Tony Blair, l’Emmanuel Macron britannique avant l’heure ?
« Le gouvernement n'est plus tant chargé de réglementer, que d'équiper les hommes en vue du changement économique, en insistant sur l'éducation, la qualification, la technologie, l'infrastructure, et un État-providence qui favorise l'emploi et le rende avantageux. C'est cela la "troisième voie" : ni le laisser-faire, ni l'étatisme rigide, mais une participation active au progrès de l'employabilité. » (Tony Blair, le 24 mars 1998 à Paris).
L'ancien Premier Ministre britannique Tony Blair fête son 70e anniversaire ce samedi 6 mai 2023, un jour un peu particulier pour les Britanniques parce qu'on ne fêtera pas leur ancien chef du gouvernement mais leur nouveau roi Charles III dont ce sera le couronnement.
Tony Blair aura sans doute marqué l'histoire politique de son pays d'après-guerre après Winston Churchill et Margaret Thatcher (et bien sûr la reine Élisabeth II). Avocat, membre du parti travailliste à partir de 1975, après un malheureuse tentative électorale en 1982, Tony Blair a été élu député en juin 1983 (à l'âge de 30 ans) et il a été réélu jusqu'en juin 2007. Très talentueux, il a été vite remarqué par ses collègues et à partir de 1988, il faisait déjà partie du "shadow cabinet", ce gouvernement fantôme de l'opposition, en gros, il ferait partie de l'équipe gouvernementale si son parti était au pouvoir. Positionné à l'aile réformatrice (centriste), Tony Blair, chargé de l'Emploi entre 1989 et 1992, a annoncé aux syndicats que lorsqu'il arriverait au pouvoir, le parti travailliste ne reviendrait pas sur les réformes de Margaret Thatcher.
Lors de la mort soudaine du leader du parti travailliste, John Smith (d'une crise cardiaque le 12 mai 1994), les deux favoris pour la succession, Tony Blair et Gordon Brown se sont mis d'accord pour conquérir le parti, Tony Blair à sa tête et Gordon Brown en numéro deux (et candidat au poste de Ministre des Finances). Tony Blair a ainsi été élu leader du parti travailliste. Pendant les trois années qui ont suivi, il a profondément rénover ce parti en New Labour, adoptant des thèses sociales-libérales au lieu des thèses étatistes des années 1970 (la mutation idéologique avait aussi eu lieu au parti conservateur avec Margaret Thatcher), ce qui a permis la victoire électorale des travaillistes aux élections législatives du 1er mai 1997 après dix-huit années passées dans l'opposition.
Tony Blair est ainsi devenu Premier Ministre du Royaume-Uni du 2 mai 1997 au 27 juin 2007 (réélu après deux autres victoires électorales), laissant le 24 juin 2007 le leadership du parti travailliste à Gordon Brown et donc, la tête du gouvernement également (trois jours plus tard).
L'image de Tony Blair, qui était une référence idéologique au moins en Europe sinon dans le monde pour toute la gauche socialisante, par son positionnement pro-entreprises et son réalisme économique, s'est ternie avec la guerre en Irak car, indéfectible allié des États-Unis, Tony Blair a soutenu l'initiative guerrière de George W. Bush, au contraire de ses partenaires européens, notamment français et allemand.
Référence politique, il l'a été longtemps à la fin des années 1990 et début des années 2000. En particulier, la politique de Tony Blair était mis en comparaison avec la politique du Premier Ministre Lionel Jospin arrivé au pouvoir en même temps que lui, en juin 1997. Bien que revendiquant une gauche toujours aussi archaïque, le gouvernement de Lionel Jospin a mené une politique économique sociale-libérale très blairiste, au point de lâcher que l'État ne pouvait pas tout (lors d'une fermeture d'usine) et au point de renoncer à se dire socialiste dans la perspective de l'élection présidentielle de 2002.
Je propose de revenir sur un discours exceptionnel qui a été prononcé dans l'hémicycle du Palais-Bourbon, à Paris, il y a un petit peu plus de vingt-cinq ans, le 24 mars 1998. Tony Blair était en visite à Paris et il s'est adressé aux députés français, majoritairement de gauche, devant le Premier Ministre Lionel Jospin, dans un français excellent. Au perchoir officiait Laurent Fabius, alors Président de l'Assemblée Nationale, également ancien Premier Ministre.
Rompant avec le scepticisme européen de l'ère thatchérienne, Tony Blair a proposé une "troisième voie" pour l'union de l'Europe comme pour la Grande-Bretagne. Il a commencé son discours très fort puisqu'il a fustigé le socialisme par une anecdote . Il était garçon de bistrot à Paris en 1976 : « Dans ce bar, il y avait un pot commun. On m'a dit qu'il fallait impérativement y mettre tous les pourboires. Au bout de deux mois, j'ai découvert que j'étais le seul à le faire ! C'était ma première leçon de socialisme appliqué ! Pardon ! ».
Évoquant un monde en profonde transformation, le Premier Ministre britannique présentait ainsi cette troisième voie : « Seules nos valeurs peuvent nous guider. Permettez-moi de préciser ce que j'entends par "troisième voie", ou par "New Labour". Je suis convaincu que nous devons être d'une fidélité absolue à nos valeurs fondamentales. Sans elles, nous n'aurions pas de boussole pour nous guider. La solidarité, la justice, la liberté, la tolérance et l'égalité des chances, le sentiment qu'appartenir à une communauté et à une société fortes est l'instrument du progrès individuel : voilà les valeurs qui sont au cœur même de ma politique. Mais nous devons être infiniment adaptables, et faire preuve de la plus grande imagination quant aux moyens de les mettre en œuvre. Il n'y a pas de pré-conditions idéologiques, pas de veto préalable sur ces moyens. Ce qui compte, c'est ce qui marche. Si nous n'adoptons pas cette attitude, le changement nous piège, nous paralyse, et nous balaye. Mais la modernisation a un sens. ».
Cela signifiait dans son esprit quatre conséquences prioritaires : une politique financière et monétaire prudente, un investissement massif dans l'éducation et la science, une lutte contre l'exclusion et une relance de l'esprit d'entreprise.
Une philosophie politique dont ne serait pas très éloigné un certain Emmanuel Macron : « En vérité, la meilleure sécurité de l'emploi ne tient pas aujourd'hui simplement à la protection de la loi, mais à la qualification, à l'optimisation des compétences, et à l'action d'un service de l'emploi et de la solidarité qui permet à chacun d'aller plus loin, et d'aller plus haut. ».
Ou encore : « Nous devons inventer une forme d'ordre qui résiste à la désintégration. Les gens veulent une société libérée des préjugés, mais pas des règles. (…) Le nouvel accord entre citoyens d'une même société est fait de droits, mais aussi de devoirs. À cela, nous devons ajouter une volonté sans faille de traiter dans l'égalité tous nos citoyens, sans exception. (…) Nous ne permettrons jamais que la plaie du racisme défigure nos nations. C'est une leçon que l'Europe n'aura pas à apprendre deux fois. ».
En revanche, le macronisme se distinguerait du blairisme notamment sur le besoin des organisations intermédiaires : « Pour relever ces défis économiques et sociaux, il nous faut renouveler, et modifier, la conception même du gouvernement. L'État ne doit pas essayer de tout faire lui-même, mais collaborer avec les secteurs privé et associatif. Il doit être décentralisé. ».
Sur la construction européenne, Tony Blair connaissait les réticences de ses compatriotes britanniques : « Pas besoin d'être eurosceptique, sous une forme ou sous une autre, pour se rendre compte de la profonde inquiétude de nos concitoyens sur la place à donner à l'Europe. Ils s'inquiètent pour leur identité nationale. Soyons francs : ils trouvent que Bruxelles et les institutions européennes manquent trop souvent de proximité et de compréhension. Ils se demandent ce que l'Europe fait pour eux. On en revient à la volonté de liberté et de maîtrise de sa propre vie, en ces temps où le changement s'impose. ».
Il pouvait cependant faire cette profession de foi européenne : « Je crois à une Europe de l'intérêt national éclairé. Sans chauvinisme. C'est la réponse rationnelle de l'État nation au monde moderne. Si la globalisation de l'économie est une réalité, si la paix et la sécurité ne peuvent être garanties que collectivement, si le monde évolue vers des blocs élargis de commerce et de coopération, si tout cela est vrai, alors l'Union Européenne est une nécessité concrète. Il se trouve que je partage l'idéal européen. Personnellement, je suis internationaliste. Mais même si je ne l'étais pas par instinct, je le serais par réalisme. Les forces de la nécessité, de la survie même, nous poussent à la coopération. Aux Nations Unies et en Bosnie, pas moins que dans les échanges internationaux. Pour moi, l'esprit même du développement européen, c'est l'idéalisme des hommes pragmatiques. C'est vouloir l'idéal en respectant la réalité nouvelle. Je ne doute pas qu'avec le temps, l'Europe va se resserrer encore. ». Sur ce dernier point, l'histoire lui a donné tort puisque son pays a demandé son retrait de l'Union Européenne.
Son principe d'intégration européenne était le suivant : « À sa manière, le développement de l'Union comporte aussi une "troisième voie" : l'intégration, lorsqu'elle est justifiée ; sinon, la diversité que la subsidiarité permet. (…) Nous ne voulons pas d'une Europe de la conformité. ».
En outre, Tony Blair prônait une coopération européenne de défense renforcée : « Certains pensent sans doute qu'être proche des États-Unis empêche tout approfondissement de la coopération européenne. Au contraire, il me paraît essentiel que les voix isolationnistes là-bas soient mises en échec, et nous encourageons nos alliés américains à être nos partenaires, pour tout ce qui touche à la paix et à la sécurité dans le monde. Forts en Europe, forts avec les États-Unis : voilà notre objectif. ». Là, pour le coup, il a été prévoyant et a anticipé la tentative d'invasion de l'Ukraine par la Russie, et ses conséquences sur le territoire européen en matière de défense.
Très audacieux, il prônait même une Europe plus unie politiquement, ce qui pouvait étonner provenant d'un dirigeant britannique : « Nous disposons, pour l'Union, d'un cadre économique. Il nous faut maintenant un cadre politique, qui soit infiniment plus pertinent, plus à propos, que le cadre actuel. La prochaine étape doit consister à assortir sa conception de l'économie à la vision politique et sociale qui est la sienne. Il existe un déficit politique auquel nos peuples sont très sensibles. Nous avons eu le courage de faire l'Union Européenne. Nous devons avoir maintenant celui de la réformer. Tout cela, je veux le faire avec vous. La première fois que j'ai voté, c'était pour dire "oui" à l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Maintenant, je vois mes enfants grandir et je voudrais qu'ils soient chez eux dans la gloire de Paris, la splendeur de Rome, la majesté de Vienne, comme ils le sont à Londres. Je veux qu'ils vivent dans une Europe de paix, de sécurité et de prospérité parce que des hommes comme Jean Monnet ou Robert Schuman, et bien sûr Churchill, ont su comprendre que le monde qu'ils avaient trouvé ne serait pas celui qu'ils laisseraient aux générations suivantes. ».
La conclusion du discours fut sans ambiguïté : « Voilà mon ambition : que la France et la Grande-Bretagne se rapprochent dans une entente réelle, dans une entente profonde et dans un véritable partenariat avec les autres pays d'Europe, qu'elles créent ensemble un nouveau monde sur le vieux continent. » (belle formule qui, toutefois, ne sera pas suivi des faits).
C'est pour cette raison que dix ans après ce discours, j'étais partisan que Tony Blair, ancien Premier Ministre britannique, fût désigné le premier Président du Conseil Européen, nouvelle fonction créée par le Traité de Lisbonne. Il avait l'ambition européenne, il avait le dynamisme personnel qui aurait rendue active et vivante une fonction institutionnelle nouvelle, et enfin, il aurait évité, quelques années plus tard, le Brexit car les Britanniques auraient été fiers de présider l'Europe. Au lieu de cela, on lui a préféré une personnalité effacée sans audace et sans rayonnement, Herman Van Rompuy, qui ne faisait de l'ombre à personne (nommé le 19 novembre 2009 et reconduit le 1er mars 2012).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Tony Blair.
Discours de Tony Blair à l'Assemblée Nationale le 24 mars 1998 à Paris (texte intégral et vidéo).
Êtes-vous invité au couronnement ?
Margaret Thatcher.
John Major.
Michael Heseltine.
Audrey Hepburn.
Anthony Hopkins.
Alireza Akbari.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
Élisabeth II, la reine des Français ?
Howard Carter.
La BBC fête son centenaire.
Rishi Sunak.
Qui succédera à Liz Truss ?
Liz Truss.
Le temps du roi Charles III.
Je vous salue Élisabeth, pleine de grâce…
Archie Battersbee.
Diana Spencer.
Theresa May.
(La venue de Tony Blair a eu lieu le 24 mars 1998 et pas le 24 avril 1998).
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