Pour une industrie de défense européenne
Alors que la directive européenne sur l’ouverture des marchés de défense suscite l’inquiétude des industriels français, il est utile d’observer l’arrêt quasi-complet du mouvement d’« européanisation » de l’industrie de défense qui avait prévalu pendant les années 90. Les politiques purement nationales développées actuellement ne sont aptes à répondre ni aux enjeux technologiques de ces secteurs, ni aux contraintes budgétaires auxquels sont soumis les Etats européens. La France, leader des industries de défense en Europe, doit prendre l’initiative de relancer la politique européenne de défense.
Ce modèle pose un problème de financement dans la durée. Faute d’une politique industrielle concertée, la pression budgétaire actuelle, le niveau d’endettement des Etats et des facteurs d’échelle auront raison des acteurs les plus fragiles, qui seront la proie de groupes extra-européens, comme cela s’est déjà produit en Espagne, dans le domaine de l’armement terrestre, et en Allemagne, dans le domaine des chantiers navals.
Historiquement, l’attitude des gouvernements européens en matière d’AED peut être qualifiée de « schizophrène ». En juillet 2000, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède avaient signé un accord cadre « en vue de promouvoir une base technologique et industrielle de défense européenne », pouvant conduire « à l’acceptation d’une dépendance réciproque ». Mais cet accord n’a jamais été traduit dans les faits. Les programmes multilatéraux, quant à eux, sont au point mort. Les agences européennes, l’OCCAR et l’AED, doivent voir leurs moyens renforcés sur le modèle de l’ESA, ou être supprimées, au profit d’une coopération renforcée des agences nationales.
La France, qui a l’industrie AED la plus puissante en Europe, avec les capacités les plus complètes, devrait prendre l’initiative d’une relance de la politique industrielle européenne de défense, en s’appuyant sur ses partenaires privilégiés, britanniques et allemands.
Il faut, par ailleurs, soutenir l’innovation technologique. Les grands groupes sont légitimement préoccupés par le développement de grands systèmes et de leurs activités de service, qui leur offrent des revenus réguliers et prévisibles. Il faut, par conséquent, encourager les PME innovantes, favoriser leur croissance et les protéger des prédateurs.
Le modèle intégré de développement des groupes industriels d’AED doit être préféré au modèle « multidomestique ». Il a permis les succès d’Airbus, Eurocopter, Astrium (Ariane), MBDA, ou CFM (Safran-GE). Ces derniers ont pu égaler, voire dépasser, leurs concurrents américains, avec comme bénéfices additionnels : le développement d’un tissu d’équipementiers dont certains, comme Thales, Safran ou Zodiac, sont devenus des leaders mondiaux ; la création d’emplois, en particulier en France.
En France, la politique des « noyaux durs » nationaux a privé l’AED d’actionnaires industriels de référence, investis dans son développement. Il faudra à la fois : ouvrir le capital des grands groupes ; vendre certains acteurs pour préparer une fusion européenne ; assurer le contrôle de l’Etat ; renforcer l’actionnariat salarié.
En conclusion, l’AED est un outil indispensable de notre souveraineté et de notre indépendance, autant qu’un atout majeur de la balance commerciale française.
Mais l’AED est aussi une bombe à retardement budgétaire. Notre réponse doit être une industrie européenne intégrée et compétitive sur le marché mondial, disposant à la fois d’un ancrage national et régional fort, et d’implantations mondiales, garanties d’un accès au marchés internationaux. Le principal obstacle à ces rapprochements réside dans l’attitude de défiance réciproque des gouvernements européens.
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