Un nouveau Grand sur la scène Mondiale
L’Union Européenne sort des limbes petit à petit.
Du temps des rois qui ont fait la France, l’accouchement de la mère d’un prince appelé à porter la couronne royale était public. Le peuple, par ses représentants à la cour, était témoin de la naissance du futur roi. Or le Roi, c’était l’État. Lui seul pouvait déclarer comme l’aurait fait le Roi-Soleil : « L’État c’est moi ».
Ainsi les naissances successives de l’État constituaient-elles chaque fois, de roi en roi, un événement que le peuple vivait intensément. Par des applaudissements ou par des soulagements, chaque village de France célébrait la nouvelle dès qu’elle était connue. Et elle l’était rapidement, grâce aux émissaires du Roi relayés par le bouche-à-oreilles. Entre la première proclamation rituelle lancée à la cour, « Le Roi est mort, vive le Roi », et l’arrivée de la nouvelle dans le plus reculé des villages du royaume, ne s’écoulaient que peu de semaines.
Mais si l’État changeait de visage par la nouvelle personne du Roi, il conservait sa forme, ses lois, sa puissance, son poids dans le monde. Les Français assistaient à une reconduction de l’État, ils n’assistaient pas à la naissance d’un État.
Nous bénéficions, nous Européens des générations en vie, d’un privilège rare. Nous assistons, et certains parmi nous participent, à la naissance d’un État. Et, énorme cerise sur l’énorme gâteau, à la naissance d’un État parmi les plus puissants du monde.
Cette naissance est difficile, parfois douloureuse ? Certes, vous ne voudriez tout de même pas qu’un accouchement de cette nature, un accouchement destiné à changer la face du monde, se fasse sous péridurale ? Qu’il se produise en quelques mois, sans qu’on s’en rende compte ? Que l’événement passe inaperçu, comme s’il s’agissait d’un petit bruit de tonnerre arrivant pendant la nuit, dont on se souvient à peine au réveil ?
Eh non, ce n’est pas un petit bruit de tonnerre. C’est un puissant orage, un cumulo-nimbus à la taille du monde entier. Un bouleversement comme l’Histoire n’en a pas connu. Et si l’enfantement d’un petit bébé dure quelques heures, vous vous étonnez que l’enfantement d’un grand pays demande plusieurs décennies ? C’est que plusieurs décennies, dans l’existence séculaire de nos civilisations, ce sont moins de quelques heures de la vie d’un homme. Et encore moins dans la vie, plus longue, d’une femme !
Qui pouvait penser, quand au milieu du XXe siècle furent posées les premières pierres de l’édifice, que deux générations plus tard seraient déjà en place un exécutif, un parlement, une monnaie, un territoire sans barrières internes, une cour de justice ?
On avait assisté dans l’époque contemporaine à la naissance de quelques pays : Algérie, Israël, mais ce sont des pays dont la taille et l’importance à l’échelle planétaire n’entraînent pas une modification des équilibres du monde. L’Union Européenne sera présente à une autre échelle. Ce sera le grand pays que nos enfants connaîtront, où ils vivront, dont ils seront fiers parce qu’il leur permettra de peser sur leur destinée dans le monde. Ils en profiteront davantage et mieux que nous, parce qu’il sera devenu un pays majeur. Nous l’aurons connu, nous, au berceau. Immature, incomplet, imparfait, fortement contesté même en ses rangs… Mais nous aurons eu l’immense avantage d’assister à sa naissance et de le voir grandir. Plaisir unique, en tout cas extrêmement rare : assister à la naissance d’un grand pays. Et, encore plus rare, assister de l’intérieur à la naissance de son propre grand pays.
On se rappellera plus tard, comme on se rappelle un chapitre d’Histoire, les raisons des « Eurosceptiques ». Raisons et arguments respectables dans l’ambiance de ce début du XXIe siècle, mais arguments qui feront sourire nos petits-enfants.
Raison « empire », « Tous les empires ont mal fini ». Certes, mais un empire c’est un état qui s’impose aux autres par la force. C’est donc le contraire d’une union entre adhérents volontaires, comportant d’ailleurs une clause de sortie possible. Et puis l’empire romain a quand même duré plusieurs siècles !
Raison « nation ». Les sentiments nationaux sont liés à chaque pays membre, et « il n’y a pas de nation européenne ». C’est là un raisonnement vrillé, qui semble imposer une évidence, mais il frise la mauvaise foi. Il revient à dire à un enfant « tu es jeune, donc tu ne seras jamais adulte ». Car le sentiment national se forge par l’Histoire, il ne peut naître en quelques années. Il suivra le constat de l’existence pratique d’une Union. Ce que disent sur ce point les eurosceptiques, contestant même les progrès réalisés, c’est « L’Europe n’existe pas ». C’est le verre à moitié plein. Il est certain que cette construction n’est pas achevée, et que l’Europe n’existe pas à 100 % en tant qu’État. Et alors ? Parce qu’elle « n’existe pas » il ne faut pas la faire ? Quelle vision figée, quel raisonnement bloqué ! Si ma maison n’est pas terminée elle ne le sera jamais ? Si deux peuples sont ennemis ils sont « ennemis héréditaires » pour l’éternité ? Il ne faut rien changer à rien ? Et comme au début du 20e siècle on se déplaçait en voiture à cheval, il fallait naturellement rejeter l’arrivée de l’automobile ?
Raison « culture ». On trouve là le comble du déni : « Il n’y a pas de culture européenne » ! Il existe mille façon de contrer cette affirmation péremptoire, de la liste des grands compositeurs à celle des écrivains et philosophes dont les noms figurent, les mêmes, dans les programmes d’enseignement de tous les pays européens. Mais on préférera ici répondre en imaginant un jeu. Imaginez qu’on vous emmène dans un long voyage, montre arrêtée et yeux bandés, puis qu’on vous lâche dans la rue d’un village. Si vous êtes en Europe, ne le devinerez-vous pas en quelques minutes, en quelques regards ? Quelques maisons, adjacentes, de pierre ou de brique, dans une rue sinueuse, une église et son clocher, vous laisseront-ils penser longtemps que vous êtes en Chine, en Australie, en Inde, en Amérique, en Afrique ? Non, les villages européens, tous différents mais tous semblables, possèdent un aspect à nul autre pareil qui traduit des siècles de modes de vie similaires.
À tous ces villages semblables, si longtemps théâtres de guerres intestines, il ne manquait qu’une chose : être unis, enfin, dans un destin commun. C’est dans cette perspective que l’Union achèvera sa construction, et non pas pour telle raison économique, politique, diplomatique, que tel ou tel argument pourront justifier.
Elle se fera parce que les Européens auront envie qu’elle se fasse, parce que les Européens sont dignes d’un grand pays, parce que de génération en génération ils se sentiront de plus en plus dignes d’être citoyens de ce grand pays.
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