Les dessous de la départementalisation de Mayotte
Les faits
Dimanche 29 mars, au journal de 20 heures, nous avons appris que Mayotte était devenu le 101ème département français. Suite à un référendum en catimini, le peuple mahorais (71000 électeurs) s’est massivement prononcé en faveur de la proposition de devenir le cinquième département d’outre-mer, rejoignant ainsi…la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion. Surprenant, non ? A l’heure où ces quatre DOM, après les crises sociales que nous connaissons, évoquent une possible réforme de leur statut, loin du modèle obsolète d’après-guerre.
Il fut un temps où l’on parlait de « sens de l’histoire », et celui-ci allait dans la direction de la décolonisation ; à Mayotte, force est de constater que le vent souffle dans le sens inverse, celui de la recolonisation. Mais bon, vu que toutes les forces politiques locales, y compris le parti communiste, faisaient campagne pour le oui, on pouvait s’attendre au résultat.
Ceci dit, cette quasi-unanimité ne doit pas empêcher de se poser les questions de fond sur lesquelles les métropolitains sont trop peu informés.
Un peu d’histoire
Mayotte fut la première des îles comoriennes à devenir française, dès 1841, précédant de cinquante ans le reste de l’archipel. Ensuite, pendant un siècle, l’ensemble des îles des Comores sera traité par la France avec un statut de protectorat, puis de territoire d’outre-mer.
En 1974, lors du référendum d’autodétermination organisé dans l’archipel, Mayotte est la seule à voter pour rester française, alors que les trois autres (Grande Comore, Anjouan et Moheli) votent massivement l’indépendance. Depuis Mayotte est séparée de « ses trois sœurs », ce qui va à l’encontre des principes internationaux qui pronent le respect des frontières issues de la colonisation. Cette prise de position historique vaudra à la France des condamnations régulières de la part des Nations-Unies.
2009 : nouveau référendum avec le résultat que l’on connaît. L’union Africaine avait condamné par avance ce référendum organisé sur une terre « occupée par une puissance étrangère » ; de son côté, le colonel Khadafi accuse la France de néocolonisation. Par contre, on ne peut que constater la lâcheté de l’union européenne, qui préfère fouetter d’autres chats avec la France, et ne veut pas attaquer Paris sur ce sujet-là.
Démocratie bafouée
Ca n’est malheureusement plus un scoop, et ça devient hélas, presque une routine, mais sur ce coup là, on ne peut que dénoncer le manque d’information sur la chose. En effet, la nouvelle n’a été annoncée que lorsque tout était joué. On ne peut que, également, constater l’absence de débat, que ce soit dans l’héxagone ou aux Comores. Une première fois, en 1974, l’état français s’était octroyé le droit d’exploiter les scrutins île par île ; aujourd’hui, le référendum n’est proposé qu’à Mayotte…
En métropole, la constitution prévoit un référendum sur toute nouvelle adhésion à l’U.E, et là, les français ne sont même pas concertés pour l’extension de leur territoire.
Alors pourquoi ?
La presse indépendante, les médias alternatifs, font remonter des faits, des idées, assurément justes mais un peu trop « napoléoniennes » pour être les seules. N’oublions pas que notre grand maître dirigeant est un calculateur, un préméditateur.
Donc, citons les faits relatés par ceux qui ont osé parler de Mayotte, en d’autres termes que les résultats du référendum, en se penchant sur les tenants et aboutissants.
- Le canal du Mozambique offre à la France des routes maritimes stratégiques au sud de l’océan indien.
- Plus largement, grâce à cette intégration de Mayotte, le droit de la mer va consacrer l’exercice par l’état français, de droits souverains sur plus de 11 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, plaçant la France à la tête du deuxième plus grand état océanique du monde, après les USA.
- Mayotte pourrait devenir une importante zone d’investissement avec l’arrivée de grandes surfaces et l’installation de concessionaires automobiles.
Les élus de gauche et les associations, réunis lundi, dénoncent « la politique de puissance » d’une France prête à tout « pour rester la France des trois océans », une « France qui bafoue le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et qui pratique « la colonisation de consommation » tournée vers l’hexagone au détriment du développement de ces régions.
Les mahorais n’ont rien à y gagner
Loin d’être accueillis fraternellement dans la communauté nationale, nos « concitoyens mahorais », formant le 101ème département vont être gratifiés d’un RMI qui ne sera pas le même qu’en métropole ; il lui sera même quatre fois inférieur. Le SMIC sera également « adapté au sous-développement local ». L’état français va donc briller de sa traditon colonialiste du « deux poids, deux mesures ».
Mayotte est aussi, depuis des années un haut lieu de l’immigration clandestine. Des milliers de comoriens ont perdu la vie en tentant de passer à Mayotte dans leurs embarcations de fortune. Des morts dans l’indifférence totale d’une métropole distante de 8000 kms. Pour les plus chanceux qui parviennent à bon terme, c’est l’expulsion qui les attend ( 16000, rien qu’en 2008).
Autre point, Mayotte va inévitablement devenir un lieu de villégiature pour riches métroplitains, qui amareront leurs yachts devant leurs marinas, entraînant ainsi une flambée des prix et une hausse conséquente du coût de la vie pour les mahorais.
La face cachée du projet
En créant un département de plus, on crée des élus en plus, des députés, des sénateurs. Au vu des résultats du référendum, on peut être certain que l’électorat sera acquis à l’UMP. Ce 101ème département ferait donc partie intégrante du stratégique redécoupage électoral ?
Dernier point, et non des moindres, comme le dit Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint à Alternatives Economiques, et co-auteur (avec Ronen Palan) d’un « repères » sur les paradis fiscaux, c’est évident : « Vous pouvez utiliser les niches fiscales d’outremer pour faire fuir les capitaux, mais ces niches posent aussi la question du blanchiment. Dès que vous ouvrez des portes qui permettent légalement de réduire l’imposition, vous tentez des gens qui ont acquis des fonds illégalement de les réinvestir dans un circuit légal ».
A l’heure où Fillon veut supprimer les paradis fiscaux, départementaliser Mayotte, c’est en légaliser un, c’est offrir la possibilité aux amis capitalistes du président, de continuer, en toute impunité, à magouiller.
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