Pour une Union des Européens
Habitant au Royaume-Uni, nous votions hier pour l’élection de nos parlementaires européens. Les résultats ici risquent de voir surgir une vague d’anti-européens divers, certains simplement nationalistes, d’autres fascistes, dans ce pays traditionnellement opposé à une construction européenne politique.
A cela s’ajoute un deficit de confiance envers les partis dits traditionnels à la suite du scandale des notes de frais. Dimanche, à l’annonce des résultats, les Conservatives et surtout le Labour verront une part significative de leurs suffrages déversée sur ces petits partis. Et ici aussi, on a observe une très forte abstention.
Partout sur le continent, un malaise s’est installé vis a vis de l’Europe. A force de nous vendre une Europe toujours ’meilleure’ a coups de traites incompréhensibles ou déguisés en Constitution, nos dirigeants ont fini par nous lasser de cette Europe qui - contrairement a nos institutions nationales - nous parait finalement pas si utile que ça. Le mythe du "on peut faire aussi bien, ou mieux, sans Europe" s’est installe. Et pourtant, la montée de la Chine, et surtout de l’Inde, nous montre que l’Europe désorganisée et désolidarisée sera une proie facile et idéale pour les appétits grandissant de ces grandes puissances émergentes. L’attractivité de l’Europe ne fait aucun doute, un niveau d’éducation élevé, une main d’oeuvre qualifiée et productive, un potentiel d’innovation réel mais non réalisé. L’Europe est une pierre précieuse brute que nous nous devons de tailler nous-mêmes au risque de voir un marchand de diamants a la recherche d’une bonne affaire se l’acheter a bon prix.
Alors à qui la faute ? Pourquoi en est-on revenu a cette assurance que l’Europe ne peut pas rendre nos vies meilleures ? Tout simplement parce que l’Europe n’est plus. L’Europe telle qu’elle fut construite était avant tout un outil d’intégration économique, un outil qui a permis de créer la première puissance commerciale au Monde, un outil qui nous a protège des déflagrations de crises successives et nous a permis pendant 40 ans de forger plus ou moins notre propre destin. Cette idée excellente, en plus d’améliorer la vie sur le Continent, a aussi permis de le rendre pacifique, chose inespérée il y a seulement 60 ans.
Alors, que s’est-il passé ? Pourquoi cette Europe bienfaitrice n’a pas réussi a se renouveler ? Un grand tournant au début des années 80 a vu le principal objectif de l’Europe passer de l’existence d’un marche commun visant a améliorer la vie de ses occupants a une machine a justifier un néoliberalisme digne de l’Ecole de Chicago et au service de ses élites. Cette machine est supportée depuis 25 ans à droite comme a gauche, et pour cause, elle sert principalement les intérets des mêmes élites qui en France, une fois sortis de l’ENA, se posent une seule et même question : la meilleure chance de se faire élire est-elle de s’adresser aux classes populaires ou aux chefs d’entreprise ? Ces mêmes personnes ont continué à nous vendre l’idée d’une Europe bienfaitrice pendant qu’en coulisses, la destruction était méticuleusement organisée au profit de la minorité. Exit la protection des industries, des emplois, des services publics stratégiques. Le libre échange a alors fait place a l’extrême concurrence, le "tout doit disparaitre", la dérégulation ultime au service d’une idéologie qui se révèlera au final aussi destructrice que le communisme lorsque exécutée à la lettre, comme de nombreux pays en voie de développement en témoignent amèrement aujourd’hui.
Tout le monde sait que le reel pouvoir en Europe est à la Commission Europenne et au Conseil Europeen. Alors pourquoi nous fait-on élire un Parlement marionnette, sans réel pouvoir de decision ? La réalite est que - comme nous le rappelle Naomi Klein - cette ideologie néoliberale ne peut etre exécutée dans une démocratie, simplement à cause de l’opposition qu’elle y rencontrerait naturellement par le peuple. L’Europe s’est donc transformée en cet outil non-démocratique idéal dont nos hommes et femmes politiques avaient besoin pour mettre en place tout ce qui aurait déclenché une révolte généralisée dans nos vieilles democraties nationales. Mais à force de refuser le pouvoir au peuple pour une Europe qui, elle, a de plus en plus de pouvoir sur nos vies, les Européens vont finir par se lasser de l’idée de l’Europe même... jusqu’a l’implosion.
Pourtant, le scandale des notes de frais nous montre bien que c’est de nos instances de représentation nationales que le noeud du probleme vient, du fait que la politique soit devenue une carrière au même titre que docteur ou avocat ou, probablement plus approprié, commercial et responsable marketing. Le triste constat est qu’aujourd’hui, je ne vois pas dans l’echiquier politique d’interlocuteur sérieux capable de relever LE défi de l’Europe. Nous avons le ’choix’ entre ceux qui ont participé à la destruction de cette belle idée, et ceux qui pensent que la solution réside dans des idéologies extrémistes fascistes ou de gauche révolutionnaire réchauffées et dont on sait parfaitement qu’elles ne fonctionnent pas non plus. Combattre une idéologie par d’autres idéologies a constitué le malheur du XXeme siècle, et il est temps de réfléchir autrement.
Les institutions de l’UE sont aujourd’hui risibles mais elles représentent en même temps une énorme opportunité, la possibilité de démarrer d’une feuille quasiment blanche un projet démocratique qui permettra à l’Europe de réellement remplir son rôle et de protéger les intérets de ses habitants et du monde, aujourd’hui et dans le futur. Ce qui est devant nous est une chose qui n’a encore jamais ete realisée, une construction démocratique saine, pragmatique et non basée sur une quelconque idéologie, entre Etats indépendants décidant de mettre en commun leurs énergies pour etre plus forts dans la protection des intérets de tous, là où cela est nécessaire. Cette idée, nous ne devons pas attendre d’autres qu’ils la créent pour nous, nous devons, citoyens Européens, nous charger de l’inventer.
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