Port Haliguen perdra-t-il son âme ?
De l’impact des impératifs commerciaux sur un vieux port de Bretagne...
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH198/P628-recadree-5b529.jpg)
Charmant petit port de l’est de la presqu’île de Quiberon, Port Haliguen est, depuis des temps immémoriaux, le refuge idéal des navigateurs.
Néanmoins, il faut reconnaître toutefois que l’expansion récente de la plaisance nécessite la mise en place de moyens très lourds pour permettre l’amarrage des nombreux bateaux de plaisance qui fréquentent la côte française. Le critère esthétique n’est pris en compte que depuis peu grâce aux profondes inquiétudes des citoyens qui s’interrogent sur le réel bien-fondé de la dégradation observée, voire de la destruction définitive de criques, anses et rias de nos côtes d’une part, et d’autre part de la confiscation conjointe de sites ancestraux par des organismes commerciaux et financiers sous forme par exemple de « Sociétés d’économie mixte » plus ou moins bien contrôlées pas les politiques locaux... Le corollaire de ces aménagements est souvent l’éviction sans état d’âme des autochtones de leurs lieux de vie. Ces indigènes étant rejetés de facto, puisqu’ils ne peuvent même plus mettre une simple plate dans ce port sans autorisation spéciale et discrétionnaire parce que ces organismes préfèrent retirer des bénéfices immédiats liés à la location d’un superbe yacht appartenant à « on ne sait quelle société offshore »... A cause des coûts élevés, les jeunes Quiberonnais ne pouvant même plus reprendre les biens de leurs parents sont déjà obligés de quitter le pays pour habiter là où c’est moins cher, ne peuvent même plus, en plus, entretenir une simple plate dans le port de leurs aïeux...
C’est une logique dure, économique et commerciale qui
prévaut maintenant et non plus une culture altruiste et solidaire de société maritime bretonne. Si on peut
payer, tant mieux, sinon il faut s’en aller ! Mais où ?
Quant à nous, Quiberonnais de cœur et d’esprit, d’une façon plus modeste, nous nous intéressons à notre « pays » (au sens breton du terme), et donc, plus particulièrement à ce havre de paix et de quiétude qu’est Port Haliguen . Ce lieu, un peu magique auquel nous pensons tous, ou auquel nous avons tous pensé alors que nous en étions éloignés pour des raisons familiales ou professionnelles, mérite qu’on le défende. Sa lumière des petits matins d’été, ou celle des boucailles du « miz du » valent bien qu’on le protège.
Nos élus, bien que mandatés pour surveiller, en notre nom, des organismes dont la finalité est devenue surtout commerciale et qui se moquent bien de notre cadre de vie, sont étrangement absents et silencieux :. Pourquoi ? Par indifférence ? Par désintérêt ? Par timidité ? Par méconnaissance du monde maritime ? Ou alors s’agit-il de concurrence politique et d’échanges de « bons procédés » ? Quant à moi, je pense qu’il y a un peu de tout cela ! Des élections locales vont bientôt survenir, et les inconvénients rencontrés par les indigènes seront un des éléments de choix....
J’ai été élu en tant que membre du Conseil portuaire de Port Haliguen représentant des « usagers » et avec voix « consultative » . Ce conseil va être dissous dans les semaines qui viennent. Tout cela pour rester entre soi pour justement éviter que les « usagers » autochtones ne puissent se rendre compte de la manière dont ils vont être « mangés » ! Le citoyen ne doit pas savoir, ne rien dire et surtout ne pas discuter ! On pense pour lui ! On décide pour lui ! Ce genre de conseil est aussi un de ces comités « Théodule » dont les institutions sont si friandes dans ce pays quand il s’agit de camoufler des actions en cours !
C’est très instructif sur la psychologie, ce genre de conseil : Il y a
ceux qui ne disent rien, parce qu’ils n’ont rien à dire ! Il y a ceux
qui se taisent alors qu’ils devraient
discuter, imposer, défendre, se battre. Il y a les absences remarquées pour
raison d’inimitié et de concurrence
politique. Et il y a ceux qui baillent.
Et c’est comme cela que l’on se retrouve avec des aménagements et
arrangements incompatibles avec la mentalité des gens de mer, ou encore avec
des comptes de résultat très ... discutables ? Et votés à main levée... Sans doute par crainte que l’on s’y intéresse de près et que l’on accorde une attention certaine aux circuits financiers correspondants...
Ca y est, nous y
sommes !
Finie la joyeuse pagaille apparente, finis les paysages et les couleurs changeant au rythme des marrées, et de la lumière du jour, finie la convivialité. C’est « l’Ordre » qui règne, c’est le « rendement commercial », qui prévaut. C’est le règne de la « Norme » ! Bref ! Ce sont les aménagements envahissants de ce monde si « moderne » et si satisfaisant.
Le pire est que ce port des Quiberonnais n’est plus pour eux ! Ni pour les autres non plus d’ailleurs.
Ce port d’accès complètement libre au marin qui le méritait ou qui le désirait, est fermé !
Il faut montrer patte blanche ! Demander l’autorisation d’y entrer - sinon gare ! - et payer ! Bien sûr ! Cela va de soi. Il faut être soumis « à la norme » ! Ce temps de liberté dans la rigueur maritime est révolu.... « Big Brother » a débarqué à Port Haliguen !
Et cela, les Quiberonnais le sentaient venir peu à peu.
Et ce n’est que le commencement ! En effet,
Des pontons vont ceinturer les vieux quais de 1850 aux pierres si soigneusement ajutées et bouchardées par des maçons habiles. Ces pontons vont jouer au rythme de la marée sur des rails en acier rivés à même les pierres de parement qui vont être sérieusement abîmées. C’est dire l’esthétique du paysage que nous aurons sous les yeux !
Ce port aménagé sous l’Ancien Régime pour recevoir les
bâtiments quiberonnais qui commerçaient et pêchaient sur les côtes de France.
Puis selon
La densification des bateaux dans ce vieux bassin sera élevée. Ce ne sera plus ce port de charme que nous avons connu. Ce vieux port à marée, établi dans cette anse de Port Haliguen, où des générations de marins se sont succédé depuis des centaines d’années pour vaquer à leurs occupations de commerce, de pêche, et de navigation sur les côtes d’Europe et d’ailleurs, va perdre son âme sous la décision de technocrates sans états d’âme. Ce paysage si souvent croqué par les artistes qui s’essayaient avec plus ou moins de bonheur à en fixer l’esprit de l’instant présent.
Un port est un espace ouvert sur le vaste monde, C’est aussi une porte vers un pays et une incitation au grand large. C’est un lieu de rencontre. Un endroit où il fait bon se réfugier après avoir « tossé » dans les houles du grand large. Cela les Quiberonnais, comme tous les Bretons, l’avaient compris implicitement depuis longtemps. Ils n’avaient pas besoin de « société de service ou de communication »stipendiées à grands frais pour le savoir ! Communicateurs choisis pour essayer de rétablir ce qui avait été détruit depuis quelques années. En tant que gens de mer, ces Quiberonnais avaient compris la nature et le fond des choses.
« La rade
de Quiberon est aussi vaste que sûre, elle offre partout un bon mouillage :
c’est une espèce de golfe, dont les deux caps les plus avancés sont la pointe
de Quiberon et celle de Saint‑Gildas. Le seul port de Quiberon est le port
Haliguen, fermé par un môle en pierres sèches et ne pouvant recevoir que des
bâtiments de cent cinquante à deux cents tonneaux.
Quiberon était riche et peuplé de bons navigateurs.
Des vingt-deux villages que contient la presqu’île les Anglais en brûlèrent
onze, en 1746, ainsi que tous les bâtiments qu’ils trouvèrent dans les havres
ou à la côte ; à peine, depuis ce temps, a-t-on pu rebâtir les villages ; et
aujourd’hui la petite marine de Quiberon, réduite à trente six chasse- marrées
ne reviendra de longtemps à l’époque brillante où, avec ce même nombre de
chasse-marées, elle mettait en mer jusqu’à quarante bâtiments de soixante à
deux cents tonneaux.
Ogée, Ingénieur Géographe
Dictionnaire historique et géographique de la province
de Bretagne.
(sans date, postérieur à 1777, antérieur à 1789) tome
II, p.388 »
Le tourisme, cette manne providentielle a clos cette ère-là
dès après
Il n’y a plus le risque de se faire prendre dans les Béniguets par quelque corsaire de Jersey ou d’ailleurs pour être rançonné. Il n’y a plus le risque non plus de se retrouver prisonnier à fond de cale sur un ponton ancré dans le Solent parce que l’on a fait une mauvaise rencontre sous Houat. Et c’est heureux.
Port Haliguen ne craint plus depuis longtemps les descentes des « Tuniques rouges » de l’amiral Lestock qui ont mis à sac la presqu’île, pillant et saccageant tout, brûlant le reste, tout ce qu’ils n’avaient pu emporter. C’était à Port Haliguen qu’ils avaient débarqué, la crique étant déserte de ses habitants dès que les premières toiles étaient apparues sur l’horizon. Ils sont venus piller et mettre à sac ici car les Lorientais avaient eu l’habileté de les faire rembarquer à Larmor grâce à un subtil stratagème destiné à compenser une infériorité militaire. Tout cela parce que le Premier ministre anglais - William Pitts - voulait « ruiner le commerce lorientais » ! C’était en 1746...
Maintenant, les Quiberonnais accueillent les descendants de ces marins venus d’outre-Manche, ils sont en short et disent « Just looking !... » dans les boutiques.
Port Haliguen a vu mouiller le Bonhomme Richard commandé par la célébrité de la jeune marine des Etats-Unis, Paul Jones. Lamotte-Piquet, reconnaissant le pavillon des Insurgents, a salué au canon ceux qui - malgré vents et marées - sont restés jusqu’à présent nos amis.
Maintenant, les bateaux restent au port, sagement rangés dans leur anonymat tout comme une automobile dans un quelconque parc à voitures.
Oui, l’anonymat !...
Il y a peu, ce port était un endroit où - tout comme dans de nombreux ports de Bretagne - le jeune néophyte écoutait le vieux marin. Où - gratuitement ! - on entendait les conseils éclairés d’un vieux capitaine, où le vieux navigateur apprenait au gamin à gréer une ligne, à épisser un œil sur un bout... Apprenait surtout à prendre le vent d’où il venait et la mer comme elle est ! Port où des générations de marins ont appris à godiller dans un « canott’ », à pêcher le « gorlazo », à apprendre le savoir-faire et le savoir être de base du marin.
La meilleure école maritime en quelque sorte ! C’est là que de nombreuses vocations maritimes sont nées.
C’était un coin de Bretagne où le touriste, en humant l’air, était ébloui par la lumière du midi, et se disait qu’il y viendrait bien finir ses jours...
C’était ce port où le pêcheur habile débarquait ses caisses de poisson sous les cris des goélands si prompts à prélever leur dû !
Sur les quais, et c’était il y a si peu de temps, des groupes d’anciens en bleu, à bérets
basques, racontaient leurs campagnes... Certains avaient « fait »
Voici ce que nous avons perdu ! Et maintenant ? Quel avenir ? Une multinationale à fonds de pension peut-être ? Eh bien, ce sera celui que nous ferons, si l’indifférence, la cupidité, l’irrespect passent par-dessus bord !
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