ne marche pas à soi-même ? Par ailleurs, quand bien même les Irlandais voteraient à nouveau, la question de la ratification du traité de Lisbonne ne serait pas pour autant résolue : dans six mois, le 1er janvier 2009, ce sera au tour de la République tchèque de prendre la présidence de l’UE, elle qui a déjà prévenu par la voix même de son président qu’elle s’opposait à toute nouvelle ratification tant que la question irlandaise ne serait pas résolue. Alors que les électeurs européens sont appelés à se rendre aux urnes dans un peu moins d’un an, la question du déficit démocratique tant redoutée par les dirigeants européens semble quant à elle trouver sa solution : l’impasse ! La crise institutionnelle européenne existe bien. Elle est le résultat d’une indifférence, mais surtout d’une incompréhension des députés à comprendre ce que veulent les Européens. La meilleure façon de rapprocher les électeurs de l’Union européenne serait-elle de les écarter davantage des décisions politiques ? Pas sûr !
Nicolas Sarkozy a une vision bien à lui de l’Europe : si le peuple refuse ce que nous proposons alors recommençons jusqu’à ce qu’il approuve ! Drôle de conception de la démocratie pour un président à la tête de l’UE. Dans la bataille des expressions, la définition de la démocratie comme "un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple" a du souci à se faire...
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