Vers une Europe ... allemande ?
« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » demandait Henri Kissinger, l’ancien secrétaire d’État américain. La réponse pourrait bien être celui d’Angela Merkel.
Les dernières péripéties de l’accord européen sur la dette grecque (permettez-moi de les appeler « péripéties », car cette crise – bien réelle - a été largement dramatisée et instrumentalisée pour faire monter les enchères politiques), ont montré que, si l’Europe se consolide, elle le fera aux conditions allemandes.
Lors de sa prestation télévisée du 27 octobre dernier, Nicolas Sarkozy s’est fait le « pédagogue » de la crise de la dette. Comme on ne parle que de cela depuis des semaines, c’était bien le moins en effet que de venir s’expliquer devant nous, citoyens et contribuables, qui ne manquerons pas d’être appelés à « cotiser » à l’accord obtenu.
On peut simplement regretter qu’à cet exercice pédagogique se soit ajoutée une communication partisane de « candidat non déclaré » en campagne (avec un retour sur les vieilles lunes de la retraite à 60 ans et des 35 heures…). Mais l’important est ailleurs.
Il l’est dans le non-dit. Comme souvent en politique.
Ce que ne pouvait pas avouer Nicolas Sarkozy c’est que l’accord obtenu la veille l’avait été aux conditions voulues par Angela Merkel. Plus exactement d’ailleurs aux conditions acceptées par le Bundestag (l’équivalent de notre Assemblée Nationale).
Au passage on peut saluer le fonctionnement de la démocratie allemande. Nos députés ont-ils jamais été consultés sur les options présentées par notre Président ? Y a-t-il jamais eu chez nous un seul débat démocratique sur ce thème où, pourtant, nous engageons des centaines de milliards d’€ ?
Notre presse et nos politiques auraient été bien inspirés de saluer l’exemplarité de ce fonctionnement plutôt que de stigmatiser la Chancelière, accusée d’être indécise, de ne pas être suffisamment réactive, voire de ne pas répondre suffisamment vite aux attentes des « marchés ».
Mais revenons à l’accord du 27 octobre. Officiellement la divergence portait sur les rôles de la BCE (Banque Centrale Européenne) et du FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) pour faire face aux risques potentiels de pertes abyssales en cas de défaut de paiement d’autres pays surendettés (l’Italie par exemple).
Si je résume ma compréhension de cette divergence, la France voulait que le FESF se transforme en une banque pouvant lever des fonds sur les marchés, avec une garantie de refinancement/réassurance auprès de la BCE (qui aurait pu faire marcher la « planche à billets », à l’instar de la Fed américaine – voyez à ce propos le très pédagogique reportage sur la création monétaire). L’Allemagne ne voulait pas de ce montage. Cela ne doit étonner personne (nos amis allemands n’aiment pas, mais alors pas du tout, qu’on fasse marcher ladite planche).
Sans rentrer dans ce débat bien trop technique (j’invite le lecteur intéressé à consulter l‘excellent article de Libération sorte de « le FESF pour les Nuls »), je constate que la position allemande a triomphé sur ce point.
Ce nième plan « définitif » sera-t-il plus efficace que les autres ? D’ailleurs à quoi jugerons-nous de son efficacité ? A l’arrêt de la spéculation sur la dette souveraine des pays européens les plus fragiles ? Au fait que la Grèce remboursera effectivement les 50% de sa dette qui n’ont pas été effacés (je suis convaincu que personne n’y croît, mais chut ! n’en parlons pas – pas déjà) ?
La question vaut d’être posée (et je la pose), mais là n’est pas mon propos d’aujourd’hui.
Dans sa prestation du 27 octobre, Nicolas Sarkozy a largement survendu son rôle de sauveur de la planète Euro.
En réalité, son véritable apport, en début de crise, a été de convaincre les allemands – qui étaient loin de l’être – de la nécessité d’un renflouement de la Grèce et d’une meilleure gouvernance économique de l’Union. Rappelez-vous les titres des journaux allemands de l’époque qui refusaient de payer pour ces « fainéants de grecs »…
Avoir œuvré – et réussi – à renverser ce point de vue mérite largement d’être mentionné.
Mais … tout le reste est allemand.
Nicolas Sarkozy n’a fait que « marquer à la culotte » la Chancelière pour donner l’illusion qu’il maîtrisait la situation. Mais il n’a pas été entendu, peut-être même pas écouté. Pouvait-il l’être d’ailleurs alors que les agences de notation mettaient la France sous surveillance (aie ! notre précieux AAA serait-il menacé ?) et que nos banques venaient de perdre 40% de leur capitalisation boursière ?
L’Europe qui se profile à l’horizon sera donc allemande. Au grand dam de nos dirigeants (de tous bords) et … de notre ego.
Mais est-ce vraiment un mal ?
Si on ne peut pas vraiment dire qu’elle est florissante, l’économie allemande est plutôt en moins mauvaise situation que la nôtre.
La démocratie allemande a fait la preuve qu’elle fonctionne bien, c’est à dire qu’elle contrôle son Exécutif (dans le cadre de cette crise, mais également pour l’engagement militaire en Libye par exemple) alors que la nôtre a largement failli (j’ai déjà évoqué l’opacité de la négociation au sujet de cette crise de la dette, mais avons-nous eu un débat à l’Assemblée sur notre engagement en Afghanistan, en Libye, engagements tout à fait discutables et qui, de surcroît, nous ont coûté plusieurs centaines de millions d’€ ?).
L’Allemagne a l’expérience du fédéralisme dont nous ignorons à peu près tout, jacobins impénitents que nous sommes et que nous avons toujours été. Or, si l’Europe veut être davantage qu’une zone de libre échange et peser dans le nouveau monde multipolaire qui se dessine, elle devra tôt ou tard (tôt serait préférable que tard !) se poser la question du fédéralisme. Nous nous dirigeons d’ailleurs lentement (mais avec une telle lenteur qu’à ce rythme ce sont nos petits enfants qui atteindront cet objectif !) vers cette cible avec la désignation d’un Président (quoi ? vous ne connaissez pas Herman von Rompuy ? c’est pourtant un homme très important qui, à sa mission jamais exercée de Président de l’Union, s’en voit ajouter une nouvelle – qu’il n’exercera, soyons-en sûr, pas davantage -, celle de Président de la zone Euro), celle d’une Ministre des Affaires Étrangères (si vous ne connaissez pas Herman von Rompuy, il n’y a rigoureusement aucune chance que vous ayez jamais entendu parler de Catherine Ashton, Haute Représentante de l’Union pour les Affaires Étrangères et la Politique de Sécurité), et la décision d’un renforcement de la discipline budgétaire (qui, de fait, implique une sorte de tutelle de l’Union sur les budgets des États membres).
Et puis, pour qu’une organisation avance, il lui faut un chef. Un chef charismatique serait un plus naturellement. Mais, à défaut, un chef respectueux des institutions et de ses concitoyens, un chef posé et solide, un chef respecté, ferait certainement tout à fait bien l’affaire.
« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » demandait Henri Kissinger, l’ancien secrétaire d’État américain. La réponse pourrait bien être celui d’Angela Merkel.
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