Ce mercredi 17 décembre 2008, le Parlement européen en séance plénière était appelé à voter en deuxième lecture sur la directive temps de travail. Il en a décidé ainsi : pas plus de 48 h de travail par semaine et le temps de garde inactif est du temps de travail. Ce texte a été très débattu et continuera de l’être...
« C’est un jour glorieux pour l’Europe sociale » a déclaré le député socialiste européen Alejandro Cercas, à la suite de l’adoption de son rapport en séance plénière au Parlement européen mercredi 17 décembre 2008. Celui-ci était appelé à se prononcer en deuxième lecture sur la directive sur le temps de travail, les députés et ministres européens tentant de trouver un accord sur ce sujet.
On relève souvent les problèmes de l’Europe. Pourquoi ne pas souligner, une fois n’est pas coutume, ce qu’elle fait de bien ?
Le contexte
Revenons rapidement sur l’histoire de cette directive.
La directive sur le temps de travail de 1993 stipulait que les travailleurs ne peuvent pas travailler plus de 48 heures par semaine en moyenne, calculé sur une base de 4 mois. De nombreuses autorisations étaient toutefois permises (jusqu’à 78h). Pour simple rappel, une directive européenne est un acte normatif pris par les institutions de l’Union Européenne, qui donne des objectifs à atteindre par les pays membres, avec un délai.
Certains articles devaient être révisés 10 ans après et la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a rendu un certain nombre d’arrêts, illustrant la nécessité de réviser la directive. La Commission européenne a alors présenté sa proposition de révision en mai 2004. Toutefois les Etas membres sont arrivés à un compromis seulement en juin 2008 ! Ce compromis n’a d’ailleurs pas été suivi par la Belgique, Chypre, la Grèce, l’Espagne et la Hongrie au motif du déséquilibre entre la protection des travailleurs, affaiblie trop fortement, et la flexibilité du travail.
Le député socialiste espagnol Alejandro Cercas a alors été désigné rapporteur au Parlement européen.
Un désaccord rude
Depuis le départ la directive de 1993 a engendré des controverses et des batailles politiques.
Pour certains elle conduira à du dumping social tout en portant atteinte à la santé et à la sécurité des travailleurs. De plus des heures excessives réduisent la créativité et la possibilité de concilier la famille et le travail. Le rapporteur Cercas le souligne : Il ne faut pas suivre la position du Conseil car il faut « travailler pour vivre et pas vivre pour travailler ». Le président de la commission Emploi et affaires sociales Jan Andersson explique que le résultat du vote est positif tant pour la santé des travailleurs européens que pour l’égalité entre les hommes et les femmes (en effet en général ce sont les hommes qui ont une femme à la maison qui travaillent de 60 à 65h, ce qui explique que les femmes soutiennent davantage ces mesures). Le vice président de la Commission Emploi et affaires sociales Jean-Louis Cottigny estime quant à lui que même dans les pays où la règlementation du travail est moins dense, aller dans le sens du Conseil va à l’inverse du progrès social.
Le camp opposé invoque la flexibilité qui est nécessaire, surtout en période de crise. En outre dans certains pays les travailleurs pour gagner plus d’argent chercheront un autre travail, ou, autre argument, les journées qui compensent les heures non travaillées ne peuvent pas être aisément prises dans toutes les professions. Soulignons qu’au Royaume-Uni, pays qui est un ardent défenseur de l’opt out, les députées travaillistes n’ont pas suivi leur gouvernement et ont voté contre la position du Conseil.
En adoptant les amendements du rapporteur, le Parlement affiche son opposition avec le Conseil et affirme clairement qu’aucune exception ne peut être faite aux 48h de travail hebdomadaire dans le sens supérieur et que le temps de garde, même inactif, reste du temps de travail. Jetons un œil plus précis aux mesures emblématiques et problématiques.
L’opt out
Un accord d’opt outpeut être conclu entre l’employeur et l’employé, dans lequel ce dernier accepte de renoncer à la limite de 48h. Pour les travailleurs qui optent pour la dérogation, le texte législatif prévoit un maximum de 60 h de travail par semaine en moyenne sur une période de 3 mois, porté à 65 h quand il n’existe pas de convention collective. 15 Etats membres appliquent cette clause et certains pays appliquent cette mesure abondamment, en particulier le Royaume-Uni, qui a exercé par ailleurs une forte pression pour conserver cette possibilité. Toutefois, malgré ce lobbying intense, les parlementaires ont pris leurs responsabilités. Il a par ailleurs été démontré que de nombreuses questions de santé étaient liées aux longues heures de travail, comme le stress, l’anxiété, la dépression, voire l’insomnie, les maladies cardiovasculaires, des problèmes alimentaires ou familiaux, la consommation excessive de tabac ou d’alcool (Il existe même en anglais un mot qui est dédié aux travailleurs ayant des longues semaines : les workaholics.).
Le problème est que dans les faits, l’employé n’a pas le choix d’accepter ou non cet opt out. En outre cet accord est souvent signé au même moment que la signature du contrat et le délai de préavis pour y renoncer est long. Il est à noter que la proposition du Conseil interdit la signature simultanée des 2 (il faut attendre un mois).
La position du Conseil a pour but d’étendre le recours à l’opt out individuel pour les Etats qui souhaitent déroger à la limite des 48 heures par semaine, en allant jusqu’à 65h par semaine sur une période de 3 mois. La plupart des députés estiment que l’annualisation de la période de référence pour le calcul de la durée hebdomadaire du travail permettrait une organisation suffisamment souple du temps de travail. Le rapport Cercas propose le retrait de l’opt out 36 mois après l’entrée en vigueur de la directive.
La définition du temps de garde
Le Conseil considère que les périodes inactives du temps de garde ne devraient pas être considérées comme du temps de travail, sauf si la législation ou les conventions collectives n’imposent le contraire. En effet le Conseil et la Commission ont présenté les idées de temps de garde « actif », période pendant laquelle le travailleur doit être disponible sur le lieu de travail afin de travailler lorsque requis par l’employeur, et temps de garde « inactif », une période où le travailleur est de garde mais n’est pas appelé par son employeur pour travailler.
Le temps de travail a été défini par la CJCE ainsi : « la notion de temps de travail se caractérise par l’obligation, pout tout travailleur, d’être présent sur le lieu déterminé par l’employeur et d’être à la disposition de ce dernier de manière à pouvoir fournir des services immédiatement le cas échéant ». Ce temps-là ne correspond-il pas au temps de garde ? Comme le souligne le vice président de la commission emploi et affaires sociales, « ces mesures menacent la santé des médecins, voire celle des patients ».
Le Parlement décide par son vote que toute période au travail, même les moments inactifs, seront considérés comme du temps de travail, amendement adopté à 576 voix pour.
Autres dispositions
Le Conseil considère qu’il appartient aux Etats membres de déterminer la durée de délai raisonnable pour l’attribution d’un repos compensateur, alors que le compromis Cercas prévoit leur attribution aux travailleurs qui n’ont pas pu prendre des périodes de repose normales après les périodes de service.
De plus les employeurs devront informer les travailleurs bien à l’avance de tout changement dans les heures de travail.
Enfin le Parlement a proposé de prolonger la période de référence pour le calcul de la durée hebdomadaire du travail à 12 mois, dans certaines conditions, afin de prévenir tout risque pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Et maintenant ?
Lors de sa première lecture le 20 octobre 2008, la commission Emploi et affaires sociales du Parlement européen a rejeté la décision du Conseil. Elle a ensuite adopté le rapport Cercas à 5 voix contre 13 en Commission emploi et affaires sociales du Parlement européen le 5 novembre 2008. En séance plénière, ce 17 décembre 2008, la majorité absolue a été atteinte : 421 voix contre 273 (et 11 abstentions), ce qui indique que le débat n’est pas près de s’arrêter.
Début 2009, la directive temps de travail ira à un comité de conciliation, afin que le Parlement et le Conseil négocient. Il n’y a cependant aucune garantie qu’un accord soit trouvé, et dans ce cas précis aucun changement ne sera alors apporté à la directive de 1993 (et l’opt out continuera à sévir).
Ceci n’est pas une question de politique de droite ou de gauche, mais plutôt une question qui concerne le bien-être, et le respect des travailleurs. Pour preuve : pour atteindre le pourcentage de députés ayant voté pour le rapport Cercas, des hommes politiques de tous bords l’ont adopté (le Parlement européen est composé de 288 députés PPE-DE, 217 PSE, 100 ALDE, 43 Verts, 43 UEN, 41 GUE, 22 ID, 31 NI). Lle nombre restreint de représentants des Etats du Conseil oseront-ils contredire les nombreux représentants des peuples du Parlement européen ?
A suivre…