Najat Vallaud-Belkacem, une rose au Parti socialiste
Najat Vallaud-Belkacem est une de ces jeunes femmes dynamiques que les grands partis républicains s’arrachent, mais pour quel usage ? Fraîchement investie par le Parti socialiste dans la bataille des législatives, dans la 4e circonscription du Rhône, elle s’attend à une campagne difficile mais veut porter ses idées jusqu’à l’Assemblée nationale. Entretien avec la protégée du maire de Lyon, Gérard Collomb.
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MV : Comment êtes-vous arrivée dans le milieu politique ?
NVB : J’ai débuté mon engagement citoyen dans la vie associative, par l’aide aux devoirs et l’implication dans des associations humanitaires comme Pharmaciens sans frontières, dès ma majorité. J’ai entrepris alors des études de droit puis à Sciences po avant de travailler en tant qu’assistante parlementaire pour une députée (NDLR :
MV : Quel a été le déclencheur de votre engagement au Parti socialiste ?
NVB : J’ai toujours été plus qu’une sympathisante et je n’ai jamais douté de mon appartenance à la gauche mais je n’ai adhéré au Parti socialiste que récemment : j’ai pris ma carte après le 21 avril 2002.
MV : Que pensez-vous de l’arrivée des femmes à l’avant de la scène politique ?
NVB : C’est génial ! Il y avait une vraie injustice à réparer qui portait tort à tout le monde. Il était anormal que la moitié de la population soit si peu représentée en politique : on se privait de vraies compétences et de certaines qualités que j’ai la faiblesse de croire « féminines ». Même lorsqu’elles font de la politique, les femmes ont une vie de famille à gérer et des enfants à élever, elles sont du coup plus proches des réalités que ne le sont les hommes. Les femmes sont de façon totalement intuitive plus réfléchies que les hommes : elles prennent davantage le temps de peser le pour et le contre avant de prendre une décision, elles sont moins sanguines que les hommes. La politique est malheureusement trop souvent une histoire de batailles, de coups bas et de violences. Je pense au contraire qu’il faut avoir un esprit serein de consensus afin de trouver les bonnes idées partout où elles sont et de prendre les bonnes décisions.
MV : Comment définissez-vous votre circonscription (NDLR : la 4e circonscription du Rhône) ?
NVB : C’est une circonscription qui a été découpée pour être apportée sur un plateau aux élus de droite, notamment à Raymond Barre en son temps. Elle a de tout temps à Lyon servi aux hommes politiques dont on imaginait par la suite qu’ils auraient vocation à briguer le fauteuil de maire, comme on le voit en ce moment avec Dominique Perben. Une grosse majorité de la circonscription est constituée du 6e arrondissement de Lyon, avec des plus petits bouts dans le 3e et le 8e arrondissement. Les voix de gauche sont diluées par celles de droite. Je trouve en revanche que le Parti socialiste doit faire son mea culpa en la matière car il n’a jamais été très présent dans cette circonscription puisqu’il l’a toujours considérée comme hors de portée. Aux dernières élections législatives, c’est un représentant des Verts qui s’est présenté. Moi, je vais sur le terrain et même si je ne gagne pas en juin, je pourrai m’enorgueillir d’avoir tout fait pour faire progresser les idées et valeurs de gauche aux quatre coins de la circonscription.
MV : Le Parti socialiste penserait-il donc à vous pour la relève éventuelle de Gérard Collomb ?
NVB : Pourquoi pas ? Si je gagne l’an prochain, tout est possible ! (rires) Franchement, je pense que Gérard Collomb a envie de repartir pour un mandat et ne cherche pas à placer ses camarades, il a raison car il a fait du bon travail et cinq ans c’est court pour mettre en place tous ses projets.
MV : Quels sont vos projets pour cette circonscription ?
NVB : Les habitants de ma circonscription sont différents, dans le 3e, le 6e ou le 8e arrondissement de Lyon, donc mes objectifs sont bien sûr différents. Je veux redonner un espoir aux habitants du 8e arrondissement (Mermoz, Laennec, Transvaal), une confiance dans les institutions, les écoles... Mon programme se porte particulièrement sur la question du logement et de l’éducation : deux points sur lesquels les habitant du 8e arrondissement de Lyon sont vraiment touchés. Je veux faire comprendre aux habitants du 6e qu’on peut être de gauche et avoir pourtant des positions viables sur le problème de l’emploi, de l’entreprise, de la croissance : les électeurs de droite du 6e ont l’impression que le Parti socialiste est là pour « flinguer » tous les patrons et mettre à mort l’entreprise. Je veux faire évoluer les mentalités de ces habitants sur ce qu’est le Parti socialiste et sur ce qu’il propose.
MV : Pour vous, qu’est-ce que le Parti socialiste aujourd’hui ?
NVB : Pour moi, c’est le parti le plus moderne, aussi bien sur la question des mœurs que sur celles de la solidarité nationale et des institutions. Nous proposons les solutions les plus acceptables par tous car nous prenons en considération chacune des composantes du corps social. Je comprends que le discours de droite séduise certaines personnes, mais il ne prend pas en compte les catégories les plus pauvres de
MV : Une forme d’ordre juste, en somme, que pensez-vous de Ségolène Royal ?
NVB : C’est mon idole ! (rires) Je pense beaucoup de bien de Ségolène. Je ne fais pas partie de ceux qui, il y a un an et demi, étaient d’ores et déjà convaincus, mais plutôt de ceux qui ont observé, sereinement, son parcours. Je ne peux m’empêcher de la trouver sympathique car je sais quelle force et quels sacrifices la politique demande aux femmes... surtout à ce niveau-là ! Elle ouvre une voie. Et rien que pour cela on ne peut que lui être reconnaissante. Par ailleurs j’aime son franc parler et son sourire éternel.
MV : Quels sont alors vos modèles en politique ?
NVB : Je n’ai aucun modèle. Personne ne me fascine, je respecte ceux qui ont bien réussi mais chacun a sa part d’ombre. En ce moment, je suis admirative devant Ségolène mais on ne peut pas dire que ce soit mon modèle.
MV : Que pensez-vous du rôle du député et de son pouvoir devenu moindre ?
NVB : La façon dont fonctionnent les institutions ne va plus. Le Parlement devrait avoir un rôle bien plus important que celui qui est le sien aujourd’hui, il devrait contrôler le gouvernement. Tout cela ne fonctionne pas : 90% des textes déposés au Parlement sont déposés par le gouvernement, ce n’est pas normal car a priori les 577 députés sont davantage au contact du terrain et ont peut-être de meilleures propositions de lois à faire. Je suis assez d’accord avec les idées qui courent, notamment portées par Arnaud Montebourg, selon lesquelles les institutions doivent être revues. Mais une fois que le rôle des institutions sera revu, le mandat de député est un des plus beaux qu’il soit. Je veux redonner son brillant au statut de député car c’est un des seuls mandats qui permette de rester au contact des gens et de prendre conscience de leurs problèmes, de voter et de proposer les lois qui font évoluer la société et les mœurs et enfin, bien qu’élu dans une circonscription précise, de représenter toute
MV : Vous n’avez pas encore trente ans, vous êtes conseillère régionale Rhône-Alpes et collaboratrice du maire de Lyon, vous voyez sincèrement plus loin que les législatives ?
NVB : Ca peut paraître surprenant mais je n’ai aucun plan de carrière ! Je ne peux pas dire que tout m’arrive par hasard car il faut avoir le déclic pour saisir les opportunités et je peux au moins me reconnaître ce talent, mais je pense néanmoins que la plupart des choses qui me sont arrivées ont été dues à des concours de circonstances. J’ai depuis su montrer mes qualités et mes compétences, c’est pour cela que je suis restée. Mais je ne me suis pas dit en sortant de l’Institut d’études politiques de Paris que j’allais devenir députée après avoir travaillé au cabinet du maire de Lyon et je ne sais pas ce que je vais faire dans un an si je ne suis pas députée.
MV : La politique n’a pas été une vocation pour vous et ça n’a pas été votre objectif, alors pourriez-vous plus facilement la quitter ?
NVB : Je ne considère pas la politique comme un emploi. Je pense que chacun d’entre nous devrait être en mesure d’exercer un mandat. Le vrai problème aujourd’hui est la professionnalisation de la politique, les hommes politiques considèrent normal d’avoir le pouvoir ou de le chercher depuis vingt, trente, voire quarante ans, ce n’est plus possible. Tout le monde doit se mettre d’accord sur ce que veut dire un mandat. Pour moi, cela veut dire qu’à un moment donné l’un d’entre nous considère qu’il est en position, parce qu’il a compris les grands enjeux de la société dans laquelle il vit et qu’il a des solutions à proposer à ses problèmes, de représenter ses concitoyens et de mener à bien des dossiers, des projets... Mais qu’il le fasse pendant la durée de son mandat seulement. Ensuite, s’il est essentiel à la bonne poursuite des dossiers, il peut briguer un deuxième mandat mais que l’on reste toujours dans ce qui est de l’ordre du raisonnable. Personnellement je songe à reprendre un jour une activité professionnelle. Je regrette qu’en France il y ait trop peu de passerelles entre le monde du privé et celui de la politique : de sorte que pour ceux qui se sont risqués en politique, lorsqu’ils arrêtent d’en faire, il leur est très difficile de retrouver leur poste. Cela explique surement pourquoi la plupart se maintiennent en politique...
MV : Vous vous rendez, durant votre campagne, sur les marchés de votre circonscription pour inciter à l’inscription sur les listes électorales et à la participation au débat citoyen et politique, est-ce une démarche citoyenne ou politique ?
NVB : J’aspire à devenir une « députée citoyenne », c’est mon slogan de campagne ! L’un de mes chevaux de bataille est de redonner son sens à ce qu’on appelle
MV : Cette notion de « députée citoyenne » n’est-elle pas un coup de bâton en forme de clin d’œil à vos adversaires (Dominique Perben ou Christian Philipp) qui se partagent d’habitude cette circonscription ?
NVB : C’est une question de conception que l’on a de
MV : Cette conception que vous qualifiée de ringarde est encore en vigueur chez la plupart des hommes politiques. Pensez-vous donc représenter un nouveau souffle en politique ?
NVB : J’ai certes vingt-neuf ans mais j’ai déjà une expérience qui fait que je ne suis pas la « petite jeune » qui arrive sans savoir où elle met les pieds. Je suis surtout quelqu’un qui suit extrêmement respectueuse de ce qui a pu être fait dans le passé et de ce qui a pu marcher : je ne suis pas sans cesse à vouloir réinventer la poudre, je cherche juste à améliorer ce qui a fonctionné. En revanche, mon jeune âge peut signifier quelque chose en termes de renouvellement, d’enthousiasme. On devrait être content que la politique réussisse encore à attirer des jeunes gens comme moi à une période où 60% des Français pensent que les politiques sont tous des « pourris ».
MV : Cette nouvelle manière de faire de la politique passe aussi par les nouveaux moyens de communication. Pensez-vous qu’aujourd’hui la politique est un mélange de décision et de communication ?
NVB : Ma circonscription, qui n’est pas parmi les plus importantes de France, représente plus de 100 000 habitants donc pour tous les toucher, nous devons passer obligatoirement par la communication, notamment avec les médias et tous les supports possibles. Je trouve qu’Internet est un moyen génial de communiquer car on n’est pas tributaire de la bonne volonté des journalistes et on réalise soi-même le support, on s’adresse directement aux lecteurs en recevant aussi directement leurs réactions, à travers les blogs. Mais je ne pense pas que la communication soit une fin en soi ou un moyen de faire de la politique, c’est un palliatif : elle remplace quelque chose qui n’a pas eu lieu avant. Pour prendre une bonne décision en politique, il faut faire participer les principaux intéressés. C’est seulement si ce travail n’est pas fait que les politiques ont besoin de faire appel à de la communication pour faire mieux passer et accepter leurs décisions. Mais si le travail en amont est bien fait, a priori une décision qui est juste et qui a été prise en partenariat avec les principaux intéressés n’a pas besoin de communication pour mieux passer.
MV : Le Parti socialiste suit un changement obligatoire d’orientation depuis 2002, quels sont vos projets d’avenir pour le Parti socialiste ?
NVB : Il y a quelque chose qui me chagrine quand je regarde les évolutions de la société d’aujourd’hui, mis à part les « nouvelles adhésions » du printemps 2006, c’est que les gens ont clairement envie et besoin de s’engager. Il y a de plus en plus de gens qui s’engagent dans les associations, mais en même temps il y a de moins en moins de monde qui se syndique, qui devient militant au vrai sens du terme. Je me dis donc que le problème ne vient pas des gens mais plutôt des structures qui n’ont pas su s’ouvrir. Les associations ont su s’ouvrir car elles sont très souples alors que des structures comme les syndicats et les partis sont trop lourdes, et ils n’ont pas su s’ouvrir à la population, ce qui est un vrai problème. Du coup, si j’avais un projet pour le Parti socialiste, ce serait de réfléchir à comment on peut redonner envie aux gens de l’intégrer. A la base, il y a tout de même une belle idée : se retrouver entre gens qui partagent les mêmes valeurs pour
MV : Les législatives vont découler en partie des présidentielles qui auront lieu un mois auparavant, que pensez-vous du débat politique actuel ?
NVB : Je trouve que Ségolène a eu l’avantage de mettre sur le tapis de vrais sujets : ceux dont les Français avaient besoin et envie de parler : carte scolaire en matière d’éducation ; délinquance dans les quartiers populaires ; démocratie participative... Je suis contente qu’elle ait évoqué tout cela car petit à petit elle a réussi à créer des débats autour de ses idées à elle alors qu’avant qu’elle n’arrive dans le paysage politique, c’était essentiellement ce que racontait Sarkozy qui faisait l’actualité. Or pour moi Sarkozy est un populiste qui ne sait que flatter les pires penchants des Français : le repli sur soi et
MV : En tant que socialiste et en tant qu’immigrée née au Maroc, ne pensez-vous pas que ce duel annoncé Ségolène Royal-Nicolas Sarkozy favorise l’extrémisme, et notamment le Front national, comme alternative ?
NVB : Attention à ne pas être en permanence dans une attitude de justification du vote Front national. Rien ne m’agace plus que cela. On ne peut pas dire que la prédominance médiatique des deux candidats des deux grands partis favorise l’expression d’un vote de rejet qui se porte sur le Front national. Si les gens ne se reconnaissent ni dans l’UMP ni dans le PS, ils ont un large choix entre le centre et la multitude de « petits partis » qui gravitent autour, et qui portent d’autres idées sans nécessairement tomber dans le racisme et la xénophobie.
MV : Pour vous, la meilleure manière de combattre ces idées sont de les occulter, ou de les intégrer au débat politique ?
NVB : De les occulter ! Par exemple, quand Serge Moati reçoit Le Pen en lui déroulant le tapis rouge (NDLR : dans son émission Ripostes du 26 novembre dernier), je ne trouve pas cela normal. Plus on parle du Front national et plus on le banalise, plus les gens trouvent normal de regarder ce qu’il propose et de se tourner vers lui. Et évidemment plus on le regarde, plus Le Pen va utiliser la communication pour se rendre doux comme un agneau. Je crois qu’il faut vraiment arrêter de jouer avec le feu, l’histoire nous a trop souvent appris comme il sait s’embraser rapidement.
Propos recueillis par Maxime Verner à Lyon, le 17 décembre 2006
Son site : www.najat-vallaud-belkacem.com
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