Réseaux sociaux : l’Europe cède à la tentation autoritaire
Depuis le 25 août 2023, une nouvelle loi, le Digital Services Act, est entrée en vigueur. Elle souhaite « garantir un environnement en ligne sûr » aux internautes. Si la protection des données ou la lutte contre la désinformation font consensus, un des objectifs interroge. Il vise à supprimer automatiquement tout contenu ayant des « effets négatifs réels ou prévisibles sur les processus démocratiques [...] ainsi que sur la sécurité publique ». Dans un monde où les réseaux sociaux occupent une place importante dans les mobilisations, cette mesure inquiète.
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TikTok, Meta, X et Snapchat dans le viseur du législateur
Fin juin 2023, la France s’embrase après la mort du jeune Nahel Merzouk. Le 4 juillet, le président Emmanuel Macron s’exprime devant les maires de France. Il envisage l’idée de « réguler » et de « bloquer » les réseaux sociaux en cas de crise. Quelques jours plus tard, Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, lui emboîte le pas dans une interview sur France Info. Il estime que les plateformes auraient dû agir davantage pour éviter les violences. La loi européenne rend désormais cela possible. "Lorsqu'il y aura des contenus haineux, des contenus qui appellent par exemple à la révolte, […] à tuer ou à brûler des voitures, elles auront l'obligation dans l'instant de les effacer. Si elles ne le font pas, elles seront immédiatement sanctionnées", indique Thierry Breton. Les peines encourues vont de l’amende à la suspension de l’accès au réseau. Jusqu’alors, seuls des régimes autoritaires se sont livrés à ce type de restrictions.
Une limitation de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux
Les appels à la haine, les propos racistes ou discriminatoires sont depuis longtemps interdits, que ce soit hors ligne ou sur Internet. La nouvelle réglementation permet à présent d’engager la responsabilité des applications face aux contenus publiés. Mais ce qui questionne est l’aspect politique qui se cache en toile de fond. La loi souhaite éviter les « effets négatifs réels ou prévisibles sur les processus démocratiques [et] la sécurité publique ». L’appel à la révolte rentre-t-il dans ce cadre ? Thierry Breton semble le suggérer. Or, l’importance des plateformes communautaires lors des printemps arabes, du mouvement des Gilets jaunes ou encore des manifestations en Iran n’est plus à démontrer. Ces appels à la désobéissance civile tomberaient-ils sous le coup de la nouvelle loi ? Les vidéos montrant des violences policières seront-elles considérées comme produisant un effet négatif prévisible sur la sécurité publique ? En l’absence de définition claire des termes, on peut tout envisager.
L’éventuel blocage de l’accès aux réseaux sociaux pose d’importantes questions juridiques. La liberté d’expression et d’information est en effet un droit fondamental, inscrit dans la Constitution. La loi européenne, entrée en vigueur le 25 août 2023, réaffirme d’ailleurs ce principe. Cependant, en entretenant le flou sur ce qui représente une atteinte à la démocratie et à l’ordre public, elle ouvre une porte dangereuse. Celle de son instrumentalisation par les gouvernements à des fins politiques.
Crédit image : Tatiana T. Illustrations, wikimedia commons
Sources :
- Le Monde diplomatique, « Sans les images ? », par Ulrike Lune Riboni, août 2023.
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