Une présidence suédoise de l’UE pour l’Histoire
Le Taurillon : On dit souvent qu’au sein de l’Union Européenne, où les relations interétatiques sont très fortes, le rôle des ambassades est largement atténué. En quoi a consisté votre mission d’ambassadeur durant cette présidence ?
Gunnar Lund : La présidence se joue bien sûr avant tout à Bruxelles et, dans notre cas, à Stockholm. Mais les ambassades dans les pays membres ont un rôle de plus en plus important pour les présidences tournantes. Avec l’élargissement de l’Union, la machine à Bruxelles a un peu plus de difficultés à tout digérer, négocier, et les ambassades peuvent assurer une partie du travail. L’ambassade de Suède en France a ainsi développé des contacts intenses avec le gouvernement français, pour savoir quelles allaient être ses initiatives, lui expliquer les positions suédoises, etc.
Dans toutes les capitales, c’est la tache de la présidence d’assurer et de coordonner une bonne communication avec les ambassades des autres pays membres. A Paris, entre représentants de tous les pays membres, nous nous réunissons environ une fois par mois pour discuter de tous ces sujets. Les ambassades sont donc très actives.
Le Taurillon : L’Histoire retiendra probablement l’adoption du traité de Lisbonne comme l’évènement marquant de ce second semestre 2009 pour l’Union Européenne. Et vous, que retiendrez-vous d’autre ?
Gunnar Lund : L’adoption du traité de Lisbonne est bien sûr la grande percée institutionnelle, qui aboutit après des années de discussion. Nous allons maintenant pouvoir nous concentrer sur le fond plutôt que sur la forme. Mais il y a très certainement eu d’autres dossiers importants. Tout d’abord, cette crise économique et financière gravissime, qui frappe le monde entier et donc l’Europe. Il faut continuer à lutter activement pour l’avenir, l’emploi, mais aussi en introduisant plus de discipline dans ces politiques économiques. L’adoption récemment du paquet financier pour une meilleure régulation et supervision du secteur financier est un pas important. Enfin, il y a eu une grande priorité, peut-être encore plus historique, qui est la réunion sur le climat, où l’UE a pris un rôle de leader.
Le Taurillon : Justement, alors que la Conférence de Copenhague bat son plein et que l’Union européenne a un rôle historique à y jouer, n’avez-vous tout de même pas le sentiment qu’elle laisse passer là une chance historique d’affirmer son leadership, en apparaissant relativement divisée ?
Gunnar Lund : Non, je ne le crois pas du tout. Si on regarde bien les choses, on voit qu’il y a un an, la présidence française a beaucoup travaillé à la définition d’une position européenne sur ce sujet. Il s’agit d’une position commune tout à fait progressiste, et la présidence suédoise a prolongé cet engagement. Je crois que l’Union Européenne a ainsi ouvert la voie à d’autres pays. On parle beaucoup de la Chine et des Etats-Unis, car il est essentiel qu’ils suivent : le problème du climat est planétaire par nature, il faut donc trouver une solution planétaire.
Sous la pression de l’UE, nous pourrons avoir un accord très prometteur pour le futur. La présidence suédoise agit avec beaucoup de détermination pour y arriver. L’union est souvent difficile, nous sommes souvent divisés, comme nous l’avons vu avec la guerre en Irak. Mais , l’Union est unie sur la question du climat et parle d’une seule voix. La concertation est peut-être difficile, mais l’UE est très active et même exemplaire sur ce sujet.
Le Taurillon : Vous avez parlé de la situation économique préoccupante. Le retour à une certaine rigueur budgétaire était une priorité affichée de la présidence suédoise. Que retenez-vous de ces six mois, alors que la Grèce apparaît de plus en plus en difficulté ?
Gunnar Lund : La situation grecque est effectivement inquiétante. Elle démontre justement la nécessité absolue de revenir à une certaine rigueur. Certes, il faut trouver comment sortir de la crise, c’est une nécessité, mais il faut aussi définir dès maintenant une feuille de route pour les années à venir, afin de revenir à plus de rigueur. C’est une question de crédibilité, vis-à-vis des marchés financiers notamment, pour ne pas laisser gagner le scepticisme. C’est très important pour la zone Euro et l’Union Européenne en général.
Le gouvernement grec semble prêt à assumer ses responsabilités, et je pense qu’il agira en conséquence. Mais la Grèce illustre le cas d’un pays qui s’est laissé enfermer dans une situation difficile. La Suède est certes dans une posture plus confortable, mais de nombreux pays importants continuent de s’endetter un peu plus et creusent des déficits budgétaires trop grands.
Le Taurillon : La France ?
Gunnar Lund : La France, certainement, mais aussi la Grande Bretagne, l’Italie et d’autres pays. Pour sortir de la crise, les pays se sont endettés, mais il faut travailler dès à présent à revenir vers plus de discipline.
Le Taurillon : La présidence espagnole va débuter d’ici quelques semaines, dans un contexte un peu particulier, puisque M. Van Rompuy prend ses fonctions. Comment analysez-vous cette présidence atypique à venir ?
Gunnar Lund : Notre présidence a été un peu particulière, puisque c’était la dernière de « l’ancien régime ». Pour ce qui est des Espagnols, leur présidence sera très importante car il faudra mettre le traité de Lisbonne en œuvre, faire fonctionner les nouveaux postes importants. Ce qui se fera durant la présidence espagnole deviendra la norme pour le futur. Elle est donc capitale. Et puis, les dossiers continuent. La situation grecque et l’assainissement des finances sera un sujet important. Et bien sûr, le climat. Nous espérons aujourd’hui un accord politique important à Copenhague, mais demain celui-ci devra prendre la forme d’un traité, juridiquement contraignant. Un travail que devra assumer la présidence espagnole.
Repères biographiques : Né en 1947, Gunnar Lund est une figure de la diplomatie suédoise. Après des études en économie, sciences politiques et russe à l’Université Uppsala de Stockholm ainsi qu’à Columbia, il entreprend une carrière dans les Ministères des finances et des affaires étrangères, avant d’être nommé en 1988 secrétaire d’Etat au Ministère des finances. Entre 1991 et 1994, il est ambassadeur et négociateur chargé des questions de défense et d’armements ainsi que des affaires russes. Puis il est nommé secrétaire d’État aux affaires européennes, se trouvant ainsi au premier plan de l’adhésion de son pays à l’Union. En 1999, il devient ambassadeur de Suède auprès de l’Union Européenne, durant la première présidence suédoise. Puis, en 2002, il devient ministre chargé des affaires économiques internationales et des marchés financiers au Ministère des finances, avant d’être nommé en 2005, ambassadeur de Suède à Washington. Depuis 2007, il occupe ce même poste à Paris.
Illustration : Portrait de Gunnar Lund
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