Tchétchénie, bâtir sur les ruines
Danser sur des ruines et sortir des ruines... par l’action culturelle : l’Europe face au défi tchétchène et au pari sur l’intelligence de Milana Terloeva !
TCHÉTCHÉNIE, LE RIDEAU SANGLANT EST LEVÉ !
Ruines et cadavres pour ton quotidien si triste,
Tchétchénie, ta liberté est fédérée par la Russie,
Le mur tombé de Berlin en espoir de démocratie,
N’est qu’un leurre pour occidentaux affairistes.
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Une nouvelle Palestine est née au régime de Poutine,
La révolte armée dans les larmes d’un juste courroux
Prolonge le drame humain jusqu’à l’Opéra de Moscou,
Le rideau se pourpre des effets mortels d’une toxine.
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Aux Tchétchènes brandissant l’éventail d’un grand malheur,
Poutine devient l’acteur d’une folle comédie dramatique,
Théâtre d’expérimentation d’un terrible gaz anesthésique,
Asphyxiés dans leur délivrance, nombre d’otages meurent.
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Entends, peuple de Russie, le cri déchiré de la Tchétchénie,
Prends ta faucille et coupe la nostalgie de l’ancien régime,
Prends ton marteau et frappe sur l’enclume de la tyrannie,
Ne tue plus sur les champs d’une idéologie, truffée de mines.
Des nouvelles de Tchétchénie ? Silence radio : « Un trou noir », constate Milana Terloeva. « Le couvercle est bien refermé sur la marmite ». Une marmite pleine de sang, de larmes, de tragédies quotidiennes mais banalisées ignorées. Qui s’en soucie, d’ailleurs ? La Tchéchénie, c’est loin... Et qui voudrait faire de la peine à Poutine ? Qui voudrait « blesser » une Russie déjà enfiévrée par la campagne présidentielle qui doit faire émerger le successeur de Vladimir ?
Officiellement, l’ordre règne à Grozny. C’est l’essentiel, non ?
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"Sauvons la Tchétchénie contre qui ?", s’est insurgé récemment, à Genève, le général Balouïevski, chef d’état-major des forces armées russes, en rappelant que la Tchétchénie connaît un « essor économique » et social car les hostilités d’envergure ont cessé « voilà longtemps ».
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Il est content, le général ! Plus de douze ans de violations fragrantes des droits de l’homme sont passées en toute impunité dans les poubelles de l’histoire. Moscou a su trouver sur place des bras armés qui s’occupent des basses besognes. « Normalisation » ? Le mot est faible... Oleg Orlov, le courageux président de l’ONG « Mémorial », parle de « stabilisation de la terreur » de « stabilisation du cauchemar ». Il révèle même une « dégradation de la situation ». Et prédit une « bombe à retardement » dans ce Caucase qui reste une poudrière : « On ne pacifie rien par la force et en créant du ressentiment. »
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Evidemment, les maîtres de Grozny reconstruisent, dégagent les ruines, pansent les plaies des villes et des campagne (en échange d’actes de soumission, de signes visibles de reconnaissance, de participation au « culte de la personnalité » du « grand chef », le sieur Kadyrov, chef de clan et chef de bande, devenu chef d’un terrorisme d’Etat et patron de réseaux mafieux d’un type nouveau).
En Serbie, Milosevic avait joué la carte d’un « fascisme rouge-brun ». En Tchétchénie, Kadyrov y ajoute l’arc-en-ciel des couleurs de l’économie criminelle, des trafics en tous genres, de la corruption avouée et cultivée. Tout est bon pour lui, y compris les prises d’otages « légales », les « ventes de prisonniers » (ou des corps des victimes de tortures et d’exécutions sommaires). Et ce jeune homme (il a succédé à son père à trente ans) est le vrai patron, parrain, homme fort du pays... A tel point que Poutine, parfois, aimerait bien lui limer les dents.
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Laurent Vinatier, spécialiste de la question tchétchène et doctorant à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris résume bien les choses :
« Fin 2006, Ramzan Kadyrov, fils d’Akhmed Kadyrov et nouvel homme fort de Tchétchénie devenu Premier ministre en mars, poursuit sa montée en puissance. Disposant localement d’une force armée loyale composée de plusieurs milliers d’hommes et d’un réseau de soutiens politiques et institutionnels au Parlement nouvellement élu et au sein de quelques ministères stratégiques, il tend, à trente ans, à devenir le personnage pivot de la république. Il fait concurrence au président Alou Alkhanov, successeur officiel et élu d’Akhmed Kadyrov.
Par le biais de la Fondation Kadyrov créée en l’honneur de son père défunt et dirigée actuellement par sa mère, Ramzan Kadyrov contrôle d’importants moyens financiers aux origines diverses et douteuses. Il est difficile de connaître la provenance exacte des fonds, Ramzan Kadyrov lui-même fait état de dons envoyés par les hommes d’affaires de Moscou.
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Pourtant, les enquêtes de terrain montrent que les réseaux d’intérêts moscovites et kadyroviens coïncident peu. Il faut donc plutôt croire à la version de commentateurs russes, observateurs depuis longtemps des événements de Tchétchénie, qui font valoir une origine essentiellement criminelle : corruption et détournements des subventions fédérales, racket auprès de la population, enlèvements et rançons.
Les revenus de Ramzan Kadyrov (photo ci-dessous) lui permettent d’assurer une part substantielle des travaux de reconstruction en Tchétchénie et, surtout, d’organiser une solidarité de large ampleur au sein de la république. Il court-circuite en somme le fonctionnement administratif normal : l’Etat de Tchétchénie est quasiment passé à son service.
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Cela va plus loin, même : « L’omnipotence du Premier ministre est évidente et n’est pas sans créer certaines tensions au sein même du pouvoir pro-russe. Il est déjà arrivé, par exemple en avril 2006, que des partisans de Kadyrov prennent à parti des gardes de la sécurité présidentielle et que les deux groupes échangent des coups de feu. Les rivalités sont vives également entre les forces relevant directement du gouvernement tchétchène et les bataillons rattachés aux ministères russes de la Défense et de l’Intérieur. Elles pourraient facilement dégénérer en affrontements armés.
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Le Kremlin ne semble pas s’inquiéter plus avant de cette situation confuse et pour le moins instable. Il garde confiance et surveille la pérennité des quelques contre-pouvoirs instaurés face à Ramzan Kadyrov : en particulier Alou Alkhanov, les milices tchétchènes affiliées aux militaires russes ainsi que la famille Iamadaev. Cela peut-il suffire ?
Ramzan Kadyrov est quasiment parvenu à se rendre indispensable à la stratégie russe de « normalisation ». Il ne faudrait pas cependant que la relation de dépendance s’inverse trop encore, au détriment du Kremlin, d’autant que Kadyrov ne ménage plus ses revendications quant à l’avenir de la relation russo-tchétchène et s’engage assez profondément vers une autonomie qui ressemble à un séparatisme de fait.
L’enjeu tchétchène, dominé par Ramzan Kadyrov, pourrait s’inscrire dans le débat nationaliste émergent en Russie. Il ne faudrait pas que par ses choix en Tchétchénie, la présidence russe puisse prêter le flanc à une critique nationaliste qui se fortifie et qui tend à échapper de plus en plus au contrôle immanent du Kremlin.
Dans ce contexte, trois certitudes :
1) Les besoins humanitaires restent immenses en Tchétchénie après les conflits qui ont éclaté en 1994 et par la suite en 1999. Sur la population actuelle d’environ 800 000 personnes, on estime que 200 000 ont été déplacées. Au cours des deux dernières années, un grand nombre de ces dernières sont retournées de l’Ingouchie vers la Tchétchénie.
Les conditions de vie sont extrêmement difficiles pour toute la population, et plus particulièrement dans la capitale, Grozny. Beaucoup de rapatriés n’ont pas pu retourner chez eux parce que leurs maisons ont été détruites. En dehors de la Tchétchénie, plus de 20 000 personnes sont toujours déplacées dans la région de l’Ingouchie et 9000 autres encore au Daghestan. La plupart d’entre elles vivent dans des conditions précaires.
2) En 2006, la Commission européenne a contribué à hauteur de 26 millions d’euros au financement de l’aide aux victimes du conflit en Tchétchénie. Depuis le début de la crise actuelle en 1999, l’aide totale pour l’ensemble du Nord-Caucase a atteint 200 millions d’euros, faisant de l’Union européenne le principal donateur dans la région. Mais cela va où ? Qui en profite ? Les ONG et les institutions internationales n’ont pas les moyens d’avoir des « permanents » sur place. L’ONU, par exemple, se contente d’envoyer des missions « d’un jour »...
3) Les oppositions tchétchènes, les « diaporas » (moscovites, ou européennes, ou turques sont plus que divisées. Opposées. Les affairistes et les profiteurs, les « fous de la charia » (qui n’ont rien à voir avec les traditions soufies de la Tchétchénie), les « collaborateurs » des mafias russes, les « humanistes démocrates ».
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C’est bien sûr dans cette dernière catégorie que s’inscrit Milana TERLOEVA qui, après avoir fait des études en France, écrit un excellent Danser sur les ruines, une jeunesse tchétchène (chez Hachette Littérature), va repartir vers son pays en janvier.
En pleine conscience des risques qu’elle prend. Avec sa vie. En sachant que l’esprit de résistance doit être plus fort que tout. "Vivre, et non seulement survivre". A Grozny, elle voulait créer un journal indépendant. Elle y renonce. Trop suicidaire ! Mission impossible en l’état actuel des choses... L’utopie, oui, mais....« On ne pisse pas contre le vent », redirait de Gaulle...
Mais elle veut y créer un « Centre culturel européen ». Un beau projet, interculturel, fondé sur l’échange, cette base de la démocratie, bâti sur une philosophie d’action de "l’espérance active", inspiré plus par la géophilosophie (cet humanisme) que sur la géoplitique (ce machiavélisme). Un engagement qui devrait concerner tous les services diplomatiques et culturels de tous les pays membres de l’Union voire du Conseil de l’Europe (Russie comprise).
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Saura-t-elle réussir à Groznyï ce que Francis BUEB (photo ci-dessus) a réussi à Sarajevo avec son Centre André Malraux ? Cela dépend d’elle, bien sûr, mais aussi et surtout de nous. De notre solidarité active ! « L’inaction est toujours une décision », dit-elle. Ne restons pas « inactifs ». Aidons-la. Elle en a besoin. Elle le mérite. Et il le faut si l’on veut que la Tchétchénie ne soit pas pour l’Europe « un laboratoire du futur ». Donc un laboratoire du pire pour l’Europe.
Selon les paroles mêmes d’Anna Politkovskaïa (photo ci-dessous), c’est à une « tchétchénisation » de la Russie que l’on assiste désormais, avec la multiplication des crimes racistes, la mise au ban de la nation des Tchétchènes, et même plus largement de toutes les personnes originaires du Caucase.
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Bien loin d’avoir apporté une pierre dans la « lutte antiterroriste », l’interminable conflit de Tchétchénie a engendré une génération de desperados qui n’ont rien connu d’autre que la guerre, des vagues de réfugiés et la diffusion d’un islam radical dans une région de tradition soufie qui se distinguait par sa modération, par son sens du respect (de la vie, de la personne humaine, de l’autre).
A vingt-six ans, cette belle et brillante Tchétchène qui aime son pays, son peuple et qui a une vision « personnaliste » de l’espèce humaine se lance dans le plus difficile des paris : celui de l’intelligence contre la bêtise, celui de l’humain contre l’inhumanité, celui de la culture comme outil de perfectionnement de l’homme et de la société, comme levier d’un vivre ensemble fondé sur le respect, comme arme contre cette barbarie et cette haine qui sont si contagieuses, si cancérigènes, si empoisonneuses...
Au Conseil de l’Europe, aux institutions européennes, aux collectivités locales et régionales, aux associations et aux ONG de l’aider. Pourquoi pas un jumelage Strasbourg-Grosny, par exemple ?
Je lance ici un appel solennel. J’y reviendrai, bien sûr. En attendant, contactez Milana. Soutenez-la dans la mesure de vos mooyens. Elle fête son anniversaire le 30 décembre. Son dernier anniversaire en France ! Bon anniversaire à elle. Bonne année à elle et à son peuple surtout !
LA CRITIQUE DU LIVRE DE MILANA TERLOEVA
CONTACTEZ MILANA TERLOEVA PAR "ETUDES SANS FRONTIERES"
![medium_tchetchenie.jpg](http://relatio.blogspirit.com/images/medium_tchetchenie.jpg)
Qui donc se souviendra de ce peuple tchétchène
Sur lequel s’abattirent les fureurs de la haine
D’un triste dirigeant que l’on nomme Poutine
Duquel serra la main le ministre Védrine,
Ambassadeur titré du peuple que nous sommes,
Qui devait protester au nom du droit des hommes ;
Du droit qui se détient d’un pays souverain.
En bonne politique on se serre la main !
Les maîtres du Kremlin donnent des rimes en " ine ".
Lénine, Staline, Eltsine et puis Poutine
Sont devenus tyrans à force d’exercer
Des pouvoirs absolus amenant les excès
Les plus sanglants. Mais dans la Tchétchènie
L’horreur fut à son comble : assiégés dans Grozny,
Mitraillés par les Russes et par les partisans,
Condamnés à la faim : femmes enfants et vieux
Subissent tous les jours des déluges de feux.
Les Russes ont déployé de très gros matériels ;
Les obus, les roquettes, assauts venant du ciel
Pleuvent ; les habitants enterrés dans les caves
Sont affamés, malades, véritables épaves.
Ils sortiront hagards et inquiets de leur sort ;
Beaucoup sont torturés et condamnés à mort.
On entend ça et là quelques protestations
Chez des gens généreux et dans quelques nations :
Mais ça s’arrête là, et au sein des Nations
Unies on ne cherche à bouger- prêtes à intervenir ?
Non ! On craint le danger qu’il y aurait à sévir
Envers la Russie car elle n’est pas en guerre !
Traquant des terroristes, elle ne s’émeut guère
De raser un pays qui n’est pas ennemi.
Qui donc se souviendra des gens de Tchétchénie ?
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