30 Lustres
Un coup d’œil géopolitique sur le futur.
Trente lustres. Ce n’est pas si loin. Voici 30 lustres, vivaient des gens que nos arrière grands-parents ont pu connaître. Des gens qui ont vu le jour sous Napoléon III, c’est à dire ayant connu l’avènement de la société moderne. La démocratie avait déjà existé en France, on connaissait presque tous les territoires du globe, on commençait à abandonner la voile pour parcourir les mers à la force de la vapeur. Le XIXe siècle ouvrait la voie vers tous les changements, on verrait bientôt, avant la fin du siècle, le premier engin « plus lourd que l’air » quitter le sol, lui aussi grâce à la vapeur : « l’éole »de Clément Ader, 1890. C’est presque encore l’actualité, c’est à peine l’Histoire.
C’est dire que 30 lustres vers le futur, c’est aussi très proche. Pour les enfants qui naissent aujourd’hui, c’est une époque où vivront les arrières petits-enfants de leurs petits-enfants, c’est demain, c’est à peine le futur. Ces descendants nous verront encore sur des photos dont le papier sera à peine jauni. Qu’y aura-t-il de changé ?
Les sociétés, leurs mœurs, leurs tabous, leurs engouements, changent vite. On les voit même changer, et beaucoup, au cours d’une vie. Imaginer ce que sera notre société dans 150 ans est donc impossible, ce ne serait, ne pourrait être, que de la fiction. En revanche la situation géopolitique du monde présente une inertie largement plus forte, elle touche des masses territoriales, humaines, historiques, qui ne peuvent évoluer aussi vite. De ce fait on peut se risquer à établir quelques prévisions, à se projeter vers le monde du 22e siècle avec une petite chance de tomber juste. Même si des révolutions peuvent se produire, des guerres, des bouleversements, des chambardements aujourd’hui inimaginables, l’image de ce futur, bien que floue, reste discernable. Car les guerres et les révolutions, bien souvent, s’avèrent constituer des situations provisoires qui s’effacent ensuite pour revenir à l’état plus naturel des choses. De Gaulle, parlant de l’URSS, ne prononçait jamais que le mot « Russie », ce visionnaire devinant parfaitement que la révolution communiste s’effacerait un jour devant l’évidence de la Russie éternelle. Et 60 ans après 1789, les Français avaient encore un Roi…
Alors, 30 lustres après nous, que sera devenue l’organisation du monde ? D’ores et déjà on la voit venir. Avec des soubresauts, avec des avancées et des reculs, avec des coups et des contrecoups, elle pointe à l’horizon. Les réflexions des peuples, leurs échanges culturels et commerciaux, leurs souhaits exprimés, les premiers aboutissements, tout converge. Le monde, comme une pâte en formation, verra des molécules s’agglomérer les unes aux autres pour former certains coagulums (ou coagula pour les latinistes puristes) tandis que d’autres portions moins travaillées resteront liquides, sans consistance.
Les récentes années montrent clairement la tendance. D’année en année se forment les regroupements entre pays, voisins soit par la géographie soit par l’Histoire, ou simplement désireux de se rapprocher ou de s’unir. Ce mouvement est devenu auto-entretenu, du simple fait que l’existence ou le projet d’un grand ensemble incite les autres pays à s’unir. Soit par mimétisme, soit par compétition soit encore par sentiment de menace. Plus certains deviennent ou projettent d’être forts et puissants, plus les autres veulent sortir du risque d’isolement. Isolement économique, militaire, culturel…
Les Etats-Unis, pourtant déjà Union et « super-puissance », ont en projet l’union plus ou moins lâche avec leurs voisins du Nord et du Sud : « The North American Union ».
Les états musulmans ressortent périodiquement l’idée d’un regroupement. Nasser, Kadhafi, en ont rêvé, Erdogan en rêve encore.
Les états d’Amérique du Sud, petit à petit, bâtissent leur maison commune : Mercosur, UNS (Union de Naciones Suramericanas).
L’Australie, la Nouvelle-Zélande, étudient un projet d’union pour l’instant monétaire, avec monnaie et banque centrale commune.
L’Inde constitue déjà une Union. Elle a besoin de digérer sa fédération d’états, et ses problèmes de voisinage avec l’ancien membre et présent voisin pakistanais. Pour l’instant l’islam les sépare, sans doute pour longtemps encore.
La Chine, la Corée, le Japon, ces trois grandes puissances économiques d’Asie du nord-est, ont annoncé récemment de prochaines négociations sur la création d’une zone de libre-échange dans la région, laquelle a vocation à s’étendre aux autres pays d’Asie.
L’Europe a montré la voie. La terre entière cherche à l’imiter, mais en ce début de siècle la copie se limite au commerce. C’était, voici 70 ans, le seul aspect que l’Europe montrait comme modèle. Elle a, depuis, fait du chemin vers l’union politique, et son rôle de modèle pourrait bien se poursuivre et s’étendre. On verrait ainsi au 22e siècle un nombre limité de grands ensembles politiques, peut-être une dizaine, de puissances comparables. Néanmoins on imagine mal les autres « ensembles » devenir des états, fédérations ou confédérations, même si certains d’entre eux le souhaitent. En effet il leur manque quelques-uns des maillons qui forment la chaîne de l’Union Européenne : l’Histoire, la culture, la mémoire collective, les éléments communs du code civil et du code pénal, l’agencement des villes et villages, la densité des relations entre états.
Il semble donc raisonnable de penser que l’Europe restera longtemps le cas unique d’une véritable union politique. Elle composera le modèle, un modèle qui ne sera qu’imparfaitement suivi par les autres grands ensembles.
Alors notre terre, devenue plus encore qu’aujourd’hui ce qu’elle est déjà, un « flat world » dirait Thomas L. Friedman, comment verra-telle s’organiser entre eux ces grands blocs ? On ne verra pas le gouvernement mondial rêvé par certains. Les blocs s’y opposeront, à coup sûr. L’ONU, ou son équivalent de l’époque, aura en revanche instauré un système de coordination des états, un peu plus complet que l’actuel conseil de sécurité en ce sens qu’il dépassera le cadre de la sécurité pour proposer des solutions communes aux divers problèmes : monnaie, environnement, transports, énergie etc. Ce comité de coordination n’aura qu’un pouvoir de proposition. Il sera, suivant les périodes, écouté ou non selon que son président élu possédera ou non la carrure, la pointure, la personnalité lui permettant de faire entendre son point de vue. Rien de nouveau sous le soleil.
Y aura-t-il des litiges ? Evidemment.
Y aura-t-il des guerres ? Probablement. Mais peut-être pas, si un équilibre parvient à s’instaurer par dissuasion réciproque. Cependant à coup sûr la force restera reine.
Vous voulez en savoir plus ? Attendez un peu, vous verrez bien.
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