Super Mario Draghi sauveur de l’Espagne et de l’Italie ? Pas si sûr ...
Intéressons nous maintenant aux situations des deux pays qui suscitent le plus d’interrogations ces derniers mois en Europe, j’ai nommé l’Espagne et l’Italie. La spéculation des marchés financiers sur une possible sortie de ces deux poids lourds de la zone euro a fait monter leurs taux d’intérêts respectifs en flèche et se financer sur les marchés devennaient extrêmement difficile pour les deux pays latins. Mais ça, c'était jusqu'au discours du 6 septembre dernier de monsieur Draghi car maintenant l'artillerie lourde de super Mario va régler le problème. Vous en êtes sûr ?
La situation espagnole est la plus grave. Que ce soit au niveau économique ou social, les ibères sont au bord du gouffre. Récemment, le taux de chômage est reparti à la hausse pour atteindre un plus haut historique de 24.63 % de la population active (53 % chez les 18-25 ans). Ce taux affolant représente le plus élevé des pays industrialisés à travers le monde. De plus, la récession, de retour depuis fin 2011, semble partie pour continuer en 2013 (- 0.5 %) et le retour à la croissance n’est prévu, selon le gouvernement, qu’en 2014. Pour ajouter un peu plus de noir au très sombre tableau espagnol, le système financier est dans une situation catastrophique, ce qui a poussé le premier ministre Mariano Rajoy a demandé récemment une aide de l’Europe d’un montant de 100 milliards d’euros en vu d’aider le secteur bancaire et ce, juste après avoir injecté 4.5 milliards d’euros dans la banque Bankia. Cependant, un grand nombre d’économistes estiment que pour être sauvé, le secteur bancaire espagnol aurait d’avantage besoin de 400 milliards d’euros. Les régions sont également source d’ennuis pour la gouvernance de la péninsule puisque après la Catalogne, c’est l’Andalousie qui a demandé une aide d’urgence de plusieurs milliards à l’état pour faire face aux graves difficultés économiques auxquelles elles se trouvent confrontées. Sans compter l’austérité drastique qu’inflige le gouvernement à sa population (derniers exemples en date, le déremboursement des médicaments pour les retraités et la fin de l’accès aux soins gratuits pour les immigrés). Ce cocktail explosif a pour résultat une constante qui semble après tout funestement logique : les marchés n’ont pas confiance en la capacité de l’Espagne à se relever et à rester dans la zone euro. Cette défiance fait que les bons au trésor émis sur le marché obligataire ne trouvent preneur qu’à condition d’y inclure des primes de risques exorbitantes qui font monter les taux d’intérêt en flèche. Le financement de la dette se fait donc à des taux d’intérêts très supérieurs à la moyenne de la zone euro et provoquera donc des remboursements astronomiques qui devront être soldés avant de commencer à solder la dette primaire et on continue à plein régime au sein du cercle vicieux.
Et la situation italienne, si elle n’est pas aussi dramatique que celle de sa consœur latine, est loin d’être au beau fixe. La dette publique des transalpins est la deuxième plus importante du monde par rapport à son produit intérieur brut (plus de 110 %) et si les taux d’intérêts que lui imposent les marchés sont moins élevés qu’en Espagne, ils sont tout de même largement au dessus de la moyenne européenne. « J'ai le sentiment qu'on a perdu conscience de la gravité de la situation » ; voici ce que déclarait Vittorio Grilli au mois de Juin sur la situation économique italienne. En effet suite à la pression des institutions européenne pour que le gouvernement Berlusconi entame des réformes structurelles visant à résorber le déficit public, la réponse du Cavaliere avait été pleine de grands mots, tel une douce musique joué à l’oreille des technocrates européens mais n’avait pas été suivi d’actes. La pression avait fini par faire craquer Silvio Berlusconi et le pousser jusqu’à la sortie. A partir de ce moment là, Mario Monti prit les reines d’un état italien désorganisé par des années de gestion berlusconienne. Bien décidé à faire marcher la machine à réformes à plein tube, la cure d’austérité draconienne pouvait commencer. Réforme du marché de l’emploi avec instauration d’une plus grande souplesse, ouverture de certains secteurs à la concurrence et révision drastique des dépenses publiques, le tout visant à remettre l’Italie sur de bons rails, dans les petits papiers des technocrates et surtout des marchés financiers. Mais voilà, le revers de la médaille qui s’est vérifié partout où l’austérité a frappé en Europe est la chute brutale de la croissance. Somme toute, il paraît logique qu’en étouffant les classes moyennes, grande majorité du peuple, avec des mesures toujours plus difficiles à supporter comme des baisses de salaires dans la fonction publique, des rabotages des minimas sociaux, des services publics vidés de leur substances, une fiscalité toujours plus agressive, des PME noyées sous les charges et j’en passe (beaucoup), la capacité d’épargne se trouve amoindrie, les entreprises qui n’investissent plus et n’embauchent plus font augmenter le chômage, la consommation freine des quatre fers, la précarité augmente et in fine, la consommation trinque. Car ce qu’oublie de dire les partisans du tout à l’austérité, c’est qu’un pays étouffé par des mesures qui entrainent automatiquement une baisse de croissance ne peut sortir la tête de l’eau. A l’instar des keynésiens qui prêchent pour une politique de relance toute sans tenter de résorber les déficits, ils se trompent. Car le système actuel fait que la seule solution viable est un mix entre politique de relance et politique de maîtrise des déficits. Un équilibre extrêmement difficile à trouver. Le fait est que l’Italie est entrée en récession en même temps que l’Espagne (fin 2011) et les prévisions de la banque d’Italie tablent sur une baisse de 2% du PIB en 2012 avant une légère baisse de 0.2 % en 2013 et un retour à la croissance en 2014. La production industrielle, fer de lance de l’économie italienne, a elle chuté en début d’année de 2.5 % pour être précis et pour effectuer un rapprochement de plus avec l’Espagne, le gouverneur de la région autonome de Sicile, Raffaelo Lombardo, a démissionné de son poste sous la pression de Mario Monti fin Juillet. La raison d’un tel événement, la Sicile est au bord du défaut de paiement. Cette île de 5.5 millions d’habitants, la plus grande de la Méditerranée est minée par une dette incontrôlable et gangrenée par Cosa Nostra, la mafia sicilienne. Le gouvernement se prépare à intervenir massivement dans le but de ne pas laisser ce fleuron de l’Italie du Sud en perdition.
L’espoir pour ces deux états et pour les autres du Sud de l’Europe, malmenés par les marchés financiers, est peut-être venu du discours de Mario Draghi du 6 septembre à Francfort. Le patron de la banque centrale européenne a en effet annoncé que la BCE allait racheter sans limite quantitative des obligations souveraines, d’échéances de 1 à 3 ans, d’états en difficulté sur le marché secondaire. Cette démarche nommée O.M.T. (outright monetary transaction) a pour but d’envoyer un message clair aux marchés financiers : l’euro est irréversible et il ne sert à rien de spéculer contre la zone euro car la BCE sera là pour endiguer le phénomène. L’institution de Mario Draghi espère donc réduire les spread sur les taux d’intérêts intra zone euro (l’écart de taux entre les pays les plus fiables et les moins fiables). La situation qui veut que des pays comme l’Allemagne et la France se finance a des taux négatifs sur les marchés et que d’autres comme l’Espagne et l’Italie le fasse à des taux prohibitifs qui dépassent parfois les 6 % est en effet intenable et menace de faire exploser toute la zone. Car si une sortie de la zone euro de la Grèce ferait sans doute très mal, le faible poids économique du pays ne ferait surement pas couler le navire mais l’Italie est la troisième économie de la zone et l’Espagne la quatrième ; en cas de sortie de l’un des deux, le Titanic européen sombre. Cette décision, saluée immédiatement par les marchés financiers, a eu pour effet de faire baisser les taux d’emprunt sur 1 à 3 ans de l’Espagne et de l’Italie dès le lendemain de l’annonce. Le vendredi 7 septembre, le taux à 10 ans espagnol repassait sous la barre des 6 %, une première depuis le mois de mai et le taux italien était lui également en baisse à un peu plus de 5 %. L’évolution de la situation nous en dira plus sur l’efficacité de cette mesure.
Cependant plusieurs éléments sont susceptibles de freiner cet espoir naissant. Tout d’abord, afin de bénéficier de ce programme de rachat, un état se doit en premier lieu de demander officiellement l’aide du mécanisme européen de stabilité (MES) dont la légalité vient d’être confirmée par la décision de la cour allemande de Karlsruhe du 12 septembre dernier. Hors, l’Italie et l’Espagne refuse toujours de la demander, même si la péninsule ibérique pourrait y avoir recours prochainement avec un Mariano Rajoy cédant à la pression de Bruxelles. Autre point, afin de bénéficier du programme de Super Mario Draghi, l’état se doit de respecter scrupuleusement le pacte de stabilité européen et donc de continuer les réformes structurelles évoquées plus haut ce qui revient à prolonger l’austérité. Troisième point, la BCE, par ce programme de rachat ne s’engage à acheter que de la dette de maturité allant de 1 à 3 ans hors si cette politique permettra surement de faire baisser les taux incombant à ces dernières, le nerf de la guerre se situe sur les taux des dettes de maturité plus longue, notamment le 10 ans et rien ne garantie que le programme de rachat de Draghi permettra de maîtriser ces fameux taux sur le long terme. Quatrième point, afin d’éviter une inflation galopante, la BCE se propose de racheter les obligations souveraines par le biais de la stérilisation. Ce procédé de technique financière permettra à la banque centrale européenne d’effectuer son programme en évitant la création monétaire qui risquerait de provoquer l’inflation et ce, même si bon nombre d’économistes refusent de partager cette croyance qui serait galvauder du fait de la faible croissance et du resserrement du crédit en zone euro. Sans rentrer dans les détails, la stérilisation permet de racheter une obligation à une banque ou un fond souverain privé et de transférer cette créance sur la BCE ce qui la rendrait automatiquement beaucoup plus sûr, surtout que Moody’s et Fitch viennent d’attribuer la note AAA au MES. Le souci majeur de tout ceci réside dans le fait que si la BCE a la possibilité de créer de la monnaie sans limite, elle ne peut pas stériliser sans limite.
Dernier point majeur, une partie de la classe dirigeante allemande s’oppose fermement à ce que la BCE rachète des obligations d’états. Il est en effet, scrupuleusement interdit à la BCE, selon les traités, de participer directement au financement d’un état. La banque centrale allemande, par le biais de son directeur Jens Weidmann, s’est donc fermement opposé à la mise en place du programme de rachat de Mario Draghi et est fortement soupçonné d’avoir était la seule voix contre lors du vote du programme. Ses arguments sont contestés par bon nombre de personne en Europe mais il a le soutient de la majeur partie de l’opinion allemande et met la chancelière germanique, Angela Merkel, dans une situation compliquée, elle qui a officiellement soutenue la décision de Draghi. Weidmann pense que la boîte de Pandore a été ouverte, que la BCE malgré les conditions imposées aux états et le fait qu’elle n’intervienne que sur le marché secondaire, participera bien aux financements des états et surtout que ceci récompensera les mauvais élèves et les inciteront à mettre un frein sur les réformes structurelles en cours. Autant de points qui poussent à émettre une réserve sur l’efficacité et la réussite du bébé de Mario Draghi et sur l’avenir des pays du Sud de la zone euro.
Rappelons que le MES est le successeur du fond économique de stabilité financière (FESF) et mécanisme européen de stabilité financière (MESF) et qu’à la différence de ses prédécesseurs qui avait une visée temporaire, il est inscrit dans la durée. Pour résumer, le MES est une cagnotte collective de 500 milliards d’euros formée par les pays de la zone euro qui apporte une contribution à hauteur de leurs puissances économiques respectives. Cette cagnotte a pour but de servir à déclencher des plans d’urgence bénéficiant aux pays et aux banques en difficultés. Lorsqu'un état ne sera plus en mesure de se financer sur les marchés du fait de la spéculation et des taux d’intérêts trop élevés, le MES pourra intervenir afin de prêter de l’argent à celui-ci. De plus il sera également habilité à intervenir sur les marchés dans le but de racheter de la dette souveraine et ainsi baisser les taux par l’assèchement de l’offre. A terme, avec l’union bancaire qui se précise, le MES sera à même de prêter aux banques de la zone euro qui auront besoin de se recapitaliser. Le MES sera même doté d’un capital en fond propre de 80 milliards d’euros se qui facilitera sa capacité à se financer sur les marchés à taux faibles.
Mais à l’instar du programme de rachat de la BCE, le MES n’est accessible que sous conditions, la poursuite des réformes et la demande d’aide officiel aux autorités européennes et au FMI. Sans compter que Wolfgang Schauble a coupé court aux rumeurs de recapitalisation des banques par le MES dès janvier 2013 et ce, durant le sommet de Nicosie du 14 septembre et ses compatriotes ainsi que les finlandais et néerlandais ne semblent pas pressés du tout de la mise en place de l’union bancaire. Un point très important qu’il est absolument nécessaire de souligner, est le fait que même si ces décisions vont dans le sens de l’intégration européenne nécessaire au fonctionnement de la zone euro et que ces décisions très fortes seront en mesures de calmer, pour un moment, les marchés, elles ne règlent en rien les problèmes structurels et systémiques qui frappent les pays de la zone. Autant dire que si un mince espoir renait au sein de la zone euro, l’euphorie n’est toujours pas de mise, loin de là.
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