Que faire de la Grèce ?
C’est désormais la question ouverte dans le petit monde européen. La Grèce est une petite écharde dans le pied, des 26, mais lancinante car elle attaque le cœur du système européen : la confiance. Comment demander aux contribuables allemands et français, en confiance, de contribuer aux aides pour la Grèce si son peuple élit avec constance des politiques grugeurs et refuse ensuite d’entériner des politiques de retour à un équilibre budgétaire ? Comment les grecs peuvent-ils regarder l’aide européenne si celle-ci ressort en fait immédiatement du pays pour repartir dans les banques des pays prêteurs, que personne n’a songé à réguler et qui ont prêté plus qu’elles ne possédaient ? Comment se coordonner intelligemment et rapidement quand la gouvernance européenne ne sait qu’ajouter des vétos ?
Bref, nous en sommes à discuter de la sortie de la Grèce, la « Grexit ». Vous ne comprenez rien au débat ? Pas de panique, Sauvons l’Europe est là pour tout vous expliquer !
1) Dehors les romanos !
Résolution un peu brutale en tranchant le nœud gordien. Le membre éminent des GIIPS sortirait de l’Euro et arrêterait d’emmerder le monde, retrouverait la drachme et dévaluerait un bon coup pour redevenir compétitif.
Quels sont les risques ? Pour les autres européens, il y’a la paume liée à la faillite, mais comme les banques se sont retirées du financement de l’Etat grec, ne reste que nos gouvernements. C’est donc en théorie sous contrôle. On peut avoir quelques doutes encore sur les effets d’une faillite d’une partie des banques grecques sur les autres banques européennes, tout ceci restant quand même assez obscur. Certains partisans de cette solution, tels Karel de Gucht, n’en déclarent pas moins virilement qu’ils sont « prêts à prendre le risque ».
Le vrai problème est que les marchés vont immédiatement anticiper que le problème peut se poser avec le Portugal, l’Espagne, l’Italie. Les promesses que cela n’arrivera pas ne sont plus crues par personne, et plus les rumeurs se précisent sur l’existence de groupes de travail, plus on observe une fuite des déposants de toute l’Europe du sud vers les banques d’Europe du Nord. Le fait que l’Etat allemand soit capable cette semaine d’emprunter à des taux négatifs (donc que les prêteurs acceptent de perdre de l’argent) n’est pas une bonne nouvelle du tout pour l’Allemagne, c’est tout simplement le signe qu’ils envisagent la fin de l’Euro et le retour du Mark. Témoin les difficultés grandissantes de l’Espagne de se financer, alors que tout le monde jure en coeur que jamais on abandonnera l’Espagne.
Côté Grèce, ce n’est pas mieux. Les beaux exemples de l’Islande et de l’Argentine qui se sont relevées après avoir fait faillite ne convainquent pas. L’Islande n’avait pas de problème économique préalable et a été touchée par un pari financier fait ailleurs. Passée la tempête, son économie continue à fonctionner, ce qui n’est pas le cas de la Grèce ; en fait la volonté de pousser la Grèce vers la sortie tient à une conviction qu’elle est corrompue, irréformable et chroniquement non compétitive, autrement dit qu’elle est un pays du tiers-monde avec un faux-nez qui n’a rien à foutre en Europe. Il suffit de lire la liste des réformes demandées aux grecs pour voir qu’elles vont bien au-delà de l’austérité et qu’on leur demande surtout de se doter d’un état, ce que jusqu’ici et même sous la pression, la classe politique grecque a collectivement refusé de faire. Il est donc un peu étrange d’attendre un rebond miracle de croissance avec une simple dévaluation. L’Argentine a pu repartir en s’appuyant sur sa production agricole pour exporter. Que peut exporter la Grèce à moyen terme (moins de 5 ans ?). Tout le monde évoque le tourisme, désormais à bas prix. Si vraiment la drachme est dévaluée de 60%, donc peut être une perte de pouvoir d’achat de moitié en comptant la récession, la Grèce risque d’être un pays peu accueillant pour le tourisme. L’exemple Tunisien est là pour montrer qu’un pays en crise sociale profonde, avec mouvements de foule, néonazis qui ratonnent, a peu de chance de devenir du jour au lendemain un havre touristique.
Certains en Allemagne content aujourd’hui une historiette morale, où il est question de rigueur germanique acquise après le cauchemar de l’hyperinflation des années 20. Infliger des tourments similaires aux grecs leur ferait au final du bien, et collerait une sainte frousse aux autres GIIPS. Oserait-on faire remarquer que dans les années 2000, l’Allemagne a envoyé péter le pacte de stabilité et avait été rudement sermonnée par les états modèles Espagne et Portugal ? Surtout, oserait-on rappeler que la solution immédiate trouvée par l’Allemagne à la fin des années 20 fut non pas la rigueur, mais la conquête et la mise sous coupe réglée du reste de l’Europe pour financer le déficit de son état social ? Est-ce une si bonne idée de réitérer l’exercice avec un pays dont l’expérience de la démocratie est récente, le peuple sujet aux emportements extrémistes, les élites corrompues et qui dispose de la plus grande armée d’Europe par rapport à sa population ?
2) Un pied dedans, un pied dehors. En attendant ?
Le problème du Grexit, c’est la faillite de l’état grec et sans doute des banques. Comment arriver à un résultat similaire, mais sans cette déflagration ? Thomas Mayer, de la Deutsche Bank, a une super proposition : une monnaie parallèle, comme dans les SEL ou à Cuba. Et vu la manière dont l’idée s’est propagée dans les cercles européens en moins de trois jours, elle n’est pas à prendre comme une proposition isolée mais bien comme un ballon d’essai adressé par le système financier allemand.
De quoi s’agit-il ? La Grèce reste dans l’Euro, ne fait pas faillite, ni ses banques. Pour assurer l’absence de crise, l’Europe finance les intérêts de la dette existante et « nationalise » les banques grecques dans une bad bank européenne en garantissant les dépôts, ce qui évite une panique bancaire. Et pour le reste les grecs se démerdent.
Comme ils ne peuvent plus emprunter sur le marché, ils vont émettre des titres valant reconnaissance de dette mais à circulation obligatoire, finement baptisés Geuros. Ce sera une monnaie sans en être une, mais en en étant quand même puisqu’elle circulera comme moyen de paiement. Le taux de change avec l’Euro ne serait pas libre, mais varierait en fonction du déficit hors poids de la dette du Gouvernement, avec une première dévaluation de 50% pour bien commencer et retrouver de la compétitivité.
Quels résultats en attendre ? La technique est très efficace pour assurer la circulation de la monnaie, elle a d’ailleurs été mise en œuvre par l’Allemagne dans les pays occupés pendant la deuxième guerre mondiale (ceci n’est pas une reductio ad hitlerum, malgré les apparences). Les armées d’occupations payaient leurs achats avec de tels bons, dont l’échange dans la monnaie locale devait être honoré par le gouvernement occupé. Le résultat est que le circuit des paiements fonctionne, au prix d’une certaine inflation et donc d’une perte de valeur de la monnaie. Plus on émet de Greuros, plus leur valeur baisse, d’où l’idée de fixer leur valeur d’échange avec l’euro en fonction de leur nombre en circulation. Cependant ceci ne tient pas compte du risque de faillite de l’Etat grec sur ces bons, et donc de leur valeur au marché noir qui risque d’être beaucoup plus faible que la valeur officielle.
Dans le cas positif, évidemment seul réellement mis en avant par l’étude, cette dévaluation interne ramène la compétitivité grecque comme dans le cas de l’abandon de l’Euro, la Grèce rééquilibre ses finances publiques, rachète les Geuros en circulation et redevient donc membre à part entière de la zone Euro.
Dans le cas négatif, l’inflation se cumule avec une perte de pouvoir d’achat des plus pauvres (ce qu’on observe à Cuba) et accroît très fortement les inégalités. Avec la hausse des prix importés de l’énergie, la lumière et le chauffage ne seront plus garantis. Pour assurer un minimum social, la Grèce émet des Geuros de manière continue, au point de rendre impossible son retour strict à l’Euro qui est évincé du système d’échange interne au pays. La Grèce sort alors de l’euro après quelques années, mais sans que ses banques aient pété au nez du reste de l’Europe (et de la Deutsche Bank) ce qui soulage tout le monde.
Ce système, sous ses apparences, n’est en fait qu’un sas d’attente permettant de neutraliser le danger financier grec et de laisser aux grecs la seule responsabilité de leur retour ou de leur sortie définitive de l’Euro. Comme une sortie pure et simple n’est pas crédible compte tenu des risques, elle le devient avec cet argument et permet de peser sur les négociations avec la Grèce.
3) Le bras d’honneur grec : la faillite sans la sortie
Rappelons qu’il n’est pas possible d’obliger un pays à quitter la zone Euro. Si le scenario précédent, introduit par les allemands, vise la sortie sans la faillite, la classe politique grecque pourrait répliquer avec la faillite sans la sortie. Pourquoi ?
La décomposition et la corruption de la classe politique grecque traditionnelle sont une affaire entendue, y compris pour les grecs. Il convient pourtant de rappeler que pour emprunter il faut des prêteurs. Ces derniers ne sont pas de pauvres oies blanches abusées, mais des banques européennes ayant aidé au trucage des comptes grecs (Goldman Sachs où travaillaient Monti et Draghi), prêtant bien au-delà de leurs ratios de solvabilité, certaines qu’en cas de problème les autres Etat et l’Union rembourseraient la casse, le tout sous les yeux de leur classe politique nationale ayant refusé toute démarche de régulation.
Or les grecs pourraient à juste compte considérer, d’une part que l’aide qui leur a été apportée, exceptionnelle par rapport au Niger (dixit Christine Lagarde), est risible par rapport à celle qui a été versée aux banques, et d’autre part que la majeure partie de cette aide a servi à assurer le paiement des dettes à ces mêmes banques nationales (et désormais aux états). La Grèce n’est qu’un carrefour de passage à destination des banques pour l’aide européenne. La proposition de la Deutsche Bank est caricaturale en ce sens.
L’idée est donc la suivante : puisque le budget grec est quasiment à l’équilibre hors charge de la dette (1% de déficit), que la dette appartient désormais aux autres Etats européens et que l’aide sert à la payer, la Grèce se trouve aujourd’hui dans la possibilité de les obliger à enregistrer la perte en limitant la casse. Notamment, les entreprises ne se retrouveraient pas obligées de rembourser des dettes libellées en euros avec des Geuros ou des drachmes, et ceci vaut pour les banques qui auraient toujours accès au financement de la BCE (la BCE a déjà annoncé qu’elle coupait l’accès à ses liquidités à quatre banques grecques). Le gouvernement grec pourrait même se payer le luxe de réussir son atterrissage budgétaire en l’étalant sur un ou deux ans par un emprunt obligatoire auprès de ses citoyens.
Les problèmes structurels de la Grèce seraient intacts, mais celle-ci aurait retrouvé sa liberté démocratique pour les gérer, ce qui est moins dangereux que sous la contrainte d’autres gouvernements. Ainsi, la Grèce pourrait répliquer au plan Geuro.
4) Le fédéralisme d’exception : la mise sous administration d’occupation
Jean-Claude Trichet, récent retraité, a son idée sur le futur du fédéralisme européen. Le 17 mai, il a pris acte qu’on ne pourra pas le faire directement, parce que les prégnances nationales sont trop fortes, mais bon, en cas d’urgence et dans l’intérêt collectif, il est possible d’imaginer un fédéralisme d’exception : dès lors qu’un gouvernement ou un parlement national serait incapable de mettre en place un plan approuvé par les institutions européennes (traduire : refuserait un plan imposé), le pays pourrait être mis sous administration européenne. Si on comprend, bien, exit le gouvernement et le parlement national, c’est la Commission qui prend les manettes, avec l’accord du Conseil et du Parlement européen.
Comment dire… ça peut mal passer. Là encore, il n’est pas certain que la démocratie en sorte grandie localement. Alors certes, en France le Préfet peut reprendre la main sur des collectivités menées dans le mur par des zozos élus, mais tout de même la démocratie nationale est mieux implantée et les finances publiques locales sont moins centrales pour les citoyens.
Il existe pourtant de quoi réfléchir intelligemment dans cette veine. Les difficultés de la Grèce à mettre en place une administration honnête et efficace sont réelles, la lutte contre la fraude fiscale y est difficile et faire bénéficier ce pays de l’aide et de l’assistance d’autres pays qui ont une culture de l’Etat plus ancienne et mieux enracinée n’est pas une idée stupide.
Par exemple, l’OCDE vient de lancer une initiative « inspecteurs des impôts sans frontières » mettant à disposition des pays en développement des inspecteurs des impôts bien formés des pays riches. Toute honte bue, l’Europe ne pourrait-elle pas également avoir pour mission la convergence vers le haut de l’Etat de droit ? Ceci serait plus efficace et légitime que des coups de force institutionnels pour résoudre des crises politiques.
Ajoutons au surplus qu’il nous semble qu’un traité serait nécessaire, et que la Grèce y ait consenti. Ce n’est donc pas une solution opérationnelle pour le cas présent, mais elle réussit le double exploit d’exciter la fureur démocratique en Grèce et d’implanter l’idée que l’Irlande ou l’Espagne peuvent êtres concernées alors qu’elles ont eu des budgets excédentaires et ont réduit leur dette avant la crise. Trichet est plein de bonnes intentions, pauvre âme, mais peut-on lui dire qu’on n’éclaire pas une poudrière démocratique et financière en battant son briquet à tout bout de champ ?
5) Une solution négociée
Ici, nous ne lisons pas dans une boule de cristal. Espérons qu’au final, tout le monde se montrera raisonnable, que la Grèce restera dans l’Euro, qu’il n’y aura pas de faillite parce que l’Union prendra les choses en main, et que les partis politiques grecs acquiesceront à un plan révisé et plus raisonnable. Pour mémoire, les membres de la troïka eux-mêmes estimaient que le plan prévu était un échec et ne permettrait pas le redressement de la Grèce. La focalisation des pressions européennes doit se faire sur la création d’un Etat de droit en Grèce. Les risques pour le futur seraient contenus par une union bancaire, avec un instrument fiscal comme arme de recours. Pour légitimer ce bond en avant, c’est une union politique plus grande qui serait mise en avant avec un renforcement du Parlement européen sur les sujets de l’Euro. Telle est d’ailleurs la position poussée par l’Allemagne à travers Jörg Asmussen.
L’emballage politique devra à la fois matérialiser que la Grèce s’engage sur un sentier crédible et respectable, et que le reste de l’Europe lui donne du mou. Sinon, on se demandera rapidement si l’Espagne et l’Irlande sont capables d’atteindre les objectifs budgétaires qui leur sont fixés (elles ne le peuvent pas).
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