Un 23 octobre en Hongrie
Lundi 23 Octobre 2006, jour du cinquantième anniversaire du soulèvement populaire hongrois contre le joug soviétique, des manifestants, demandant la démission du Premier ministre ont « enflammé » le centre de Budapest. La presse internationale s’est emparée de l’affaire. Quelques précisions doivent être apportées à cette multitude d’informations officielles. Il ne s’agira pas ici de donner un point de vue, des chiffres ou des estimations, mais simplement de commenter ce que j’ai pu observer sur place.
Lundi 23 octobre 2006, 14 heures. Sur la place du Parlement, le président hongrois Laszlo Solyom, accompagné du Premier ministre Ferenc Gyurcsany, et entouré de nombreuses délégations étrangères, commémore le souvenir d’une révolution manquée. Dans le même temps, remontant de Deak ter et marchant sur le Parlement, une foule de manifestants avance aux cris de « Gyurcsany démission ». Face à eux, une horde de "CRS", policiers et gendarmes se prépare à repousser les assaillants. La première vague des manifestants est emmenée par de nombreux groupuscules extrémistes. Cet extrémisme est symbolisé par le drapeau rouge et blanc qu’ils arborent. Ce drapeau bicolore était utilisé par les nazis en Hongrie lors de la Seconde Guerre mondiale. La seconde vague de manifestants est beaucoup plus familiale, elle est composée d’enfants, de parents, de passants curieux et de vieillards. Ceux-ci attendent patiemment en retrait, faisant voler leurs drapeaux au ciel et scandant des slogans anti-Gyurcsany.
Il est donc important dans un premier temps de distinguer manifestants fascistes et violents, et manifestants pacifistes. Dire, comme le fait la presse internationale, que cette manifestation était issue d’une colère d’extrême droite est faux. Ceci est à la fois offensant pour les Hongrois qui manifestaient et négatif pour l’image de la Hongrie. On ne peut pas affirmer que les manifestations anti-CPE en France étaient composées de casseurs, autant qu’il est impensable de prétendre que les contestations hongroises sont fascistes.
Il y a, à mon sens, deux causes qui ont permis de faire déraper cette manifestation. D’une part, la ligne de front de la marche contestataire était composée de fascistes. Ce sont eux les premiers qui, dans un boulevard proche du Parlement, ont pris d’assaut un bus, ce sont eux qui ont déclenché les premiers affrontements. Néanmoins la riposte policière fut sans concession, et ce n’est pas seulement la première ligne qui a été touchée par les balles en caoutchouc et les grenades lacrymogènes, mais tous les manifestants qui suivaient. Il faut bien comprendre alors que, « à la guerre comme à la guerre », ils n’étaient plus seulement une centaine à vouloir en découdre avec la police, mais des milliers.
D’autre part, les Hongrois de droite contestent à la gauche le droit de présider ces commémorations. En effet, pour Viktor Orban et ses partisans, toute la classe dirigeante socialiste est issue des derniers gouvernements communistes d’avant 1989, donc complice indirecte des répressions sanglantes de 1956. Cet argument, pour le moins spécieux, n’aurait pas vu le jour sans le drame politique déclenché par les aveux du Premier ministre. Dans ce contexte, il faut imaginer que les Hongrois de droite n’ont pas supporté qu’on leur refuse l’accès au Parlement. Eux, « dignes héritiers » de la révolte, sont bloqués sur la place Deak, alors qu’un menteur, ancien communiste de surcroît, fait des courbettes devant les délégations étrangères. Si je ne comprends pas leurs arguments, je comprends leur frustration.
C’est dans cet état d’esprit que tout a dégénéré, et qu’il a fallu qu’ils combattent, et croyez-moi, c’était impressionnant. Il y avait réellement un esprit de révolte dans l’air. Les "CRS" étaient déployés par centaines mais, cela était flagrant, manquaient cruellement de matériels, comme des camions anti-émeutes ou de puissant jets d’eau. En face, les manifestants construirent en hâte une grande barricade (avec des lettres géantes où il était inscrit : « Liberté ») qui, dans une rue plus étroite, aurait sûrement résisté bien plus longtemps. Après avoir ramassé, arraché, extirpé tout ce qu’ils pouvaient, les manifestants (une première vague toujours composée de fascistes mais aussi gonflée par de nombreux autres manifestants) ont tout balancé sur les forces de l’ordre, qui résistaient sans trop de difficultés, à l’aide de pluies de grenades lacrymogènes. Petit à petit, les manifestants ont été repoussés jusqu’à un des nombreux mémoriaux érigés en ville à l’occasion des commémorations. Dans ce mémorial étaient notamment présentés des véhicules de l’Armée rouge utilisés pour réprimer les révoltes, dont un char. La première vague, confiante de ne pas voir la seconde vague s’enfuir, redoublait d’assurance et a eu l’idée « lumineuse » de tenter de démarrer ce char. Aussitôt dit, aussitôt fait, le char avançait droit sur le cordon de "CRS". Il était difficile d’imaginer comment le pire pourrait être évité, en voyant ce tank soviétique (vison de guerre), suivi par les manifestants qui acclamaient l’exploit, foncer sur la police. Heureusement, pour une raison que le monde ne connaîtra sans doute jamais, le char s’arrêta dans sa course, après avoir été mitraillé de bombes lacrymogènes. C’est à cet instant que les forces de l’ordre, constatant les risques de dérapages terribles, ont réellement chargé, avec l’aide de la police montée. Finalement les manifestants ont été repoussés jusqu’à la place Astoria, où se tenait un meeting du Fidesz, principal parti d’opposition. Les derniers émeutiers ont bousculé les forces de l’ordre jusqu’à une heure tardive dans la soirée.
Il ne faut pas prendre cette journée d’octobre à la légère. Il existe une réelle crise en Hongrie. La droite et la gauche sont en profonde opposition. Il y a, face à une gauche directement issue du communisme, une droite nationaliste, très floue vis-à-vis de l’extrême droite et du passé extrémiste (les croix fléchées alliées des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale). Il est difficile pour nous, Français, de juger, d’apprécier tout cela. Mais soyons vigilants, pour ne pas confondre, comme nous y invite la presse, les causes du problème. Il n’y a pas de réel problème d’extrémisme en Hongrie ayant pour cause la haine de l’Europe, de l’étranger, du Traité du petit Trianon, etc. Le problème, à mon humble avis, vient de l’opposition profonde entre les deux grandes forces politiques en présence, et les causes en sont historiques.
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