Incident à Gagny (Seine-Saint-Denis) : un citoyen qui filmait le conseil municipal a été menacé par le maire
Gagny est une commune de Seine-Saint-Denis. Elle compte 37 000 habitants, les "Gabiniens". Son maire, Michel Teulet, est également conseiller général : il préside le groupe de l’opposition UMP-UDF à l’assemblée départementale.
Un blog local, gagny.blogspot.com, créé en mars 2005, s’est donné pour mission d’"informer les Gabiniens sur la réalité de la politique menée par le maire". Ce blog -très critique- est animé par Jim Dhoët. Ce dernier s’est présenté aux élections cantonales de 2004 sous l’étiquette "divers droite". Il a obtenu 4,93% au 1er tour, contre 39,97% pour Michel Teulet, finalement élu avec 53,54% au second tour face au candidat socialiste (source : ministère de l’intérieur).
Cet été, lassé d’être "ridiculisé" par cet opposant blogueur, le maire de Gagny l’a mis en demeure de cesser d’"exploiter son image". Aussitôt, Jim Dhoët a dénoncé sur son blog un "règlement de compte à OK Gagny".
Voilà pour le contexte local. Venons-en à notre sujet :
Le 5 septembre, le blogueur a diffusé une vidéo enregistrée lors du Conseil municipal du 26 juin. Dans cet extrait d’une dizaine de minutes, on assiste à une scène ahurissante : le maire voyant qu’il est filmé décide de suspendre le conseil, en affirmant -avec une totale assurance- que la loi "interdit de filmer ou de photographier" dans l’enceinte du conseil municipal. Il s’appuie pour cela à plusieurs reprises sur le "Code général des collectivités territoriales" et menace d’appeler la police pour faire "évacuer" le vidéaste "qui ne respecte pas la loi". De part et d’autre, la tension est à son comble : la communication impossible se résume à des attaques lancées à la volée. Le blogueur ne nous dit malheureusement pas comment tout cela s’est terminé.
Tout d’abord, rectifions l’affirmation du maire de Gagny : non seulement la loi n’interdit pas d’enregistrer une séance du Conseil municipal, mais en plus elle l’encourage. En effet, la plus large "publicité" possible doit être faite de ces séances publiques ; les citoyens doivent pouvoir y assister et ils peuvent enregistrer et diffuser ces débats par tous les moyens à leur disposition (lire les notes sur ce sujet : chez Moris Dia à Bayonne, sur MonPuteaux.com à Puteaux).
La publicité des séances est un principe républicain fondamental. Par conséquent, on ne peut qu’être étonné de la réaction de Michel Teulet : croyait-il vraiment ce qu’il affirmait, ou était-ce une réaction d’exaspération face à un opposant genant ? "Vous n’avez rien à cacher ?", lui lance le vidéaste sur la défensive, avant de s’énerver face aux insinuations de l’élu.
Si le maire est responsable de la "police" du Conseil municipal, il doit d’abord garantir -par son propre comportement- la bonne tenue des débats. Or, que voyons-nous dans cet extrait ? Nous voyons un maire qui ment (volontairement ou par ignorance des principes républicains ?), qui provoque les citoyens présents en séance ("vous êtes des fascistes") et les menace ("je vais référer au procureur de la République"), au lieu de chercher à calmer et à modérer une situation qu’il a lui même créée. En effet, avant son interruption de séance, le débats se déroulaient normalement : visiblement le vidéaste était discret et se contentait de filmer le conseil, sans créer de désordre, comme le souligne quelqu’un dans la salle (un élu ? une personne de l’assistance ? un membre du blog gagny.blogspot.com).
Que révèle cette vidéo, au-delà du conflit local entre un maire de la banlieue parisienne et certains de ses administrés ? Que face aux nouveaux outils technologiques permettant très facilement et pour un coût réduit la captation et la diffusion des conseils municipaux, la première réaction d’un maire est de s’opposer à cette possibilité, au nom du respect de la "représentativité" (sic !).
On doit d’ailleurs s’interroger : pourquoi, alors qu’aujourd’hui un simple blogueur peut le faire, tous les maires de France ne décident-ils pas de mettre en ligne l’intégralité des conseils municipaux ? Voilà qui serait un bon moyen -parmi d’autres- d’améliorer le fonctionnement de notre démocratie. Voilà qui permettrait peut-être d’éviter que des citoyens se disent "mes élus ont des choses à cacher".
Les maires doivent comprendre qu’Internet n’est pas qu’une révolution technologique : c’est aussi une révolution "sociétale", puisqu’elle tend à mettre la "démocratie participative" au même niveau que la "démocratie représentative". Certes, c’est un sacré changement dans notre système centralisé. Mais refuser cela ou chercher à le retarder, c’est creuser un peu plus le fossé entre les citoyens et leurs représentants ; c’est mettre en danger notre démocratie.
En cela, la vidéo de Gagny serait inquiétante, si elle exprimait le sentiment général des maires de France.
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