Cela fait 55 ans que le peuple algérien avait décidé de recouvrer son indépendance. C’était le moment héroïque d’une nation qui voulait éclore au grand jour de l’histoire. Les hommes et les femmes qui en furent les acteurs auront accompli la plus grande œuvre politique de ce peuple depuis plusieurs siècles. Ils l’auront ainsi arraché à sa servitude et lui auront offert les conditions pour se constituer en Etat indépendant.
Un avenir « radieux »
Le mouvement général vers la libération des peuples, les discours anti-impérialistes du camp progressiste, les changements géostratégiques à la suite de la deuxième guerre mondiale, et d’autres événements encore de dimension planétaire avaient sans aucun doute contribué à la révolution algérienne. Il n’empêche, la prise de conscience et la volonté des hommes ont été les facteurs déterminants.
Avec cet affranchissement historique, tous les espoirs étaient permis. L’Algérie était un grand pays, aux ressources naturelles abondantes et surtout, armé d’une extraordinaire mobilisation d’une population prête aux sacrifices pour consolider sa liberté.
Dans ces années-là, le monde vivait les soubresauts de la guerre froide mais aussi la fabuleuse expansion économique. Le progrès était partout. Les peuples se libéraient, le colonialisme reculait. La science et la technologie reculaient les limites du possible. La lune, au sens propre et figuré, était devenue accessible ! Au-delà de ce qui semblait être des obstacles à franchir (éducation, industrialisation, acquisition de la technologie…), les Algériens voyaient au large, un horizon serein, plein de promesses. L’humanité progressait à grands pas, et l’Algérie se devait de rattraper son retard pour être au diapason du progrès.
La génération de Novembre, celle qui venait de libérer le pays et qui s’etait attelée à le conduire, était décidée à construire l’Etat qui devrait désormais « survivre aux hommes et aux événements », à bâtir une économie puissante en se lançant dans l’industrie industrialisante, à former les nouvelles générations, à éduquer le peuple… Les atouts étaient là : la volonté, le nationalisme, l’ambition, les défis, les victoires…
Grâce à la révolution technologique dans le monde, le ciel était dégagé devant l’humanité et il n’y avait aucune raison pour que l’Algérien n’atteigne pas le niveau de vie dont profitait alors les peuples du monde développé. L’ère de l’émancipation de l’homme et de la maîtrise de l’acier était inéluctable pensions-nous. L’Algérie méritait sa place au soleil. Elle allait la conquérir à la force de ses poignées et par la grâce… de son pétrole. Elle allait acquérir ainsi usines clefs en main, technologie et développement…
La transmission inéluctable du « flambeau »
Un demi-siècle plus tard, les hommes du premier Novembre approchent du moment fatidique où ils devront remettre le pays entre les mains de la nouvelle génération. Mais avec quel viatique, avec quelle perspective ?
En ce 55ème « premier novembre », laissons de côté, pour une fois, les bilans internes et regardons dans quel monde l’Algérie devra évoluer dorénavant ; quel parallèle pourra être fait du monde qui nous entoure entre le moment où la génération de novembre a libéré le pays et celui où elle devra le remettre à ses héritiers.
Tout d’abord, précisons d’emblée que quelque soit le mode opératoire de l’inéluctable - et proche - « transmission du flambeau », la nouvelle génération aura à conduire le pays selon sa propre perception du monde et non pas selon le regard de ses prédécesseurs ; un monde nouveau qui se réorganise sous nos yeux. Notre capacité en tant que nation à le comprendre et à se donner les moyens pour y survivre est de ce fait, capitale.
C’est que l’horizon si clair des années 60 s’est lourdement assombri. Dans les mois et années à venir, l’humanité devra réviser, dans la douleur semble t-il, ses ambitions. La volonté nietzschéenne du surhomme, de la volonté de puissance de l’homo occidentalis, archétype absolu de l’homme moderne, est en passe de devenir le cauchemar du monde. Les Cassandre avaient raison et le modèle économique de développement occidental, celui qui a été construit sur l’exploitation extrême de la nature et en particulier de l’énergie fossile, est en phase de dépôt de bilan. La situation est maintenant extrêmement grave. Le monde s’oriente désormais vers des changements fondamentaux et un remaniement complet de la civilisation telle que nous la connaissons, sous les contraintes de la finitude de notre planète. L’homme est entrain de prendre conscience que la croissance indéfinie sur laquelle est assis l’ensemble du système économique mondial a été une illusion fatale. C’est de notre responsabilité de citoyens de réfléchir à la manière de mener la transition qui durera probablement une génération vers une ère absolument nouvelle.
L’ampleur des changements qui surviendront dans le proche avenir aura des conséquences à peine croyables sur la vie des hommes et des nations. Les multiples conflits chroniques et dévastateurs qui vont en résulter et qui s’étaleront sur quelques décennies ne seront pas la moindre des menaces. Certains parlent désormais de l’ère de l’hyperconflit à venir qui ferait ainsi suite à la fin de l’hégémonie de l’hyperpuissance américaine.
Les trois contraintes stratégiques
En effet, trois contraintes stratégiques majeures se dressent face à la civilisation occidentale et donc face au modèle du développement humain en cours sur la planète :
1) L’inévitable fin du système financier mondial actuel, intimement lié au sort, déjà scellé, du dollar américain : l’effondrement du dollar, donné par une multitude d’études extrêmement sérieuses et fouillées comme inéluctable et relativement à court terme (quelques mois à quelques courtes années) aura des conséquences planétaires. Le désordre financier épouvantable qui s’en suivra frappera de plein fouet les économies de toutes les nations. L’embellie actuelle des places boursières, largement artificielle car en déconnexion complète avec l’économie réelle, ne peut cacher la faillite en cours, de centaines de banques et organismes financiers (plus de 100 déjà rien que pour les 9 premiers mois de 2009 aux USA), de certains Etats (Californie en tête de liste, Islande, Irlande, Grande Bretagne…), et des millions de ménages tant aux USA qu’en Europe et ailleurs. Pourtant, les Etats ont soutenu à bras le corps leurs institutions financières depuis le début de la crise. Malgré l’injection massive et inouïe de près de 2400 Milliards de dollars par l’Etat américain (grâce à la planche à billets) et presque tout autant par les Etats de l’union européenne, la Chine, la Russie, les pays pétroliers du Golfe…, la machine économique et son corollaire, la croissance, n’ont toujours pas bonne mine. Beaucoup de spécialistes financiers considèrent que le dollar tombera rapidement à 0,5 euro et moins encore, anéantissant du coup les valeurs américaines ainsi que les réserves en dollars du monde entier, tout en étranglant les pays exportateurs (Chine, Japon, Allemagne…).
2) La prévisible fin du Pétrole. Si le monde a encore devant lui quelques décennies pour voir s’assécher totalement ses puits de pétrole, il est toutefois établi que nous sommes déjà dans l’après peack oil. Désormais, il n’est plus possible pour l’industrie pétrolière d’augmenter sa production. Tout au contraire, elle entame son déclin définitif. Sachant que la croissance économique nécessite par ailleurs toujours plus de pétrole d’une année sur l’autre, la demande mondiale dépassera rapidement l’offre en hydrocarbures. Les tensions sur le marché de l’énergie s’exacerberont progressivement jusqu’à devenir insoutenables. Bien qu’officiellement l’Algérie réfute l’horizon limité à 15-20 ans pour sa propre production, il n’en demeure pas moins que la production mondiale en hydrocarbures a atteint son pic, selon des études récentes, entre 2005 et 2008. D’ailleurs, l’explosion du prix du pétrole durant le dernier semestre 2007 et le premier semestre de 2008, culminant à près de 150 USD en juillet, est in fine due à ce passage délicat où la moitié des réserves en hydrocarbures dans le monde a été consommée. L’ère du pétrole à bon marché est définitivement close. Et si les prix du baril se sont affaissés fin 2008 en écho à la crise financière et économique mondiale, ils repartiront de plus bel dès les premiers frémissements d’une reprise économique mondiale (essentiellement des pays émergents, Chine, Inde, Brésil…) mais qui se heurtera à nouveau au renchérissement du marché pétrolier qui suivra. Nous le voyons bien actuellement, malgré la timidité de la reprise -si reprise il y a-, le prix du baril reprend du poil de la bête (à plus de 80 dollars fin octobre). A partir de ce moment-là, les prévisions sont encore hésitantes. Y aura-t-il malgré tout, une reprise économique significative, suivie d’un nouveau choc des prix, puis en contre coup une nouvelle récession avec baisse des prix pour cause de recul de consommation, puis de nouveau reprise… ainsi de suite avec des oscillations sur une courbe dont la pente serait descendante ? Ou alors y aura-il d’emblée une récession définitive, longue et chaotique menant le monde vers la décroissance définitive ?
Peu importe le scénario exact, le fait est que le monde entre dans une nouvelle phase d’un reflux général qui engendrera des tensions et des conflits multiples. Les conséquences sont loin d’être maîtrisées. Les besoins énergétiques mondiaux des prochaines décennies ne pourront plus être comblés par les seuls hydrocarbures, pétrole et gaz, ni par les autres sources d’énergies fossiles tel que le charbon ou les schistes bitumineux. Ni l’énergie nucléaire, ni les autres énergies alternatives ne sont en mesure aujourd’hui de remplacer le pétrole ni à terme. En particulier, le secteur des transports sur lequel est construite la mondialisation en dépend à 95% et le renchérissement inévitable et continu du prix du baril paralysera progressivement tout le système. Les compagnies aériennes commencent à souffrir sérieusement du coût du kérosène et des pertes colossales s’accumulent (4,5 milliards de dollars au premier semestre 2009 pour les compagnies aériennes américaines). Peu à peu, le transport aérien se rétractera pour devenir un mode de transport très restreint et sélectif. Par ailleurs, le parc de voiture évalué à près d’un milliard d’unités dans le monde qui fonctionne aux carburants dérivés des hydrocarbures est tout simplement non adaptable tel quel à la nouvelle réalité. Ni les moyens industriels, ni la disponibilité des matières premières, ni la finance déjà très affaiblie, ni la maîtrise des technologies employant les énergies alternatives ne permettront un tel réajustement, c’est-à-dire un remplacement général du parc automobile en temps voulu. Dès lors, le coût prohibitif des déplacements et des transports de marchandises donnera le coup fatal à la politique de délocalisation des industries et par conséquent à la mondialisation telle qu’elle a été conçue jusqu’à maintenant.
3) Enfin, les changements climatiques, désormais admis par la communauté mondiale comme étant l’un des principaux dangers qui guettent de vastes zones de la planète et donc une bonne partie des humains, poseront de lourds défis. La baisse de la pluviométrie et le manque d’eau subséquent dans la région du Maghreb mettra en difficulté nos propres ressources agricoles sans parler des déstabilisations de nombreux pays du Sahel et d’Afrique déjà assoiffés avec des mouvements migratoires massifs des populations vers le Nord.
Un monde différent et risqué
Ces trois contraintes combinées (effondrement du système monétaire international lié au dollar, la fin du pétrole, les changements climatiques) vont entraîner des bouleversements à l’échelle planétaire. Déjà, les conflits au Proche et au Moyen Orient en sont les premières manifestations. La zone du sahel, au Sud des réserves gazières algériennes, donne d’inquiétants signes d’alarme. Le monde est dans une sourde mais réelle guerre pour les ressources naturelles. Les mastodontes que sont les USA, la Chine, l’Inde et la Russie, agissent souvent en sous main. Des turbulences importantes sont en voie de constitution là où des réserves d’hydrocarbures existent : autour de la mer Caspienne, au Moyen Orient, en Afrique. Les terres fertiles seront également au centre d’enjeux stratégiques. La Chine mais aussi les pays du Golfe achètent d’immenses surfaces agricoles aux pays pauvres, en Afrique et en Asie.
Comment dans ces conditions, l’Algérie affrontera ces défis mondiaux ? Quelle est notre sécurité stratégique concernant nos réserves de pétrole (faibles) et surtout de gaz ? Quelles sont nos garanties d’intégrité alors que les grands de ce monde lorgnent d’une façon ou d’une autre sur ces richesses précieuses et pour ainsi dire vitales autant pour nous que pour elles ? Face à ces bouleversements mondiaux, comment le pays se comportera t-il ? Aura-t-il les moyens de s’inscrire dans une nouvelle vision mondiale qui lui assurera sa sécurité et sa stabilité ? Pourra t-il remédier à ses propre carences internes en vue de se déployer face à l’extérieur ? C’est là que la volonté de la nation doit intervenir. Comme en 1954, le peuple devra être interpellé, mis au courant de ses affaires, préparé à affronter les dures réalités. L’avenir passe par le présent. C’est dès maintenant que les pouvoirs publics doivent engager le pays vers son adaptation aux futures conditions de vie des nations.
La domination des USA n’est plus maintenant que relative et l’unilatéralisme est mort et enterré. L’Algérie doit réévaluer ses intérêts dans la nouvelle perspective mondiale, dans un cadre de coopération et de prise en compte des vrais intérêts mutuels avec des partenaires fiables.
Que doit faire l’Algérie ?
L’Algérie, qui déclare posséder 144 Milliards de dollars en bons du trésor US serait bien inspirée de les convertir immédiatement (si ce n’est déjà trop tard) en or et rapatrier physiquement le métal en Algérie. Le papier-or n’est quant à lui désormais plus crédible, les banques occidentales auraient vendu virtuellement jusqu’à 20 et même 35 fois l’or physique qu’elles détenaient ! Le cas échéant, une partie de ces avoirs devraient être transformés en certaines matières premières nobles, en autres devises ou même en droits de tirage spéciaux (DTS).
Par ailleurs, il faut lever le pied sur le rythme d’exploitation de nos hydrocarbures. Mieux vaut avoir notre or noir dans notre sous sol qu’échangé contre du papier vert voué à la dévalorisation ! La pression sur nos gouvernants sera vive et la tentation forte de vendre le maximum de pétrole. C’est que les prix connaitront des pics bien hauts et l’argent pourrait couler à flot. L’Etat Algérien doit préserver ces richesses temporaires et tant convoitées et en aucun cas les gaspiller au profit d’une seule génération pour ne pas dire au profit d’une caste. Les grands pays, assoiffés de pétrole utiliseront tous les moyens de contrainte pour faire pomper toute trace d’hydrocarbures du sous sol. La diplomatie algérienne aura fort à faire.
D’autre part, le gouvernement doit entamer une politique nationale en faveur de la production de biens de consommation courante en Algérie. Notre adhésion à l’OMC devient problématique au regard des évolutions et risquerait même de devenir néfaste dans le contexte à venir. Une politique de protection de nos industries et entreprises doit être entamée sans complexes, utilisant autant les barrières douanières que les crédits à l’investissement ou à la consommation orientés vers la production nationale. Il faudrait revenir aux négociations bilatérales et s’engager prudemment dans les accords multilatéraux. A l’intérieur de nos frontières, il faudra par contre orienter les capitaux vers l’investissement productif et compatible avec le développement durable. En même temps, il nous faudra prendre des mesures drastiques mais transparentes contre les importations inutiles ou qui concurrencent nos producteurs. En un mot, il faudrait inverser la politique appliquée depuis trop longtemps qui bloquait la production nationale par des lois anti-libérales et bureaucratiques tout en ouvrant le marché aux importations des biens et services.
Enfin, l’aménagement du territoire avec un redéploiement incitatif des populations sur de vastes zones dans le pays profond devrait venir en soutien à une politique d’investissement d’envergure dans l’agriculture et l’hydraulique pour préparer le pays à affronter les pénuries alimentaires qui s’annoncent à l’horizon et pour une meilleure sécurité du pays.
Mais, bien avant tout cela, le consensus politique devra être reconstruit. Le retour de l’Etat de droit et la mise en place d’un processus de démocratisation, sincère, réaliste et fiable en seront les conditions sine qua non.