Volodymyr Zelensky : les valeurs valent mieux que les bénéfices !
« Je suis sûr que vous savez très bien ce qui se passe en Ukraine ; vous savez pourquoi cela se produit et vous savez qui est coupable (…). Je m’adresse à vous, gens honnêtes, rationnels et audacieux, pour vous poser une question : comment arrêter cette guerre ? La plupart des réponses sont dans vos mains, dans nos mains. » (Volodymyr Zelensky, le 23 mars 2022 à l’Assemblée Nationale et au Sénat).
Le titre ressemble à un slogan d’Olivier Besancenot. Sans jamais citer le nom du responsable suprême de ce gâchis humain gigantesque, des dizaines de milliers de vies fauchées, plus d’une dizaine de millions de vies anéanties par l’exode, à savoir Vladimir Poutine, le Président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky s’est adressé, ce mercredi 23 mars 2022 à 15 heures, aux parlementaires français en visioconférence.
Séance très émouvante et très spéciale : c’était la première fois que les parlementaires recevaient un chef d’État d’un pays en guerre, la première fois que cela se passait en visioconférence (à ma connaissance), et aussi, sur la forme institutionnelle, c’était une première également, la première fois que les deux chambres du Parlement, l’Assemblée Nationale et le Sénat, ont reçu le même invité en même temps en deux lieux différents (d’habitude, les parlementaires se réunissent ensemble lorsqu’ils sont convoqués en Congrès à Versailles). Il faut aussi rappeler que les députés français ont le droit d’écouter des hôtes de marque (notamment des dirigeants de pays étranger) seulement depuis la Présidence de Philippe Séguin en 1993, et le Sénat a suivi rapidement. Cette séance était aussi un peu spéciale dans la mesure où elle rompait la pause depuis plusieurs semaines due à la campagne présidentielle.
Ce fut une ovation debout pour saluer le courage et la force de mobilisation du jeune Président ukrainien (il a 44 ans, un mois de moins que le Président français Emmanuel Macron) élu le 21 avril 2019 à la tête de l’Ukraine. Zelensky n’a parlé que treize minutes, en particulier pour empêcher ses ennemis de repérer d’où il parlait, probablement dans un sous-sol à Kiev. À l’origine, il devait cependant s’exprimer pendant une vingtaine de minutes.
Pour Volodymyr Zelensky, en revanche, ce n’était pas nouveau de s’adresser à des parlementaires d’un pays ami : depuis plusieurs semaines, il ne fait d’ailleurs quasiment que cela. Jugez-en : Zelensky s’est exprimé aux parlementaires européens le 1er mars 2022, aux parlementaires britanniques de la Chambre des Communes le 8 mars 2022, aux parlementaires canadiens le 15 mars 2022, aux parlementaires du Congrès des États-Unis le 16 mars 2022, aux parlementaires allemands du Bundestag le 17 mars 2022, aux parlementaires israéliens de la Knesset le 20 mars 2022, aux parlementaires italiens le 22 mars 2022, aux parlementaires japonais le 23 mars 2022 au matin, et il a prévu de s’exprimer aux dirigeants de l’OTAN le 24 mars 2022 lors d’un sommet auquel participe le Président américain Joe Biden.
Non seulement c’était futé et très habile politiquement, de s’adresser aux parlementaires dans les démocraties pour lesquelles le Parlement compte, mais Zelensky a cherché, chaque fois, à ce que son message fût adapté au pays. Devant le Congrès américain, il avait évoqué les attentats du Word Trade Center, et devant les parlementaires français présidés par Gérard Larcher et Richard Ferrand, il a évoqué la Bataille de Verdun pour faire une comparaison avec la situation actuelle de Marioupol : « Marioupol et d’autres villes ukrainiennes frappées par l’occupant rappellent les ruines de Verdun. (…) L’armée russe ne distingue pas les objets qu’elle cible. Elle détruit tout : quartiers résidentiels, hôpitaux, écoles, universités ; tout. Elle brûle les entrepôts de nourriture et de médicaments ; elle brûle tout. Elle ne tient pas compte du concept de crime de guerre ni des obligations liées aux conventions internationales. Elle a apporté la terreur sur le sol ukrainien, et chacun de vous en est conscient. ».
Il n’a pas hésité non plus à insister sur l’émotionnel, allant jusqu’à demander une minute de silence pour toutes les victimes de cette guerre, après avoir raconté le bombardement de la maternité de Marioupol le 9 mars 2022 : « La plupart [des femmes] ont survécu, mais certaines ont été grièvement blessées : une femme a vu son pied, qui était fracturé, être amputé ; une autre a eu le bassin fracturé et son bébé est mort avant la naissance. Alors qu’on essayait de la sauver, elle demandait aux médecins de la laisser mourir, de ne pas l’aider : elle ne voyait plus de raisons de rester en vie. Elle est morte. ». Et d’ajouter : « En Ukraine, en Europe, en 2022, pour des centaines de millions de personnes, il était impensable que le monde puisse être détruit. Je vous demande d’observer une minute de silence en l’honneur et à la mémoire des milliers d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens qui ont été tués à la suite de l’invasion russe du territoire ukrainien. ».
Volodymyr Zelensky a salué le leadership du Président Emmanuel Macron : « Nous sommes reconnaissants à la France pour son aide et pour les efforts du Président de la République Emmanuel Macron, qui a fait preuve d’un véritable leadership. (…) Les Ukrainiens voient que la France apprécie et protège la vérité. Vous savez ce que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Chacune de ces notions est importante pour vous : je le sens et les Ukrainiens le ressentent aussi. (…) Nous attendons de la France, de votre leadership, la restauration de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. ».
Le Président ukrainien a évoqué aussi l’acteur Jean-Paul Belmondo alors que certains imaginaient qu’il citerait De Gaulle. Ancien acteur, Zelensky a trouvé audacieux de parler plutôt de l’acteur français très populaire : « Que les gens puissent vivre leur vie et mourir non pas sous les bombes, au milieu d’une guerre, mais quand leur heure est venue, dans la dignité. Chacun doit vivre dans le respect, et on doit pouvoir lui dire adieu, comme la France l’a dit à Jean-Paul Belmondo. ».
Contrairement à des interventions devant des parlementaires d’autres pays, il n’a pas demandé la sanctuarisation de l’espace aérien que la France avait déjà refusé d’assurer pour ne pas compter parmi les belligérants directs de la Russie.
Prenant à témoins les parlementaires et les citoyens français, Zelensky a pointé du doigt des grandes entreprises françaises encore présentes en Russie, en particulier un constructeur automobile et des grandes surfaces commerciales : « [Ils] doivent cesser d’être les sponsors de la machine de guerre de la Russie. Ils doivent cesser de financer le meurtre d’enfants, le viol et le meurtre de femmes. Chacun doit se rappeler que les valeurs valent plus que les bénéfices. ». Sans le dire explicitement, il a laissé entendre qu’il suffirait que les consommateurs français boycottent ces entreprises. Pour info, toutes les entreprises étrangères des pays condamnant fermement la guerre ont déjà versé depuis le début de cette guerre 18 milliards d’euros (principalement pour l’achet de gaz) qui réalimentent l’effort de guerre.
Et les valeurs, celles que l’Ukraine partage avec le reste de l’Europe, ce qui vaut sa demande d’adhésion à l’Union Européenne, ce sont la liberté, la démocratie, l’humanisme, et aussi la souveraineté nationale, qui est une valeur essentielle et parmi les premières qu’ont énumérées les constituants français depuis le dernière guerre. Et enfin, l’esprit de résistance.
Volodymyr Zelensky compte surtout sur la France pour l’après-guerre, afin de construire une paix durable : « Nous devons déjà penser à l’avenir, à la façon dont nous allons vivre après la guerre. Il nous faut des garanties solides pour rendre la sécurité inébranlable et les guerres impossibles dans ce monde. Créons un nouveau système de garanties et de sécurité, au sein duquel la France jouera un rôle de premier plan. ».
Incontestablement, les parlementaires français ont eu devant eux, par écran interposé, un valeureux chef d’État d’une nation en guerre, courageux, qui a su mobiliser tout son peuple pour résister à l’ennemi envahisseur, et qui a su aussi mobiliser les pays extérieurs, en particulier ceux de l’Union Européenne, pour leur dire : les valeurs que le peuple ukrainien défend, au péril de sa vie, ce sont justement celles de l’Europe unifiée. Et il ne faut faire aucune concession à ceux qui veulent les détruire ou les trahir.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Volodymyr Zelensky.
Poutine paiera pour les morts et la destruction de l’Ukraine.
Ukraine en guerre : coming out de la Grande Russie.
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
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