Aix-en-Provence : représailles contre le fonctionnaire qui dénonce des irrégularités électorales
Il ne fait pas bon s’opposer à la députée-maire d’Aix-en-Provence quand on est fonctionnaire municipal ! Raymond Chaoul, agent du service des Elections, est en train de l’apprendre à ses dépens. Pour avoir formé un recours devant le Conseil constitutionnel dénonçant de nombreuses irrégularités ayant entaché les dernières législatives, il fait l’objet de lourdes représailles.

13 000 cartes d’électeurs de retour en mairie, pour n’avoir pas
trouvé acquéreurs ! Où habitent donc désormais ces mystérieux inscrits
de la 14e circonscription des Bouches-du-Rhône (un des deux secteurs
d’Aix-en-Provence) ? Ne devrait-on pas entreprendre des vérifications ?
Employé municipal depuis 1983, Raymond Chaoul, adjoint administratif au
service des Elections de la mairie, se dit "dégoûté" et parle de "manipulations politiques" : "Depuis environ trois ans, nous ne révisons plus les listes à partir des cartes retournées",
nous explique-t-il. Le nombre des inscrits augmente ainsi de façon
artificielle : 13 000 électeurs sur 90 000 en tout, le pourcentage est
énorme. Or, pour se maintenir au second tour des législatives, un
candidat doit réunir les suffrages de 12,5% des inscrits : plus ils
sont nombreux, plus il faut de voix, ce qui limite le risque d’une
triangulaire. Sur les 13 000 cartes d’électeurs n’habitant pas à
l’adresse indiquée, "7 000 ont été récupérées sans que les personnes ne prouvent leur rattachement à la commune",
poursuit Raymond Chaoul, qui fournit également une dizaine de noms de
proches de la mairesse, habitant en dehors d’Aix-en-Provence mais
autorisés à y voter grâce à des certificats d’hébergement, d’ordinaire
réservés aux seuls jeunes venant d’atteindre la majorité mais habitant
encore chez leurs parents ! Et
ces électeurs décédés non radiés des listes électorales ? Et la fameuse
"liste Benon", du nom de l’adjointe chargée des Elections et de
l’Etat civil, Charlotte Benon, qui comprend des
centaines de patronymes quasi exclusivement de sonorités exotiques, en
vue de les radier des listes électorales ? "Je voulais alléger les listes électorales en supprimant les personnes qui n’avaient plus d’attache avec la commune", proteste l’élue dans le quotidien La Marseillaise.
Curieuses méthodes : au lieu de vérifier les électeurs ayant changé
d’adresse - les fameux 13 000 -, on sélectionne des noms, au hasard (ou
en fonction de leur origine étrangère ?), exclusivement dans deux
quartiers populaires de la ville, l’Epinette et le Jas-de-Bouffan. "Charlotte Benon nous
a ordonné d’envoyer un courrier recommandé à toutes les personnes
sélectionnées et de les radier si elles ne répondaient pas", raconte Raymond Chaoul. "Des radiations ciblées ?", s’interroge La Marseillaise.
Le fonctionnaire ajoute encore posséder les preuves qu’au moins trois
de ses collègues employés de la mairie d’Aix ont travaillé directement
pour la candidate, en procédant à une extraction informatique des
listes électorales en vue de les étudier de près. Et il sait de quoi il
parle : il était justement en charge de la gestion informatique des
fichiers du service Elections ! A la suite de ces multiples
irrégularités, il a décidé d’intenter un recours devant le Conseil
constitutionnel, en vue de faire annuler les dernières législatives.
"Il agit par vengeance personnelle, tempête Maryse Joissains Masini, députée-maire UMP d’Aix-en-Provence, dans le quotidien La Provence. Ce monsieur est en procès avec la mairie, parce qu’il n’a pas obtenu l’avancement auquel il estime avoir droit."
Offusqué, ce dernier fait valoir que le contentieux en question remonte
à l’époque où Jean-François Picheral (PS) était maire d’Aix : "Je
n’ai jamais rien dit contre lui parce qu’il n’y a jamais eu de problème
électoral ! C’est à partir de 2001 que j’ai constaté de multiples
irrégularités dans mon service." Dans son bureau d’élu du village
du Puy-Sainte-Réparade (5000 habitants) où il nous a reçus - il est
adjoint au maire chargé des associations -, Raymond Chaoul a posé
devant lui le volumineux dossier - plusieurs centaines de pages - de
ses démêlés avec Maryse Joissains. Cette dernière l’accuse d’avoir
falsifié les dates d’un courrier adressé au personnel municipal ? Il
sort la pièce : "Regardez, la secrétaire a tremblé en apposant la date au tampon encreur, mais elle reste parfaitement lisible !" Elle lui reproche également d’avoir "détourné du courrier personnel" ? Il rigole : "On
a reçu au service des élections de la mairie une facture d’imprimeur
adressée à la candidate pour des affiches électorales. Je l’ai
photocopiée." "Il est politiquement engagé contre moi ; il soutient François-Xavier de Péretti" (candidat Modem-de-droite à la mairie), affirmait encore Joissains dans La Provence. Là encore, Chaoul s’insurge : "J’ai été élu sur une liste sans étiquette, je ne fais pas de politique !"
Et si étiquette il y avait, celle-ci serait plutôt... UMP, qui est la
couleur du maire du Puy, comme celle de la députée-maire d’Aix ! L’élu
local met en avant l’article 40-1 du Code pénal, qui impose à tout
fonctionnaire assermenté de dénoncer un délit dont il est témoin dans
l’exercice de ses fonctions. "Je refusais d’être complice de manœuvres pouvant ou ayant vicié la sincérité du scrutin", insiste-t-il. D’où ce recours devant le Conseil constitutionnel, qui a rendu sa décision le 29 novembre 2007 : "Considérant, en premier lieu, qu’il n’appartient au juge de l’élection
de connaître des irrégularités de la liste électorale que dans le cas
où ces irrégularités résultent d’une manœuvre de nature à porter
atteinte à la sincérité du scrutin ; que, si le requérant invoque
diverses irrégularités relatives au fonctionnement de la commission
administrative chargée de la révision et de la tenue de la liste, des
radiations ou des inscriptions faites à tort, ainsi que la non-actualisation des listes à partir des cartes d’électeurs et des
enveloppes de propagande non distribuées, il n’apporte aucun élément de
preuve de nature à établir l’existence de manœuvres dans l’élaboration
des listes électorales ayant servi pour les élections qui se sont
déroulées les 10 et 17 juin 2007 (...) La requête
de M. Raymond Chaoul est rejetée."
On voit que le Conseil constitutionnel ne conteste pas les irrégularités mais reproche au
requérant de ne pas avoir prouvé qu’elles résultent de manœuvres.
Décision contestable : l’écart entre Maryse Joissains Masini et son
adversaire du deuxième tour, le socialiste Alexandre Medvedowsky - qui la défie à nouveau aux prochaines municipales -, fut de 5600
voix, or les électeurs "douteux" sont au moins 7000 : une annulation du
scrutin, dans ces conditions, n’aurait pas semblé anormale.
Raymond Chaoul en tire une conclusion logique : "pour les prochaines municipales et cantonales, les listes d’électeurs sont fausses !"
Mais il ne pourra nous renseigner si s’opère une éventuelle
régularisation : il a été muté d’office de son poste au service
Elections, avec la perte de la prime informatique et de celle de
l’accueil au public qu’il percevait jusque-là. Il a donc déjà été
sanctionné, mais le courroux de la députée-maire n’est pas calmé pour
autant, qui l’a convoqué devant le Conseil de discipline, accusé
d’avoir "divulgué des propos diffamatoires et des allégations mensongères".
La sanction réclamée est d’un an d’exclusion temporaire de fonctions.
Le fonctionnaire devait comparaître mardi dernier, mais le conseil a
été annulé au dernier moment, officiellement parce que le quorum des
élus n’était pas atteint. Etrange. Madame le maire veut-elle s’éviter
une campagne de presse gênante à quelques jours des municipales ? En
parlant de ces élections, la vengeance du premier
magistrat aixois est venu poursuivre Chaoul jusque dans son village du
Puy ! Prévu pour figurer à nouveau sur la liste de la majorité
sortante, il eut la surprise, lors de la première réunion des
colistiers, d’entendre le maire du village, Jean-Pierre Bertrand,
annoncer publiquement qu’il était obligé de le retirer de la liste à la
suite d’un coup de téléphone de la mairie d’Aix, refusant d’en dire
plus. Décidément, il ne fait pas bon défier Maryse Joissains en son
royaume : en plus d’être députée de la 14e circonscription et maire
d’Aix, elle est aussi présidente de la Communauté d’agglomérations du
Pays d’Aix, à laquelle appartient le village du Puy-Sainte-Réparade...
Raymond Chaoul ne se présentera donc pas devant les électeurs les 9 et
16 mars prochain. "Je me retire volontiers, je n’ai jamais eu d’ambitions politiques, lâche-t-il. Je marche droit, la tête haute. Tout ce que je veux, c’est faire respecter mes droits et éclater la vérité."
Illustration du haut : Aix en Provence, Détail de la porte de l’Hotel de Ville
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