Un petit tournant historique
Les tournants historiques sont souvent relativement discrets. Il vient de s’en produire un aujourd’hui (jeudi 10 avril) au Parlement européen. Pour la première fois, le Parlement vient de prendre position sur le rôle d’internet dans la société et la culture d’une façon qui ne se prête plus aux manipulations des grands groupes éditoriaux et de distribution de biens culturels. Le Parlement a déjà par le passé arbitré avec courage entre la définition ou la mise en œuvre des droits de propriété dans la sphère de l’information et les droits fondamentaux ou l’innovation. Il a ainsi refusé des extensions de la brevetabilité aux séquences génétiques en 1995 (avant qu’un lobbying effréné ne parvienne à le faire changer d’avis en 1998) et aux logiciels et méthodes logicielles de traitement de l’information en 2003 et 2005. Mais, dès qu’il s’agissait de sujets où l’on pouvait invoquer les droits des créateurs (même au mépris des faits), il se trouvait une majorité pour voter des textes insuffisamment respectueux des droits, de la légalité des lois ou des droits des usagers. Il en fut ainsi par exemple en 2004 avec l’adoption de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle qui sous cette appellation crée une présomption de culpabilité et des mesures préventives extrêmes contre les échanges non commerciaux d’information et d’œuvres.
Aujourd’hui, le Parlement européen vient de manifester qu’il y a des limites à la plongée dans l’absurdité. Il l’a fait à l’occasion du vote d’un rapport du député Guy Bono sur les industries culturelles. Il a adopté l’amendement suivant :
22 bis. engage la Commission et les États membres à reconnaître qu’internet est une vaste plate-forme pour l’expression culturelle, l’accès à la connaissance et la participation démocratique à la créativité européenne, créant des ponts entre générations dans la société de l’information, et, par conséquent, à éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effet dissuasif, telles que l’interruption de l’accès à internet.
Comme dans les votes réellement importants au Parlement européen, presque tous les partis se sont divisés. Deux versions identiques de l’amendement avaient été déposées par des députés de gauche et de droite, et les votes pour l’amendement se sont exprimés sur tout l’échiquier politique. Le vote est d’autant plus remarquable qu’un groupe politique avait demandé un vote séparé sur la partie déclaration de principes de l’amendement et le dernier corps de phrase “telles que l’interruption de l’accès à internet”. Or, le Parlement a adopté les deux parties (scrutin très serré pour la deuxième), manifestant ainsi qu’il savait ce qu’il faisait en rejetant le principe même de la riposte graduée et de son point culminant.
Il reste maintenant au gouvernement français qui avait écrit à tous les députés français pour les inviter à rejeter l’amendement à décider s’il souhaite s’obstiner à pousser en France et au niveau européen à l’adoption de la proposition de loi Olivennes (et d’un équivalent européen) alors qu’une majorité de la représentation démocratique européenne vient de la déclarer contraire aux droits fondamentaux.
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