Ratification parlementaire du « Traité simplifié » : manœuvres politiciennes ou « haute trahison » ?
Qu’est-ce qui devrait changer pour les Français le lundi 4 février à Versailles ? En fait, pour ceux qui ne s’en souviennent pas ou qui ne le savent tout simplement pas, c’est ce premier lundi du mois de février 2008 que le Congrès se réunira, à la demande de Nicolas Sarkozy, afin de faire changer un article de la Constitution qui empêche le « Traité simplifié », comme il est désormais appelé communément, d’être ratifié par voix parlementaire. Et si les 3/5 des députés et sénateurs qui se présentent ce jour-là votent en faveur du changement constitutionnel, certains constitutionnalistes et intellectuels « nonistes » pourront dire que la manœuvre politique du gouvernement, qui consiste ignorer la prééminence du vote référendaire sur la ratification parlementaire, aura réussi.
Dans un article intitulé « Haute trahison » du 9 octobre 2007, le professeur en droit constitutionnel Anne-Marie Le Pourhiet a qualifié de « coup d’Etat » le fait, pour le président de la République, « de faire ratifier par voie parlementaire un "traité modificatif" en réalité identique à 90 % au traité établissant une constitution pour l’Europe pourtant rejeté par les Français lors du référendum du 29 mai 2005 ».
Plus modéré, Didier Maus, président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, dans un article intitulé « Le Parlement peut-il désavouer le peuple ? », suggère qu’ « à partir du moment où le traité de Lisbonne n’est pas substantiellement différent de celui de 2004, demander au Parlement de désavouer le peuple aurait un double inconvénient : amoindrir la confiance des Français dans leur système politique et constitutionnel ; enfermer l’Europe politique dans le cénacle des spécialistes et lui refuser une véritable légitimité démocratique ».
Il y a donc, en droit constitutionnel, comme dans toutes les sciences « inexactes », des notions interprétables, qui peuvent être longuement discutées, comme celle des « modifications apportées à un texte » . Alors comment trancher et aller au-delà des interprétations des experts dont les convictions politiques peuvent donner tort ou raison aux manœuvres politiques en cours ?
Il s’agit pour le Pr Le Pourhiet de déduire des grands principes de la Ve République la supériorité démocratique de la loi référendaire sur la loi parlementaire. Même si la Constitution de 1958 n’interdit pas expressément à la seconde de modifier ou d’abroger la première, la constitutionnaliste rappelle les principes fondamentaux de la Constitution : « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. (...) La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le Conseil constitutionnel lui-même conclut, par interprétation de ces principes, que les lois référendaires étant « l’expression directe de la souveraineté nationale » sont d’une essence supérieure à la loi parlementaire et ne peuvent donc être soumises à son contrôle.
Cette interprétation, doublée de l’accusation de « haute trahison » proférée par la constitutionnaliste en fait bondir plus d’un et, notamment, d’autres constitutionnalistes qui sont en faveur du traité de Lisbonne. Plusieurs affirment d’aplomb que la voix des représentants se trouve à égalité avec celle du peuple et que, si l’outil référendaire ne fonctionne pas, parce que la volonté du gouvernement a été rejetée par un référendum, il faut donc utiliser un autre moyen pour la faire passer.
Pour l’économistes Jérôme Maucourant, si une bonne part de l’élite française avait rallié le parti du TCE en 2005, c’était en invoquant couramment l’argument que le processus référendaire, bien que légal, était illégitime, car il supposait une compétence que la majorité du peuple français ou hollandais n’avait évidemment pas. « Ce traité jugé trop "technique" était affaire de spécialiste et aurait dû être traité comme tel, entre parlementaires compétents. » Mais pour l’économiste, le TCE, comme l’actuel « traité de Lisbonne », fait référence à des notions économiques que maîtrisent souvent fort mal les parlementaires et constitutionnalistes : « qu’ils se prennent pour des économistes devant avoir de dernier mot - chose déjà inadmissible - n’est pas le plus grotesque de l’affaire ! Ne soutiennent-ils pas des constitutions ou traités à valeur constitutionnelle qui violent la distinction, pourtant fort libérale, entre économie et politique » ?
Dans l’embrouillamini des querelles d’interprétation sur le fonctionnement des institutions française et européenne, et avant que la réunion du Congrès le 4 février ne se tienne, le politologue Raoul Marc Jennar invite les Français à s’intéresser à ce que contient le Traité dit « simplifié » (etrecitoyen.org) - voir la vidéo explicative - et propose quelques solutions afin que ceux qui ont dit « non » par référendum à l’ancien TCE, ne se trouvent pas obligés d’accepter un texte qu’ils avaient « souverainement » refusé en 2005.
Aujourd’hui, pour les citoyens français, la question est de savoir s’ils restent en possession des moyens démocratiques qui leur permettent d’exercer le droit à la souveraineté du peuple, comme il est stipulé dans la Constitution. Didier Maus, en proposant la date du 9 mars 2008, premier tour de l’élection municipale, pour la tenue d’un nouveau référendum qui permettrait un réel débat démocratique, semble suggérer que les citoyens peuvent encore détenir les rênes de leur souveraineté, s’ils le veulent vraiment. Mais il ajoute dans l’article du 18 janvier (Figaro), « aux partisans du oui d’être convaincants. »
Auteure : Lou Ana, le 28 janvier 2008
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