L’exemple de la Fnapcm et de la politique menée depuis quelques mois par son Conseil d’administration illustre de façon symptomatique l’effervescence actuelle du monde de la pizza et ses dérives, n’en déplaise aux puristes.
Jusqu’à présent, les cadres de la Fnapcm agissaient dans l’intimité préférant les amuse-bouche servis dans les salons cossus de la Chambre de Métiers de Marseille, les réunions prosaïques des cabinets préfectoraux où, vaille que vaille, ces dernières années, des progrès ont été accomplis pour la défense des intérêts de ses adhérents. A présent la Fnapcm tente, elle aussi, de suivre, comme elle le peut, le rythme infernal insufflé par une nouvelle génération de pizzaiolos aux ambitions démesurées.
Dès la fin de l’année, une école de formation pour adultes au métier de pizzaiolo devrait voir le jour à Marseille sous caution de l’honorable institution. La presse spécialisée s’en fait l’écho. Une école gérée par une association crée pour la circonstance, où les principaux cadres de la Fnapcm n’apparaissent pas, notamment ceux chargés de l’enseignement. On ne saura sans doute jamais dans quelle proportion la législation interdisant aux dirigeants d’une association de percevoir sous quelque forme que ce soit une rémunération de leur association a pu influencer un montage juridique aussi extravagant.
Quel est le nom de cette association ? Qui en est donc membre ? Quel retour financier pour la Fnapcm ? Quel contrôle les membres de la Fnapcm peuvent ils exercer sur cette structure ? Voila autant de questions actuellement sans réponse que seraient en droit de poser les centaines d’adhérents du syndicat marseillais. D’autant que ce projet a été évoqué en catimini lors de l’Assemblée générale annuelle du 17 novembre 2008.
Nous n’avons qu’une exigence : que l’on nous explique les choses simplement. Comment se fait-il que la Fnapcm ne soit pas le principal membre de la nouvelle structure comme une association mère est, en principe, partie prenante dans ses filiales ? Or, le montage juridique choisi par les initiateurs de ce projet fait apparaitre une structure étudiée et élaborée pour fonctionner de façon totalement indépendante sans contrôle des adhérents de la Fnapcm. La Fédération, en tant que personne morale, ne servirait-elle pas exclusivement de caution morale, et d’outil de promotion au cœur d’un projet qui apparait comme l’initiative personnelle d’une poignée de privilégiés ?
Y a-t-il plus insupportable que celui qui se pare des vertus de la philanthropie pour donner des leçons de civisme et d’abnégation à ses semblables, en mettant parallèlement en œuvre des projets intimistes servis et couverts par un syndicat jouissant d’une dimension sociale, culturelle et historique sans équivalent dans la pizzeria française ?
Mais ce n’est pas tout. Dernièrement, dans le journal de l’Hôtellerie, (2) Luc Gaston Garcia, président de la Fnapcm, expliquait que cette école visait l’intérêt commun de la pizzeria et de ses artisans en travaillant notamment sur l’élaboration d’un programme de Cap de pizzaiolo. Selon lui, un Cap ne pourrait voir le jour avant un délai de cinq années eu égard l’extrême complexité des moyens à mettre en œuvre.
Il est important que les mots ne manquent pas à leur fonction de désignation précise et adéquate des choses, sinon, ce serait promouvoir l’indécence en la nommant par les termes destinés à l’excellence. Il y a, en effet, de quoi être sidéré en lisant de tels propos notamment lorsque l’on a, comme nous, rédigé le référentiel servant de base au programme de cette école, et personnellement assisté à la dernière assemblée annuelle du lycée Corot, au cours de laquelle ce programme a été présenté pour servir de support à l’élaboration d’un Cap de pizzaiolo. Durant cette assemblée, il est apparu que la mise en œuvre à très court terme d’un Cap de pizzaiolo n’avait rien d’utopique en l’accolant tout simplement à un module déjà existant (boulangerie, pâtisserie, cuisine etc.) Quelle raison justifierait le gaspi de cinq longues années pour mettre en place ce Cap alors que rien ne s’y oppose sinon quelques tracasseries administratives tandis que la mise en œuvre d’une école destinée aux adultes occupe depuis des mois l’essentiel de l’activité du bureau de la Fnapcm ?
Qu’on ne s’y trompe pas. Le but de ce billet n’est pas de jeter l’anathème sur un syndicat que nous respectons, qui a montré dans le passé à quel point il est légitime et utile. Mais de rappeler les enjeux et les risques d’une gestion désinvolte au moment où l’offensive des groupes italiens et leurs vassaux pour conquérir le marché français, et l’occuper de façon quasi monopolistique est en passe d’aboutir. (3) En face, le seul syndicat de la profession qui puisse freiner cet élan semble complètement largué, cohébergé dans un cagibi de la Maison de l’Artisanat, rasant les murs, s’excusant constamment d’avoir à s’essuyer les pieds avant d’entrer, où une secrétaire employée à mi temps occupe le principal de son temps à comptabiliser les cotisations des nouveaux candidats à l’Eldorado du camion pizza. Il est loin le temps des Coco Girls, où la Fnapcm se payait le luxe d’organiser des tombolas avec automobile à la clef au profit de ses membres, ou les immeubles du Vieux-Port s’illuminaient de son célèbre logo. Aujourd’hui, grâce aux palabres de ses cadres les adhérents de la Fnapcm bénéficient d’un code NAF, et de tarifs préférentiels sur les bouteilles de gaz. La belle affaire !
Notre profession a besoin de projets collectifs. Elle a besoin de mettre en place une alternative aux succès grandissant du marketing italien qui tient les pizzaiolos en camion dans son collimateur et ne s’en cache pas. Il y a surement autre chose à faire qu’à confondre gestion saine et thésaurisation (4) à défaut d’un meilleur emploi ou de projets ambitieux. Comment se fait-il que les boulangers (36.000) soient si bien représentés devant les chambres de Métiers alors que les pizzaiolos (20.000) ne représentent qu’un élu sur toute la France ?
Comment se fait-il qu’au bout de trente années, les 5000 artisans pizzaiolos en camion ne bénéficient toujours pas du droit au renouvellement de leur bail ou d’une protection similaire comme tous les artisans et les commerçants ?
Pouvons-nous discerner dans notre réel quelques prémices qui feraient que, d’une manière ou d’une autre, la Fnapcm est en train de passer à côté de quelque chose d’essentiel. Nous devons reconnaître la singularité de la situation, et pour donner un sens à cette reconnaissance, nous devons fonder une dialectique entre le bilan trentenaire de la Fnapcm, et la critique légitime du présent, dans le but de mettre en lumière, non seulement l’inertie de son Conseil d’administration, mais aussi les fils multiples qui relient ce que la Fnapcm a les moyens de faire pour la pizzeria, ce qu’elle ne fait pas, et ce qui est en cours d’être fait par les fricasseurs d’héritage qui la conduisent.
Thierry Sanchez
- http://www.lhotellerie-restauration.fr/hotellerie-restauration/articles/2008/3081_15_Mai_2008/Trois_milliards_de_pizzas_consommees_par_an.htm
- http://www.lhotellerie-restauration.fr/journal/restauration-pizza/2009-04/Luc-Gaston-Garcia-milite-pour-un-CAP-pizzaiolo.htm
- La Scuola Italiana Pizzaioli, l’une des groupes d’écoles de pizzaïolos parmi les plus connues d’Italie, s’implante en France en ouvrant l’EIPIZ, L’Ecole italienne de Pizzaiolo animée par le multiple champion du Monde G. Bertuzzo
- Selon une source bien informée, la trésorerie en cours de la Fnapcm serait d’environ 80.000€