Une Europe sénile
A l'heure où notre génie européen de la diplomatie, Catherine Ashton, se rendait au Caire pour porter des oranges à Mohamed Morsi et s'inquiéter de ses conditions de détention, les diplomates et les observateurs les plus autorisés s'entendaient pour faire admettre que les Frères musulmans rassemblaient une fraction non négligeable de l'opinion Egyptienne et qu'il convenait donc qu'ils soient parfaitement intégrés dans le nouveau dispositif démocratique. Mais l'opposition d'une immense majorité d'Egyptiens à la politique de la confrérie était déjà parfaitement connue, et au lieu d'exiger que les Frères entrent en négociation avec ceux qui les avaient renversés, il aurait évidemment été plus intelligent et plus réaliste de faire pression sur Morsi lui-même et son entourage pour obtenir qu'au plus vite il soit pris acte d'un échec politique patent et que ces responsables appellent au calme les fanatiques. On peut douter que ces pressions aient eu lieu. Tout au contraire, non politiciens très bien suivis par les media et au mépris de la plus élémentaire honnêteté, ont entretenu l'idée qu'il s'agissait d'un coup d'état dont les Frères, démocratiquement portés au pouvoir, étaient désormais les pitoyables victimes.
Il aurait tout de même fallu rappeler que le 22 novembre, le démocrate Morsi, par une déclaration constitutionnelle, avait obtenu de pouvoir légiférer par décret, ce qui lui permettait même d'annuler toute décision de justice prise avant cette date. La satisfaction des Egyptiens avait été telle qu'il lui avait fallu, en décembre, annuler ce décret par lequel il s'était accordé les pleins pouvoirs. N'oublions pas non plus que le référendum du 15 décembre 2012 (1) avait eu pour objectif de favoriser un islam particulièrement rigoriste dont, apparemment, les Egyptiens ne voulaient pas. Les islamistes l'avaient emporté, mais 33% seulement des citoyens avaient voté ! Peu importe tout cela : il semble que pour les Occidentaux, ces derniers temps, et hors du Mali bien évidemment, refuser la charia et ses plaisirs, ce soit tourner le dos à la vraie démocratie.
Cette idée de l'absolue nécessité d'une négociation entre les Frères musulmans et les représentants du mouvement Tamarrod était évidemment une stupidité, une manière de vouloir être dupe et prendre des vessies pour des lanternes. La confrérie n'a jamais eu qu'un seul objectif absurde : rétablir Morsi sur le trône pharaonique où il s'était « démocratiquement » assis, une fois et pour toujours. Il était tout aussi vain, ces dernières semaines, d'attendre que les fanatiques rassemblés sur certaines places du Caire plient bagage : ils ne bougeraient pas. Ils l'avaient proclamé d'emblée : ils ne partiraient qu'à la force des baïonnettes. Ces sortes de déclarations révolutionnaires sont réalistes quand on a derrière soi, comme Mirabeau, les gros bataillons du tiers-état, mais pas quand on vient d'être sanctionné à cause d'une incompétence notoire dans le cadre d'une politique autoritaire et tyrannique, une pareille obstination relève du suicide. Les Américains et les Européens n'auront cessé de rappeler qu'il fallait faire preuve de « modération » et déloger sans doute avec la plus grande douceur des manifestants qui disposaient d'armes pour riposter. Comme nos gouvernants européens n'ont pas eu le courage de prendre parti pour la liberté que le peuple réclame, ils ont grandement renforcé la détermination des Frères, leur donnant à penser que tout, peut-être, n'était pas perdu et qu'ils assisteraient, s'ils insistaient suffisamment, au retour de leur champion.
Quand la police a commencé à renverser les barricades, les chaînes d'information continue télévisée, en France, ont donné un spectacle consternant. On faisait venir dans les studios des gens qui soutenaient Tamarrod et on leur représentait à tout bout de champ que les Frères avaient été démocratiquement élus. Ces malheureux, qui parlaient de liberté, qui refusaient l'imposition du tout-islam, s'étouffaient d'indignation. Alors, on évoquait les morts, les blessés, comme s'ils avaient dû en être tenus pour directement responsables. Mais je me souviens très bien de la réaction d'une jeune femme demandant avec beaucoup de bon sens ce qui s'était passé au Mali. Comment avait-on procédé pour éliminer la menace jihadiste ? De fait, il ne me semble pas qu'on ait fait un très grand nombre de prisonniers. La presse n'était pas admise à voir « nos » soldats qui, sans doute, claquaient dans leurs mains pour repousser les kalachnikovs d'en face, comme on fait avec les pigeons un peu trop familiers dans les squares parisiens. (2)
Les images de toute répression sont des images incurable, atroces. Mais il conviendrait tout de même de ne jamais oublier ce que représente l'idéologie des Frères, et de ne pas considérer non plus comme quelque chose de tout à fait négligeable les horreurs dont ils ont été capables. Plus d'une vingtaine d'églises incendiées en quelques jours, quelques dizaines de coptes massacrés, ça n'est pas rien. Et cela s'est fait par des procédés d'amateur. On peut aisément imaginer ce qui se passerait si les mêmes disposaient des moyens plus sophistiqués d'une police d'état pour imposer leur loi, comme en Iran. Les Maliens avaient commencé à tâter de ces joyeusetés. Ils ont compris. Les politiciens français, qui vont probablement chercher leur inspiration du côté du Qatar, n'ont pas encore compris, eux.
Ce vendredi soir 16 août, tandis que les troubles et les massacres continuent, je lis un éditorial monstrueux en première page du Monde, appelant la France et l'Europe à retirer leur aide au nouveau gouvernement égyptien. Article prenant parti, implicitement, pour les Frères, feignant encore de croire qu'on ne veut pas prendre la peine de les écouter, alors qu'ils ont donné la preuve, durant plusieurs semaines, qu'ils refusaient toute négociation et préféraient fabriquer leurs « martyrs » à un rythme désormais industriel.
Ce vendredi soir, j'entends un Alain Gresh, vieux copain du Frère Tarik Ramadan, et son dévoué propagandiste, expliquer que le système de Mubarak est revenu au pouvoir, et que ceux qui soutiennent Tamarrod seront « les dindons de la farce ».
Un peu plus tard, dans un débat sur France 24, un journaliste qui a pourtant depuis longtemps passé l'âge des culottes courtes entreprend d'expliquer qu'il aurait fallu laisser la politique des Frères aller jusqu'à son terme, lui laisser faire la preuve incontestable de sa nullité. Alors, probablement, on aurait pu voter et trouver une solution de rechange. Cette solution, c'est probablement celle que les Allemands avaient trouvée pour s'opposer à l'irrésistible ascension d'Adolf Hitler, arrivé au pouvoir lui aussi par les urnes. Bel exemple de patience, dont on sait l'aboutissement ! C'est la solution que sont aussi en train d'expérimenter les Iraniens, trente-quatre ans après l'arrivée au pouvoir des mollahs. Ils sont vraiment très patients, nos journalistes, quand il s'agit des peuples lointains. Ils sont pourtant les fils, peut-être, de ceux qui, en 68, écrivaient sur les murs : « nous voulons tout, tout de suite ». On me rétorquera peut-être que ces derniers étaient des crétins. Eh bien oui : tel père, tel fils.
A une journaliste qui lui représentait que l'armée était en train de prendre le pouvoir, une égyptienne, Myra Daridan, il y a deux jours, expliquait que désormais les Egyptiens ont cessé d'avoir peur ; quel que soit le pouvoir disait-elle, ils savent comment faire pour le faire tomber si nécessaire, et je veux bien la croire. Ce qui se passe actuellement en Egypte, et qui a demandé des mois de préparation, nous le verrons demain en Tunisie, puis en Turquie. J'espère seulement qu'il y aura moins de morts.
Les Frères, en Egypte, se sont condamnés à retourner dans la clandestinité, comme au temps de Nasser. Tout ce qu'on peut souhaiter, c'est qu'ils renoncent au terrorisme (mais cela m'étonnerait), et qu'ils ne fassent pas l'objet des mêmes persécutions atroces que durant les années 50, mais ils ne réintégreront jamais le processus démocratique : les temps ont changé, l'islam politique tombera bientôt dans les poubelles de l'histoire.
Ce qui est navrant, c'est qu'un monde occidental qui fut le berceau de la démocratie et des libertés se montre si délibérément hostile à une pareille évolution, ne voie pas encore que l'islamisme à l'oeuvre hier au Mali, aujourd'hui dans la bande de Gaza, dans l'Iran chiite et ses satellites, est le dernier avatar d'un fascisme qu'on croyait mort. Une sorte de maladie d'Alzheimer semble désormais guetter notre vieille Mémé Europe.
(1) Article Wikipedia Référendum constitutionnel égyptien de 2012
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendum_constitutionnel_%C3%A9gyptien_de_2012
(2)Les prisonniers et les morts au Mali – Le 6 février, il est fait état de trois cents morts. Beaucoup d'entrée, dans Google, évoquent « UN prisonnier au Mali ». Je me promets de faire des recherches, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que les media ne nous ont pas saoulés avec ce thème ! Voir ici :
http://www.marianne.net/blogsecretdefense/Mali-combien-de-morts-chez-les-djihadistes_a936.html
(3) Tariq Ramadan est le petit-fils de Hassan el-Banna, fondateur de la confrérie.
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