Sein, l’île hors du temps
Rendue célèbre tant par ses récifs que par ses récits, l’île de Sein est un bout de roche au milieu des mers, tantôt bercée par la plainte d’une chanson éolienne, entêtante comme une sourde menace, tantôt assourdie par les cris furieux des tempêtes aux voix hurlantes qui s’y engouffrent sans parvenir à effrayer le réseau solidaire des ruelles groupées que les hommes ont bâti. Point d’origine de toutes les aventures et de tous les périls, la petite île, la rescapée des mers dont elle fut autrefois submergée, survit au bout du monde, au large du Raz.

Sentinelle avancée jusque sous le nez de l’ogre océanique qui ne la voit pas et ne peut l’engloutir, bout de terre affleurant le niveau de la mer, petite tache portant le costume sombre de ses habitants, cette terre bretonne prise entre ciel et mer se dessine au large de la pointe du Raz. L’île de Sein est à elle seule une légende.
« l’Île de Sein est donc le quart de la France ! » (Charles De Gaulle, 1940).
L’histoire de bout de terre qui paraît hésiter entre la terre et la mer ne se dépare pas de sa légende. Mais la grande Histoire atteste le courage des Sénans qui partirent tous dès l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle. Les 129 pêcheurs de l’île rejoignirent, en Grande-Bretagne, la France qu’ils savaient trouver là-bas. En quelques jours, ils formaient le quart des effectifs de la France libre à Londres.
"Parlaient-ils français, parlaient-ils breton
Peu vous importait alors la question ;
Ils avaient entendu l’appel,
Crié : "kentoc’h Mervel"
Peint "Frankiz" sur leur ciré
C’est offense, Grands de France
Que de condamner leur langue au bûcher."
(Tri Yann, Sein 1940)
Sein, terre de deuil
"Qui voit Sein voit sa fin". "Nul n’a franchi le Raz sans connaître ni peur ni dégâts". Les proverbes ne mentent pas. Et l’écrivain Anatole Le Braz relate dans La Légende de la mort chez les Bretons armoricains : "Quand on fait remarquer aux femmes de l’île de Sein combien leur cimetière est étroit, elles vous répondent par le dicton suivant : Etré an Enez hac ar Beg / Eman berred ar gwazed ("Entre l’île et la Pointe [du Raz] est le cimetière des hommes").
Le cimetière est partout. Celui des épaves de bateaux aussi. Mais les vivants sont solidaires : l’Histoire nous rappelle les sept cents naufragés accueillis en 1796 sur une île en proie à la disette.
Quelques femmes portent encore le
"jibilinenn", la coiffe noire de deuil adoptée en 1886 lors de la dernière
épidémie de choléra. La jeune fille de la photo porte le sombre costume de l’île de Sein. Elle a été sacrée Reine de Cornouaille 2006. Depuis 1923, le Festival de Cornouaille a sacré soixante-treize reines. Une seule, dans les années 20, a porté le costume sénan.
"Ma p’tite îlienne aux grands yeux noirs
Cheveux d’ébène qui brillent le soir
De toutes les femmes du Finistère
C’est elle qui a bouleversé mon cœur
Ni p’tite ni grande, au pied mignon
Je ne sais d’elle même pas son nom
Mais je ferai le tour de l’île pour la revoir
Ma p’tite îlienne aux grands yeux noirs".
(Chanson populaire de l’île de Sein. Auteur inconnu)
L’île de Sein, Dieu et ses saints
Quand il s’est agi d’évangéliser ces terres hostiles et leurs rudes habitants, peu de prêtres se portèrent volontaires pour résider sur place. En 1614, don Michel Le Nobletz se dévoue et vient sur l’île. Avant de repartir sur le continent, il a le temps de former François Guilcher aux connaissances religieuses. Ce disciple réussira à réunir les îliens à l’église le dimanche et à leur faire réciter des prières. Le livre de Henri Queffélec, Un recteur de l’île de Sein, s’inspire de cet événement. Il a été porté à l’écran par Jean Delannoy sous le nom Dieu a besoin des hommes.
Un recteur de l’île de Sein d’Henri Queffélec fut porté à l’écran. Extrait :
"Ils piquaient droit sur l’île, mais ils ne la voyaient pas encore. Quel miracle cette île ! Combien il avait raison M. Pennanéach, le dernier curé, de soutenir que tous les enfants de l’île devraient porter, comme second prénom, celui de Moïse sauvé des eaux. L’île de Sein, ni plus ni moins que la corbeille de Moïse, avait été protégée par Dieu. Elle eût dû mille fois couler sous la mer. Elle défiait les éléments, cette petite chose plate, ce récif maigre et venteux, elle était dans la mer comme Jonas dans la baleine, comme Daniel dans la fosse aux lions. C’était miracle qu’une fois pour toutes, un beau jour, les flots ne déferlent pas dessus, ne l’arrachent, ne l’entraînent pas dans les abîmes, et le miracle, à chaque instant, se poursuivait. Derrière l’horizon, dans cette mer qui ne semblait plus être que le flot et le flot, l’île vivait, l’île était heureuse. Ce n’était même pas la vie obtuse des marins dans des soutes, mais la vie hardie et salée du pont et du plein air. Chaque fenêtre ouvrait sur le ciel, la porte de chaque maison ouvrait sur la terre ; les vents, les pluies, le soleil, les oiseaux, existaient pour l’île." (Un recteur de l’île de Sein / Henri Queffélec. Paris : Bartillat, 2007)
Anatole le Bras, dans Un voyage à l’île de Sein, écrit dans les années 20 que chaque recteur peut implanter le saint qu’il veut. Les îliens rapportent régulièrement du continent de nouveaux saints, au gré des modes, mais aussi des nouveaux périls qu’il leur faut affronter.
"Ar Men", l’Enfer des Enfers
Ar Men, le phare portant le nom de "la pierre" sur laquelle il se dresse, fut surtout surnommé l’"Enfer des Enfers" par les gardiens de phare, car au milieu de l’enfer des éléments déchaînés au milieu de nulle part, il y a encore un enfer plus effroyable !
La construction relevait de l’impossible, ce fut une épopée. Les travaux commencent en 1867. Il a fallu d’abord percer des trous dans la roche, pour y sceller des barres de fer afin de fixer la maçonnerie devant servir d’assise à la construction. Pour ce faire, l’ingénieur Georges de Joly a recruté (difficilement) et entraîné une équipe de Sénans. Dès que le temps et la marée sont favorables, les ouvriers, équipés d’espadrilles antidérapantes et de ceintures de sauvetage en liège, débarquent sur la roche par équipes de deux, et sont souvent contraints de s’y coucher pour ne pas être emportés par les vagues qui déferlent sur eux. D’une main, ils se cramponnent à la roche, de l’autre, ils percent fébrilement à l’aide d’un marteau. Un canot reste en permanence à proximité pour récupérer les malheureux qui, de temps à autre, sont jetés à la mer. On ne déplorera qu’un noyé.
Prochainement se tiendra le Salon du livre insulaire qui existe depuis 1999. Il est organisé chaque année par l’île d’Ouessant (Finistère). Pour en savoir plus, cliquez sur le lien ci-dessous :
Actualités : le Salon du livre insulaire du mercredi 22 au dimanche 26 août 2007
Pour aller plus loin :
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