Sciences Po occupé : L’envers du décor
C’était hier. Alors que Sciences Po s’y préparait depuis plusieurs jours, « l’invasion » (copyright Le figaro) a finalement eu lieu. Pourtant, des contrôles stricts à l’entrée de l’établissement avaient été instaurés sur injonction du directeur et missionnaire du gouvernement Richard Descoings, qui en avait profiter pour engager des vigiles d’une société privée afin de contrôler les allées et venues de ses étudiants.
Malgré ce dispositif visant à éviter la prise d’une proie symbolique et facile d’accès pour le mouvement des enseignants-chercheur, une brèche fut finalement ouverte de l’intérieur le mardi 17 mars et une trentaine d’enseignants et d’étudiants universitaires réussirent à entrer dans le bâtiment principal de l’institution peu après 17h. Provenant en majorité de quelques universités parisiennes, notamment Paris-III et Paris-VIII, c’est dans un certain calme qu’ils déployèrent très rapidement dans le hall une bannière demandant la dissolution de « tous les IEP ». Après avoir assuré le spectacle en Péniche devant des étudiants en majorité amusés, les universitaires se dirigèrent vers l’amphithéâtre principal de SciencesPo afin d’y empêcher la tenue d’un cours qui devait être assuré par Olivier Duhamel sur les institutions politiques. Prenant place sur l’estrade et refusant les propositions de médiation du professeur et de l’administration, leur tentative d’amorcer une assemblée générale entraîna le départ de la majorité des étudiants et une première vague de quolibets. Dans une ambiance moins décontractée qu’au départ, certains étudiants de première année supportant mal de voir leur égérie éjectée manu militari de l’amphithéâtre, une tentative de « cours alternatif » fut vite avortée et les étudiants de Sciences Po progressivement évacués d’un batîment désormais bloqué. Les journalistes se massaient en même temps que les gendarmes mobiles aux portes du 27 rue saint guillaume et le coup semblait réussi pour des universitaires qui venaient d’offrir une vitrine médiatique nouvelle à un mouvement qui s’enlise depuis près de deux mois, sans cependant que l’indifférence affichée par Sciences Po et ses étudiants envers leur mobilisation ne semblasse avoir été brisée.
Si factuellement il ne ressort rien de bien passionnant de ce « non-événement » à la portée médiatique pourtant franche (l’AFP en a fait une dépêche, suivie par des articles dans libé, le figaro, le parisien, rue 89 et on en passe...) et dont le bilan se réduit à une cheville foulée pour le responsable associatif de Sciences Po et une évacuation dans le calme vers 20h30, il n’en reste pas moins que cette journée fut l’occasion de faire l’amer (re)découverte d’un fossé (symbolique ou réel) existant entre le monde universitaire et Sciences Po.
En effet, et si aucun dégât matériel n’a pu être constaté, ni aucune violence physique exercée, le climat entre universitaires et « pipoteurs » n’en fut pas moins tendu tout au long de l’action, et les préjugés firent constamment barrière au débat. Les minorités s’emparèrent rapidement de l’événement et aux arrachages de banderoles par des militants UNI en trench et chemise répondirent des doigts d’honneur tags divers de la part d’autonomes bière à la main : l’affrontement sombra vite dans la caricature, caricature dont n’hésitèrent pas à s’emparer les deux « camps » pour mieux décrédibiliser l’autre, jusqu’à atteindre une violence verbale extrême.
Ainsi, les manifestants profitèrent des réactions disproportionnées de certains étudiants de Sciences Po aux codes vestimentaires très soignés pour reprendre les traditionnels reproches effectués à l’institution (élitistes, fils de bourges, consanguins...), reproches qui ne surprirent personne tant ils avaient été ressassés par le passé. Cependant la réaction des étudiants de Sciences Po fut plus étonnante. Une majorité de ceux qui étaient restés dehors, dans l’attente d’une hypothétique réouverture, commença à scander des slogans à l’élitisme caricatural mais néanmoins assumé. De l’inoffensif et potache « Cac 40 Cac 40 » au plus douteux « On payera votre RMI » en passant par un « Dégagez-les, chargez-les » adressé aux forces de l’ordre, la violence verbale dépassa très vite l’auto-dérision initiale, certains n’hésitant pas à dépasser la ligne jaune. C’est alors un mépris très majoritaire et clairement assumé qu’affichèrent les étudiants de sciences po non seulement vis à vis des personnes présentes mais aussi du mouvement contestataire dans son ensemble. Élitisme exacerbé et destructeur ou simple provocation immature ? Le fait est que les étudiants ne sortirent pas grandis d’une dérive qui les amena a applaudir l’arrivée des forces de l’ordre dans leur immense majorité et à tenir des mots très durs tant dans la réalité que sur un réseau social très utilisé par les étudiants, facebook. S’il faut se demander à quel point ces propos sont représentatifs, il n’en reste pas moins que les statuts allant d’un gentille condescendance à un franc mépris injustifiable (« please, c’est donner trop de crédit à des conneries mal rasées et pas lavées... ») en passant par un je m’en foutisme exaspéré (« on aurait pu les dégager plus tôt, je vais encore avoir un rattrapage à 8h... ») ont été légion, sans que ne soit véritablement abordée à aucun moment la question du mouvement universitaire et des potentielles conséquences des mesures prises par Pécresse et Darcos. Prolongeant ainsi l’esprit dans lequel les étudiants avaient accueilli la mobilisation de leur camarades, ces mots très durs se sont multipliés tout au long de la soirée, comme les éphémères « groupes anti-blocage ».
Profiter d’un événement certainement contestable mais à la portée politique indubitable pour saisir la balle au bond et se poser des questions de fond, plutôt que de s’attarder avec une frivolité assumée mais non moins dérangeante sur le physique et les habits d’enseignants et étudiants qui n’ont fait que tenter d’apporter un nouveau coup de projecteur à leurs revendications en « envahissant » ce qui reste pour eux un palais inaccessible et symbole d’un élitisme égoïste et décomplexé, aurait permis tant aux étudiants qu’à l’administration de Sciences Po de continuer à se défaire des préjugés que se font une grande partie de la communauté universitaire sur les IEP. Ce sera pour une autre fois.
Faut-il voir dans ces réactions le signe d’un élitisme ignare et méprisa(ble)nt ? Tant l’absence totale de mobilisation au sein de SciencesPo sur la question de la réforme des universités depuis la LRU que l’existence très limitée de ponts entre la fac et Sciences Po semblent accréditer la thèse d’un coupable désintérêt pour une question primordiale pour une immense partie des membres de leur génération. Cela veut-il dire que Sciences Po ne serait qu’un vase clos, alors même que tous les médias s’empressent de vanter les politiques d’ouverture de son directeur Richard Descoings, lui même issu d’un milieu modeste ? Sans qu’il soit ici question de trancher sur cette question, la réaction de toute une tranche des Sciencespotards lors de cette occupation remet en cause bien des espoirs que l’on était en droit de fonder sur l’évolution de cette "fabrique des élites".
Pour des vidéos de l’occupation :
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